Pourquoi l’enseignement scolaire de l’histoire suscite-il tant de passion ? On se souvient des campagnes condamnant les programmes, promouvant « l’histoire chronologique » ou le « récit national ». Pourquoi cette discipline éveille-t-elle autant de réactions chez les politiques mais aussi dans la société entière ? Les critiques sont-elles justifiées ? Quel impact ont-elles sur les pratiques de classe ? Laurence de Cock, historienne et enseignante, publie un ouvrage qui fait le point sur l’histoire des programmes et qui veut être une réponse venue du terrain aux détracteurs de l’enseignement de l’histoire.
Pourquoi publier ce livre en ce moment précis ?
Il me semblait qu’une réponse manquait dans les débats actuels sur l’enseignement de l’histoire : celle du terrain. Depuis une dizaine d’années on a tout ce qu’il faut pour déconstruire les idées reçues sur le « roman national », autant on manque d’ouvrages grands publics qui mettent en avant la réalité de ce qui se fait dans les classes et qui présente son enseignement de façon moins caricaturale.
Mais le rôle de l’Education nationale n’est-il pas de transmettre un récit national ?
Historiquement, l’histoire scolaire s’est bien constituée pour fabriquer un récit commun à finalité identitaire dans le cadre d’une France qui était en construction. Mais le rôle de l’enseignement de l’histoire aujourd’hui c’est de transmettre un rapport critique au savoir. Ca ne veut pas dire une suspicion immédiate par rapport à ce qui est enseigné, mais des savoirs qui nourrissent les intelligences, des savoirs émancipateurs, co-construits par les élèves. S’il doit y avoir construction d’un récit commun je plaide pour que l’élève fasse le choix de ce commun.
Je plaide aussi pour que ce commun ne soit pas de la mythologie, de « belles » histoires. Faire de l’histoire c’est travailler sur des sources avec des méthodes.
Le débat que l’on a connu sur l’enseignement de l’histoire a-t-il toujours existé ?
Oui ! Les débats d’aujourd’hui souvent présentés comme inédits sont là depuis le début de cet enseignement. La question de l’histoire nationale ou de la chronologie fait déjà débat à l’époque de Marc Bloch. Ce qui est nouveau depuis les années 1980, c’est la médiatisation et la politisation de ce débat. Les débats internes à la profession ont explosé à l’extérieur et pris une apparence de scandale. Du coup on n’entend plus les praticiens. Finalement on entend continuellement parler de notre métier par ceux qui ne l’ont jamais pratiqué . Mais nous on ne nous entend pas. Je voulais monter que cette parole des enseignants est légitime.
Les manuels sont-ils vraiment des outils d’endoctrinement ?
C’est une aberration de penser cela aujourd’hui. Je montre dans l’ouvrage que les manuels actuels sont différents. Les analyses de contenus qu’on lit dans la presse s’intéressent au texte et aux images. Mais pas aux questions qui sont posées sur les documents. Je donne dans le livre une grille d’analyse des manuels qui prend en compte leur évolution. Quand on regarde vraiment, on voit que les manuels sont très équilibrés et neutralisés. Il n’y a pas de parti pris idéologique.
Dans l’ouvrage vous insistez sur les manuels, les programmes. Mais les enseignants, par exemple au primaire, s’en inspirent-ils tant que cela ?
Les pratiques ne sont pas toujours adossées aux programmes, surtout au primaire. Il y a une distance entre programme et pratique mais en France on reste quand même très campé sur les programmes. D’autant que plus un programme est précis, plus il permet d’évaluer les enseignants.
Comment expliquer que des historiens prennent la tête de cette contestation de l’enseignement de l’histoire ?
La majorité des acteurs de cette contestation, je pense à des personnes comme S. Bern ou L. Deutsch, ne sont pas des historiens. Mais il y a aussi de vrais historiens. Je crois qu’ils projettent sur l’école leur mélancolie personnelle d’ancien très bon élève et qu’ils attribuent à l’école une surpuissance qu’elle n’a pas. Comme si l’enseignement de l’histoire allait battre l’islamisme ou le racisme. Ils ne connaissent pas l’école.
Les conceptions historiques des élèves ne viennent pas toutes de l’école ?
En effet, ils puisent ailleurs. C’est aussi pour cela que la transmission dans la classe, ce n’est pas de la perfusion. Les élèves ont aussi des savoirs sociaux qu’il faut déconstruire parfois, ce qui suscite des réactions.
Ces débats sur l’enseignement de l’histoire font des dégâts dans les classes ?
Je ne l’ai pas constaté. Mais quand les élèves parlent spontanément d’histoire, ce qui sort c’est le récit national. L’école peine à instituer un rapport plus critique à l’histoire.
Propos recueillis par F Jarraud
Laurence De Cock, Sur l’enseignement de l’histoire, Libertalia, 2018. ISBN physique : 9782377290338
Printemps 68… printemps 2018… difficile de rater, en ce moment le cinquantième « anniversaire » des « évènements de mai »… Le Café vous propose une sélection d’articles, réflexions et ressources.
En vitesse
Mai 68 expliqué en 1 minute
VIDÉO. Avec la généralisation de la grève, un air de Mai 68 plane sur la France. Retour en 1 minute sur ce soulèvement populaire sans précédent.
Cinquante ans de Mai 68 : les moments-clés
Le 22 mars 1968, l’occupation de l’université de Nanterre marquait le début d’un mouvement de protestation a fait évoluer et qui marque encore la société française.
En profondeur
«1968 – 2018» France Culture explore 68 sur tous les supports
La chaîne propose un printemps créatif et participatif avec une application géolocalisée pour vivre en son immersif les barricades, une édition du Festival Imagine au Centre Pompidou où toutes les disciplines et les savoirs se rencontrent, une programmation exceptionnelle d’archives, de fictions, de débats, une interview de Daniel Cohn-Bendit avant, pendant et après Mai.
France Culture
https://www.franceculture.fr/societe/1968-2018-france-culture-explore-68-sur-tous-les-supports
Mai 68, l’héritage (sondage)
Cinquante ans après, quelles évocations les événements de Mai 68 inspirent-ils aux Français ? Quel héritage lui attribuent-ils ? Nous vous avons posé la question dans un sondage exclusif réalisé par Harris Interactive pour Le Nouveau Magazine littéraire.
Le nouveau magazine littéraire
Mai 68 : cinquante ans, déjà ! Les acteurs.
A l’occasion du cinquantième anniversaire de ce «joli mois de mai», nous allons avoir droit à quelques élucubrations bien pensantes, politiquement correctes, et d’un néo-libéralisme grand teint, plus quelques ouvrages de bonne tenue. Il s’agira d’évoquer ces quelques semaines où l’Etat gaulliste a vacillé sous la pression d’une jeunesse avide de libertés, de paix, de désir de vivre.
Icônes de Mai 68 : les images ont une histoire
50 ans après les événements de mai-juin 1968, cette exposition revient sur la construction médiatique de notre mémoire visuelle collective. Elle permet de suivre la trajectoire d’images célèbres – les portraits de Daniel Cohn-Bendit face à un CRS par Gilles Caron et de la « Marianne de 68 » de Jean-Pierre Rey ; de comprendre comment et pourquoi la mémoire visuelle de Mai 68 se conjugue en noir et blanc alors que les événements ont été couverts en couleurs par la presse de l’époque ; de découvrir qu’en marge de la presse magazine, des initiatives d’expositions et de projections photographiques ont vu le jour face à une vision médiatique dominante des faits ; ou encore de saisir pourquoi la première « nuit des barricades » – qui fit « monter à la une » des magazines les affrontements de mai 1968 – n’a paradoxalement laissé aucune image persistante, aucune icône… Autant de clés pour appréhender le rôle majeur des acteurs médiatiques et éditoriaux dans l’élaboration des représentations des faits.
A la BNF du 17 avril au 26 août
DVD : mai 68 – Les images de la télévision
Du 22 mars au 30 juin 1968, La chronique retrace jour après jour la progression du mouvement lancé par les étudiants. Avec les images de la télévision, nous suivons au plus près les manifestations étudiantes, l’occupation de la Sorbonne puis des usines, l’intervention du gouvernement et enfin la lente reprise du travail jusqu’aux élections législatives du 30 juin.
Pour mieux comprendre les enjeux de la révolte, quatre dossiers dressent un portrait de la société d’avant mai 68 : la jeunesse – le monde ouvrier – la culture – 1968 dans le monde.
Un documentaire de Hugues Nancy (Ina – 2008)
https://boutique.ina.fr/dvd/PDTINA001582
Mai 68 : retrouver l’événement
Le cinquantenaire de Mai 68 est l’occasion de comprendre l’événement à distance des images d’Epinal, de presse et de propagande qu’il a engendrées.
https://www.nonfiction.fr/article-9303-mai-68-retrouver-levenement.htm
Mai 68, du « mouvement des enragés » aux « élections de la peur »
Alors que la France s’apprête à commémorer les événements de mai-juin 1968, ceux-ci sont restés dans la mémoire collective comme une grande grève générale précédée d’une révolte étudiante pour de meilleurs droits (d’expression, salarial, sexuel). Les changements dans les mœurs sont indéniables, et les étudiants ont vraiment provoqué des affrontements de rue. Pourtant, les événements de Mai 68 et les élections de juin ne se résument pas à des débordements étudiants et des grèves qui seraient subitement apparus à Paris. Tout le pays est touché, et le déroulement de ces semaines mouvementées reste assez méconnu du grand public.
Mai 68 : en mars, à Varsovie, derrière le Rideau de fer
La révolte de la jeunesse étudiante polonaise, sous forme de meetings, de manifestations de rue et de grèves avec occupation des locaux dans les universités et les écoles supérieures, a duré du 8 mars au 28 mars 1968, et s’est donc produite plus tôt que celle de ses homologues française, italienne, allemande ou américaine. L’exemple des barricades du Quartier Latin ne pouvait pas, selon cette compréhension de l’histoire, avoir inspiré la jeunesse de Varsovie.
Un projet d’archéologie participative
« Sarah Parcak , archéologue spécialiste de l’Égypte qui enseigne à l’université de l’Alabama, à Birmingham (États-Unis), a développé une technique d’analyse des images satellite pour étudier les changements de végétation qui signalent souvent la présence de sites ou de structures faites par les Hommes. Grâce à ses algorithmes, elle déjà suggéré l’existence de 17 pyramides, 1.000 tombes et 3.100 colonies jusqu’ici inconnues. Elle a également contribué à d’importantes découvertes à propos de l’Empire romain et de la civilisation viking. Mais Sarah Parcak veut aller encore plus loin… », explique un article de Futura Sciences. L’archéologue va lancer Global Xplorer, un site d’analyse d’images satellite permettant de découvrir de nouveaux sites archéologiques grace à la participation du public.
Histoire et fonctionnement des camps nazis
Une analyse du fonctionnement des camps nazis de leur création en 1933 à la chute du régime nazi en 1945.
Georges Horan-Koiransky (1894-1986) : le camp de Drancy
La trajectoire de Georges Horan-Koiransky, né à Saint-Pétersbourg et interné à Drancy entre 1942 et 1943, est un vibrant témoignage de la persécution et de la destruction des Juifs d’Europe. Ses dessins et son journal illustrent une page sombre de l’histoire de France et l’un de ses lieux de mémoire : le camp de Drancy.
Eduscol : la géohistoire
Le portail national s’enrichit d’une bibliographie commentée et d’un panorama de la recherche sur la géohistoire. Ce document très complet, réalisé par Françoise Janier-Dubry, Olivier Grenouilleau et Laurent Carroué, inspectrice générale et inspecteurs généraux de l’Éducation nationale. Les programmes d’enseignement au collège publiés en novembre 2015 font explicitement référence à la géohistoire (ou géo-histoire), qualifiée tout à la fois de « démarche » ou d’« approche ». Outre une bibliographie détaillée et commentée, ce document d’une dizaine de pages propose une mise au point sur les rapports anciens et renouvelés entre géographie et histoire.
Génocides : un rapport appelle à soutenir la diffusion de la recherche dans l’enseigement
Crée par N Vallaud Belkacem, la Mission d’étude en France sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse a remis le 15 février son rapport au ministre de l’éducation nationale. Présidée par l’inspecteur général Vincent Duclert, entouré de nombreux historiens (H Rousso, S Audoin Rouzeau, E Sibeud etc.) mais aussi de responsables de l’Education nationale (S Ayada) ou de spécialistes d’autres disciplines (D Schnapper, I Delpla, AC Feutrie, la mission a entendu de nombreux spécialistes. Dans son rapport elle souligne que » les apports de la recherche et de l’enseignement en France souffrent cependant de leur trop faible interrelation… La richesse comme le dynamisme des domaines de connaissance en France justifient une mise en commun des savoirs tant fondamentaux que pédagogiques, impliquant de dépasser certains clivages hérités comme la coupure maintenue entre l’enseignement scolaire et l’enseignement universitaire, ou bien entre la recherche et la pédagogie, ou encore entre les missions scientifiques et les fonctions documentaires. La recommandation de la Mission en faveur de la création en France d’un « Centre international de ressources pour les génocides, les crimes de masse, les violences extrêmes et les esclavages » répond à ces trois objectifs d’approfondissement des domaines de connaissance, de meilleure confrontation des savoirs et d’internationalisation des recherches ». Le rapport demande un véritable soutien aux études sur les génocides et notamment l’ouverture des archives aux chercheurs.