La seconde matinée des Assises de la maternelle, le 28 mars, s’est déclinée en cinq interventions de chercheurs liées au langage et à son acquisition. Il s’agit surtout de présenter leurs résultats de recherches, certes intéressants, mais rien de révolutionnaire. Les différentes conclusions ne préconisent rien que ne sachent déjà les équipes éducatives : il faut être vigilant quant à l’acquisition du langage, surtout pour les élèves issus de milieux socioéconomiques défavorisés, développer les différentes situations d’apprentissage (comme la lecture d’album, et oui !) et former les enseignants… Cette matinée a tout simplement décrit le travail quotidien des enseignants.
Caroline Moreau-Fauvarque, IGEN (inspectrice générale de l’éducation nationale), introduit la seconde journée des assises de la maternelle : « l’école maternelle est celle de l’épanouissement et du langage. Les enjeux sont majeurs, ils sont sociétaux. Les enfants d’aujourd’hui sont les acteurs de la construction du monde de demain mais l’enjeu est aussi celui de la lutte contre les inégalités, inégalités socioéconomiques ou individuelles – telles que le handicap ». Afin de faire évoluer l’école maternelle, il faut s’intéresser à toutes les dimensions du développement de l’enfant, tous les aspects sont importants pour une bonne entrée dans les apprentissages et pour l’épanouissement de l’enfant. L’IGEN assure que cette dynamique, qui était déjà au cœur des programmes de 2015, sera poursuivie. Elle présente le programme de la matinée qui sera dédiée aux différents apports de la recherche sur l’acquisition du langage. Selon elle, la recherche ne peut dicter un programme, elle va permettre des hypothèses pour améliorer l’éducation, il faudra donc les tester pour pouvoir s’en emparer.
Ghislaine Dehaene-Lambertz, directrice de recherche au CNRS, Inserm, explique que le langage est une capacité naturelle chez l’enfant dès sa toute petite enfance, apprendre avec l’autre est une spécificité de l’espèce humaine. Aider un enfant à acquérir le langage, c’est alimenter sa compétence naturelle. « L’enfant a une avidité de connaissances langagières et éprouve un réel plaisir à apprendre », afin d’accompagner cette appétence, l’enseignant doit adapter sa pratique à l’enseignement spécifique du langage (contact visuel, intonation, référence à l’objet en le pointant ou par un regard…).
Ranka Bijeljac-Babic, psycholinguiste et maître de conférences au CNRS et à l’université Paris-Descartes, présente quant à elle ses travaux sur le bilinguisme. Elle évoque, lors de son intervention, les avantages et les difficultés liées au bilinguisme précoce. « Nous vivons dans un monde plurilingue. Certains plurilinguismes sont valorisés, d’autres peu acceptés, voir dévalorisés. Cela a des conséquences néfastes sur développement de l’enfant, sur son intégration, sur l’image qu’il se construit de lui-même ». Selon les résultats des différentes recherches qu’elle a menées, les difficultés d’acquisition de la langue pour les élèves bilingues sont surtout dues aux conditions socioéconomiques dans lesquelles ils évoluent. Elle conclue sa présentation par des chiffres très concrets et bousculant les aprioris : les élèves bilingues ne présentent pas de différence ni de retard dans l’acquisition du champs lexical (la quantité de vocabulaire acquis est identique pour les monolingues et les bilingues). Mieux, ils ont des avantages cognitifs sur leurs pairs monolingues, ils ont de meilleurs résultats dans toutes les tâches impliquant des fonctions exécutives et ce tout au long de leur vie. Pour finir, il semble qu’ils soient moins touchés par les maladies dégénératives. Elle conclue son intervention sur cette question pertinente : « D’où vient cette attitude ambivalente selon les langues – les unes valorisées, les autres dénigrés – puisque les avantages sont les mêmes ? Le bilinguisme motive les apprentissages et favorise la tolérance lorsque la seconde langue est valorisée. »
Laurent Lima est directeur du département des sciences de l’éducation à l’université de Grenoble-Alpes. Cette troisième intervention traite des apprentissages langagiers et des interactions dans les pratiques enseignantes en maternelle. « Le langage oral joue un rôle majeur dans le développement de la lecture – compréhension », il fait rapidement le lien entre les origines sociales de l’enfant et son niveau de langue orale. En effet, plus les enfants sont exposés à un langage riche et abondant, meilleur sera leur propre langage. Il met en évidence un lien direct entre ce que produisent les enfants et le niveau de langage des parents. « La maternelle peut, donc, jouer un rôle dans la réduction des inégalités sociales. Plus on attaque le problème tôt, plus les résultats sont probants ». Lire des albums en classe, c’est produire une culture littéraire certes, mais c’est aussi exposer l’élève à la langue et à ses différents aspects. « C’est le préambule nécessaire à la compréhension en lecture en primaire ». Il faut aussi dialoguer cette lecture, ce qui équivaut à accompagner la lecture par des questions ouvertes qui permettent de réfléchir sur le contenu du texte. Il présente ensuite une expérimentation en cours à Grenoble répondant à la problématique : « Faut-il raconter plus d’histoires aux élèves faibles/en difficulté ? ». La réponse est oui, bien évidemment. La capacité de compréhension des élèves ciblés est améliorée dès deux ans de participation au programme, et se confirme les années suivantes.
Alain Bentolila, professeur à l’université Paris – Descartes, intitule son intervention « lutter contre les inégalités par la maîtrise de la langue ». « Ce qui nous rassemble aujourd’hui, c’est le refus que le destin scolaire de certains enfants soient scellés avant leurs six ans », A. Bentolila donne le ton. Il rappelle une réalité : certains élèves arrivent en élémentaire avec un langage insuffisant pour mener une scolarité satisfaisante, la maternelle doit donc se focaliser sur l’appropriation du langage pour une entrée réussie dans l’écrit. Ce constat, les enseignants le font depuis des années et essaient d’y remédier. Il conclue son propos en appelant à une formation spécifique pour les enseignants de maternelle. Appelle-t-il à un métier spécifique ? ce n’est pas clair mais on peut l’entendre ainsi lorsqu’il évoque des pratiques propres aux enfants de moins de six ans : « Peut-on enseigner de la même manière à un enfant de 3 ans et à un enfant de 10/11 ans ? ». La question est posée…
Cette matinée, intéressante du point de vue de la présentation des dernières recherches, n’a pourtant apporté aucune réponse nouvelle aux difficultés rencontrées par les enseignants, dans la classe, au quotidien, face aux élèves…
Lilia Ben Hamouda