Seront-ils plus nombreux que prévu, comme peuvent le laisser penser certains signaux venus du second degré , ou moins nombreux, comme le montre la mobilisation tiède du premier degré où il n’y aura, selon le Snuipp Fsu, qu’un professeur des écoles sur quatre en grève ? Cela va dépendre pour une bonne part de la façon dont les syndicats ont fait passer le message d’un moment tournant pour le statut des enseignants. Ce tournant existe-il ?
Une mobilisation syndicale sur le thème du statut
« On considère que l’on est à un tournant avec des mesures structurantes annoncées qui auraient des conséquences lourdes… Des conceptions différentes de la Fonction publique s’affrontent. Le gouvernement veut mettre fin à notre modèle social avec l’individualisation pour les agents et la remise en cause du dialogue social ». Le 16 mars, Bernadette Groison, secrétaire générale de la Fsu, accompagnée des 6 autres organisations de l’intersyndicale de la Fonction publique a fait de l’avenir du statut l’enjeu principal du mouvement de grève.
La question se pose-t-elle vraiment avec la gravité et l’urgence annoncées par les syndicats ? Plusieurs signaux clairs envoyés par les autorités vont en ce sens.
Trois rapports de la Cour des Comptes
Pour les enseignants, il faut commencer par mentionner trois rapports de la Cour des Comptes. La Cour a abordé à travers ces rapports en moins d’une année tous les aspects d’une refonte du statut. En décembre 2017 elle a recommandé une réforme de l’organisation territoriale de l’éducation nationale ce qui modifierait l’affectation des enseignants. En février 2018 elle préconise des évaluations informatisées annuelles permettant une évaluation des enseignants. Mais le principal rapport date d’octobre 2017. La Cour demande l’annualisation des services, une méthode de gestion qui permettrait à la fois de régler la question des remplacements sans bourse délier mais aussi d’augmenter de facto le temps de travail gratuitement. La Cour a aussi plaidé pour la bivalence dans le second degré et pour une réforme de l’affectation pour la localiser davantage.
Les rapports de la Cour s’appuient sur une enquête comptable poussée et il s’agit à chaque fois d’amener l’Etat, sommé de répondre, à aller vers une gestion comptable de l’éducation et à l’améliorer.
Les déclarations de JM Blanquer
Le ministre lui même n’a pas caché ses intentions. En août 2017 dans un entretien avec Acteurs Publics, il a fait un tableau complet des réformes de gouvernance qu’il veut mener en précisant qu’il fallait saisir les mois qui suivent l’élection présidentielle. Il envisage une réforme des régions académiques. Depuis il l’a entamé en Normandie où le recteur de région académique est en même temps recteur de deux académies. Il a aussi annoncé une réforme des procédures d’affectation pour laisser les chefs d’établissement choisir leurs enseignants. Il a introduit l’idée de la rémunération au mérite et aussi celle de l’annualisation des services. Depuis, s’il a reculé devant l’annualisation envisagée dans le rapport Mathiot, il s’est exprimé à plusieurs reprises sur le recrutement par les chefs d’établissement. Tous ces points remettent en question le statut actuel des enseignants.
On a pu croire longtemps, au regard de ses livres et de ses déclarations, que JM Blanquer était le plus libéral des ministres. Mais ce n’est aps le cas. Ses idées sont partagées avec le gouvernement.
Les annonces d’E Philippe
C’est l’autre fait nouveau. Le 1er février Edouard Philippe lui-même a annoncé des évolutions majeures du statut de toute la Fonction publique. Il a promis de lancer le chantier d’une « rémunération plus individualisée » des fonctionnaires, autrement dit « au mérite ». « Une part de la rémunération (de l’agent) doit être liée au mérite et à l’atteinte des résultats individuels et collectifs »,a-t-il déclaré. Il veut aussi donner plus de pouvoirs aux managers, comme les chefs d’établissement. « Il s’agit de donner » plus de liberté et plus de responsabilité pour les managers publics… Au niveau central comme déconcentré, les managers publics, dont l’implication et la responsabilisation sont déterminantes pour la réussite de la transformation publique, ne disposent pas aujourd’hui des leviers nécessaires à l’exercice de leurs missions… En tant qu’employeurs, leur capacité d’initiative et leur marge de manoeuvre apparaissent excessivement contraintes ». Le gouvernement veut leur donner notamment » plus de souplesse dans leurs recrutements ».
Le gouvernement n’a pas dit comment il allait faire. Mais on le voit à l’oeuvre avce les cheminots. L’idée c’est de laisser s’éteindre les corps de fonctionnaires en n’embauchant plus que des personnels sous contrat.
Qu’en pensent les enseignants ?
Les enseignants sont-ils acquis à ces idées ? Le ministre l’a dit en parlant « d’allant pour les réformes ». Mais le Baromètre Unsa (33 000 agents consultés) montre que ce n’est pas le cas. 75% des enseignants sont hostiles à toute action contre le statut. Seulement 10% des enseignants du secondaire et 6% du primaire sont favorables à une rémunération au mérite. Un tiers des PE et un cinquième des professeurs du secondaire sont contre toute prise en compte du mérite. 41% seraient favorables à une prise en compte du mérite si cela ne freine en rien la carrière des autres.
Le dernier mouvement social a eu lieu juste après les déclarations nettes d’Edouard Philippe. Elles n’avaient pas réussi à mobiliser les enseignants. Cela sera-t-il le cas le 22 mars ? JM Blanquer parie que non. Il pourrait bien avoir raison. Il resterait à comprendre ce paradoxe.
François Jarraud
Cour des comptes : évaluations annuelles
Cour des comptes sur l’organisation territoriale