Moins d’un an après l’arrivée au ministère de JM Blanquer, un tournant vient d’être pris. Après des mois d’opinion semble-t-il très favorable, le ministre semble ne récolter que de l’opposition chez les professionnels de l’éducation comme le montrent pas moins de trois études récentes. L’état de grâce qui a suivi l’élection présidentielle et les premières mesures, semble terminé. L’ascension politique de JM Blanquer continue. Mais son programme éducatif se heurte à une opposition à la fois large et déterminée. Pour JM Blanquer, les temps difficiles rue de Grenelle arrivent alors que l’oasis de la rue de Varenne est encore loin.
Blanquer premier ministrable ?
Chouchou de l’Elysée, populaire auprès des Français, l’arrivée en politique de JM Blanquer ressemble à une success story. Largement soutenu par toute une partie de la presse de droite, qui a multiplié les couvertures à son profit, le ministre de l’éducation semble avoir réussi là où d’autres se seraient cassés les dents. Un sans faute auprès des enseignants, des Français et des politiques de son camp.
JM Blanquer sait flatter l’opinion publique en reprenant les thèmes les plus éculés. Retour à l’autorité en interdisant les portables au collège, même si, quand on regarde de près on est très loin d’un véritable changement. Même clin d’œil sur le redoublement, « rétabli », même si là aussi la réalité est toute autre. Clin d’œil aussi sur la maternelle, école de l’affection et du langage, lors des Assises dont on commence à comprendre qu’elles ont surtout servi à camoufler les suppressions massives de classes en maternelle.
« Miracle », « sauveur », « compétent », « sympathique », toute une presse, du Figaro à Valeurs actuelles, soutient le ministre dans ses ambitions. Déjà c’est « le vice président »… Premier ministrable, JM Blanquer l’est probablement. Depuis son arrivée rue de Grenelle, il travaille cette ambition. Pas de semaine où on ne le voit recevoir un autre ministre, souvent de rang protocolaire très supérieur au sien, mais toujours placé en accessoire. Nombreux sont ceux qui ont été happés par l’orbite blanquérienne. La Culture, la Santé, le Handicap, le Travail, les Territoires, la Recherche, tous ont été vus en second role avec JM Blanquer. Alors que ses prédécesseurs sillonnaient surtout l’Ile de France, JM Blanquer visite toutes les régions, y compris l’Outre Mer. Pas un coin du territoire national ne lui échappe et il n’hésite pas à saisir toutes les occasions pour des déplacements en urgence comme si la présence du ministre de l’Education nationale était indispensable. Enfin on le voit en interlocuteur direct d’E. Macron , comme récemment sur la maternelle. Ainsi JM Blanquer donne déjà l’image médiatique d’un premier ministre.
Des décisions opportunistes
JM Blanquer peut-il faire l’unanimité ? Incontestablement il a fait des gestes vers les enseignants et souvent contre l’intérêt général. Ces décisions sont plébiscitées par les professeurs, si l’on en croit le très récent sondage Ipsos réalisé pour le Snes Fsu.
La mise en place de filières au collège « unique » : les enseignants du second degré y seraient favorables à 70%. La réintroduction des bilangues et du latin-grec : oui à 90%. L’assouplissement des EPI au collège, oui à 82%. Même Parcoursup serait populaire, à 65%, chez les enseignants. La réforme du bac et du lycée recueillent moins de la moitié d’avis favorable mais quand même encore 43 et 48%. Dans le premier degré, JM Blanquer a choisi le retour aux 4 jours, malgré ses effets très négatifs sur les enfants, en pleine contradiction avec « la priorité au primaire », en satisfaisant ainsi les adultes. Le ministre de l’éducation nationale cède aux revendications les plus corporatistes à condition qu’elles n’aient pas d’impact budgétaire.
Le rejet des professionnels de l’éducation
Sans doute croyait-il ainsi avoir gagné la paix sociale en son royaume, une condition utile à son ascension politique. Combien de carrières politiques se sont brisées à l’Education nationale sur un mouvement d’enseignants ou, pire, une grève lycéenne…
Malheureusement pour lui, ces efforts semblent, si l’on en croit les sondages, devenir vains. JM Blanquer n’a pas su utiliser l’état de grâce, né des premières mesures qui détricotaient les réformes de la majorité précédente, pour les décisions les plus difficiles qui arrivent maintenant.
Ainsi le sondage du Snes montre que, si les enseignants du second degré plébiscitent bien des mesures, ils n’accordent pas leur confiance au ministre. 68% des enseignants du 2d degré ne font pas confiance au ministre pour prendre en compte les attentes des enseignants et seulement 34% estiment que les premières mesures vont dans le bon sens.
Pire encore, le Baromètre Unsa, un syndicat pourtant souvent favorable aux thèses ministérielles, rend visible le fossé qui s’est creusé entre le ministre et les professionnels de son ministère, y compris les cadres.
Selon le Baromètre, seulement 21% des personnels sont en accord avec les choix éducatifs ministériels. C’était 24% en 2017. La baisse de 3% vient en partie des enseignants : seulement 17% des professeurs du second degré (PLC) et 16% de ceux du premier degré (PE) sont en accord avec les décisions de JM Blanquer.
La défiance des cadres
Mais, et c’est tout à fait nouveau, elle vient aussi des cadres. Seulement 49% des inspecteurs du second degré (IPR) sont en accord avec la politique menée. C’était 64% en 2017. Chez les inspecteurs du premier degré (IEN) on est passé de 73% à 37% ! Chute aussi chez les personnels de direction : 43% contre 57% en 2017. L’absence de soutien des cadres à la politique ministérielle est la grande nouveauté de cette année.
Autre surprise : JM Blanquer a eu beau revenir sur les rythmes scolaires ou sur la réforme du collège. Il n’a pas gagné en soutien chez les enseignants, bien au contraire.
Les conditions de travail ne sont jugées satisfaisantes que par 35% des enseignants avec une chute à 29% chez les PE et 28% chez les directeurs d’école. Même les cadres ne sont pas satisfaits (personnels de direction 42%, IEN et IPR à 38%). Seulement 15% des participants ont vu une amélioration en ce domaine depuis un an, et seulement 10% des PE et 13% des PLC.
Et puis il y a la paie jugée à la hauteur par seulement 17% des répondants, 15% des enseignants, 22% des personnels de direction, 28% des IEN et 42% des IPR. Il faut dire que le ministère a accumulé les mesures négatives en ce domaine : gel du point d’indice, report du PPCR, journée de carence, hausse juste compensée de la CSG (quand le privé voit son salaire net monter).
D’autres questions posées par le Baromètre visent les mesures à venir. Ainsi seulement 11% des consultés, 10% des PLC et 6% des PE sont favorables à une rémunération au mérite. Sur le statut c’est encore plus clair. Alors que le gouvernement a clairement annoncé sa remise en cause, 75% des consultés sont hostiles à toute action contre le statut (75% des enseignants également).
Enfin quand on demande si le ministre a mis ses paroles sur « l’Ecole de la confiance » en accord avec ses actes, seulement 29% des consultés, 22% des PE et 29% des PLC répondent oui.
Matignon avant qu’il ne soit trop tard ?
Dans les mois qui vont suivre on va voir le ministre pris en étau entre les décisions gouvernementales et les fonctionnaires de l’éducation. Le gouvernement veut supprimer des postes de fonctionnaires et mettre des contractuels à la place pour en finir avec le statut des enseignants. Il a l’opportunité de départs en retraite massifs dans les années qui viennent. Il espère ainsi pouvoir installer la rémunération au mérite et une gestion des affectations et de l’évaluation par les managers locaux.
Ces mesures auraient-elles pu passer dans la première année du ministre ? Pas sur. Maintenant il est clair que chaque pas en avant va couter à JM Blanquer. Le ministre de l’Education nationale dit souvent qu’il n’a pas d’autre ambition que la rue de Grenelle et qu’il souhaite y demeurer 5 ans. Rappelons que le dernier ministre de l’éducation nationale a avoir servi 5 années a quitté le poste en 1815…
Alors que la longévité moyenne d’un ministre de l’Education nationale tourne autour de deux années, JM Blanquer affronte sa seconde année avec les décisions les plus difficiles et un discrédit déjà installé chez les professionnels. Pour JM Blanquer il va falloir accéder à Varenne avant que Grenelle ne lui échappe.
François Jarraud