En publiant le 30 mars un « Guide des projets pédagogiques s’appuyant sur le byod » sur Eduscol, le ministère de l’éducation nationale franchit un pas dans le débat sur l’avenir du numérique dans l’école française. Sous des dehors de pédagogie, il s’agit surtout d’une sorte de dossier conseil pour développer le BYOD dans le système éducatif. Un choix qui pose problème.
Une première critique tient d’abord au choix des termes. BYOD/AVEC, comme le suggère la note au bas de la première page, c’est un choix qu’il faut mettre en regard d’une autre initiale : EIM (Equipement Individuel Mobile), qui n’est cité qu’en annexe à la page 30. On ne peut- qu’être étonné de ce choix car il recouvre deux réalités concurrentes (mélangées dans le document) et en tension : les équipements mobiles mis à disposition des élèves par la collectivité d’une part, les équipements que les élèves amènent d’autre part. En effet les deux approches posent des problèmes bien différents en termes d’infrastructure d’une part, mais surtout en termes de choix politiques. D’ailleurs si les conséquences de ces choix sont évoqués (on sent dans ce texte un écho du rapport de l’ADF publié à l’automne qui préconisait plutôt le choix du BYOD payé par les parents), ils ne sont pas travaillés à la hauteur de ce qu’ils devraient être : d’une part une pratique des jeunes du collège à l’université rapidement évoqué, d’autre part un choix aux conséquences imprévisibles tant sur le plan des équipements (impose-t-on une machine, quel renouvellement etc.), réglé un peu rapidement avec des stratégies organisationnelles, que sur le plan humain pour ce qui est des compétences numériques des usagers, mais aussi des structures.
Nous avons eu l’occasion de démontrer les logiques concurrentes dans le domaine du déploiement du numérique en milieu scolaire (communication au colloque RUNED 2018, IFE/ENS). Les logiques des entreprises, des académies, du ministère, des familles, des jeunes et des éditeurs restent pour l’instant incompatibles : chacun cherche à imposer plutôt sa vision et dans des projets communs dans des temporalités différentes. On s’étonne que l’expérimentation des Landes, « Un collégien, un ordinateur portable » l’une des plus anciennes, ne soit pas citée, alors qu’Ordina13, dont on sait les évolutions, l’est. Et pourtant ces deux projets ont mis en évidence aussi ce que nous avons eu l’occasion d’analyser lors du projet e-Education TED mené de 2012 à 2016 en Saône et Loire.
L’impression qui ressort de la lecture de ce document est mitigée. D’une part le titre est trompeur, à moins que le terme pédagogie ne soit un joyeux fourre-tout. D’ailleurs il est abandonné dans la présentation de l’objectif : « Le présent document constitue un guide des projets BYOD. À ce titre, il vise à être un point d’entrée pratique et opérationnel pour les porteurs de projet BYOD. » D’autre part le cadre proposé est bien détaillé et fournit matière à travailler pour les acteurs qui souhaitent s’emparer du sujet, en cela, malgré de nombreux sujets de débat, il est intéressant et mérite d’être étudié de près.
On peut penser que les auteurs du document sont issus légitimement de la Direction du Numérique pour l’Education. Au moment où Jean Louis Schaff a annoncé le départ de Mathieu Jeandron de la direction de la DNE dans un twitt, la mise en ligne de ce document peut ressembler soit à un testament, soit, vu la date du vendredi saint, la fin d’un parcours complexe (cf la question de la place des GAFAM dans l’éducation). De plus on peut se demander pourquoi ce texte est publié alors que le cadre juridique proposé par le ministère concernant le téléphone portable dans les établissements scolaires n’est pas encore établi dans la loi. Ne risque-t-il pas d’y avoir contradiction ?
Derrière la question du BYOD, il y a une vraie question pédagogique qui n’est pas abordée ici. Pour tous ceux qui œuvrent au quotidien dans les classes, la mise en œuvre du numérique est souvent marqué par des « problèmes » de natures diverses qui vont de l’absence de connexion Internet ou de matériel, à des bugs et autres dysfonctionnements qui dissuadent les enseignants. En 2003 dans une émission sur France culture nous avions évoqué la notion « d’ordinateur à portée de la main » comme seule voie possible pour permettre un véritable usage du numérique dans le contexte scolaire. De nombreuses observations et rencontres ont conforté notre idée allant jusqu’au « vrai » BYOD, qui se traduit par l’utilisation des smartphones des élèves en classe pour améliorer le dispositif pédagogique. Mais quelque soit la solution d’équipement retenue, l’enjeu pédagogique est celui des EIM et de leur utilisation quotidienne dans la classe. Pédagogie ou didactique, les EIM ont leur place dans la classe et ce sont les enseignants qui vont pouvoir construire leurs séquences ou leurs séances avec moins d’appréhension, en responsabilisant davantage leurs élèves sur les utilisations qu’ils font de leurs équipements.
Bien sûr en amont de ces pratiques il faut penser ce développement et ce document est opportun. Souhaitons qu’il soit partagé et discuté au-delà des cercles habituels des initiés et qu’il fasse débat pour aider à réfléchir l’avenir du numérique en éducation. On attend en particulier un propos plus officiel du ministre lui-même sur ces propositions.
Bruno Devauchelle