Il y a des petits pourcentages qui comptent triple et plus. Un bel exemple en est donné par la question 13 du Baromètre Unsa, une vaste consultation annuelle des professionnels de l’éducation. Seulement 21% d’entre eux se déclarent en accord avec les choix politiques effectués. C’est à peine3% de moins qu’en mars 2017 sous une autre majorité. Mais ces 3% pèsent lourd. De 2017 à 2018 les cadres (IPR, IEN, personnels de direction) sont passés du soutien au rejet des réformes menées. Le phénomène nouveau du Baromètre Unsa 2018 c’est que plus aucune catégorie de personnel de l’Education nationale est en accord avec le ministre.
Un véritable état de l’opinion
» Il y a une atmosphère de réforme à l’Éducation nationale, qui est en général bien comprise par les professeurs. Il y un allant des professeurs pour les réformes ». Les propos tenus par JM Blanquer le 19 mars viennent de recevoir un éclatant démenti. Le Baromètre Unsa montre un net rejet des réformes ministérielles. L’idée de « L’école de la confiance » laisse les enseignants et les autres personnels incrédules.
L’intérêt du Baromètre Unsa c’est d’abord qu’il touche un nombre important de professionnels de l’éducation. L’édition 2018 a reçu 33 000 réponses, soit 3000 de plus qu’en 2017. Sans valoir un sondage scientifique cela lui donne un sérieux poids. Ensuite c’est que cette enquête est menée par un syndicat réformiste, modéré dans ses positions, jugées parfois proches du ministère, même si plus de 60% des participants ne déclarent aucun lien et aucune sympathie pour l’Unsa. Les éditions des années précédentes avaient par exemple mis en évidence le large rejet chez les enseignants des réformes que l’Unsa soutenait.
Des enseignants qui aiment leur métier mais ne le recommandent pas
L’édition 2018 porte son lot de bonnes nouvelles. 92% des participants déclarent aimer leur métier. C’est el cas de 93% des professeurs des écoles (PE) et de 92% des enseignants des lycées et collèges (PLC). Pour 79% des répondants leur métier « a du sens ». 78% des PE le pensent aussi et 68% des PLC.
Mais, premier paradoxe, seulement 37% des répondants le recommanderaient un pourcentage qui tombe à 29% chez les PLC et 27% chez les PE.
Manque de considération
Qu’est ce qui trouble le bonheur ? Seulement 44% des répondants ont le sentiment d’être respectés dans leur métier, un taux qui tombe à seulement 35% chez les enseignants. Les conditions de travail ne sont jugées satisfaisantes que par 35% des enseignants avec une chute à 29% chez les PE et 28% chez les directeurs d’école. Même les cadres ne sont pas satisfaits (personnels de direction 42%, IEN et IPR à 38%). Seulement 15% des participants ont vu une amélioration en ce domaine depuis un an, et seulement 10% des PE et 13% des PLC.
Et puis il y a la paie jugée à la hauteur par 17% seulement des répondants , 15% des enseignants, 22% des personnels de direction, 28% des IEN et 42% des IPR. Il faut dire que le ministère a accumulé les mesures négatives en ce domaine : gel du point d’indice, report du PPCR, journée de carence, hausse juste compensée de la CSG (quand le privé voit son salaire net monter).
Le pouvoir d’achat
Aussi quand le Baromètre sonde les revendications, c’est le pouvoir d’achat qui arrive en premier , y compris chez les enseignants. Par contre les PE mettent en second rang la charge de travail et en 3ème la formation quand les PLC installent les perspectives de carrière avant la charge de travail. L’arrivée de cette demande de formation est un autre nouveauté de cette année. Les années précédentes les revendications salariales étaient déjà là.
Blanquer lâché par ses cadres
Le grand changement de ce Baromètre c’est dans le rapport des personnels aux choix du ministre. Selon le Baromètre, seulement 21% des personnels sont en accord avec les choix politiques faits. C’était 24% en 2017. La baisse de 3% vient en partie des enseignants : seulement 17% des PLC et 16% des PE sont en accord avec les choix de JM Blanquer. Mais, et c’est nouveau, elle vient aussi des cadres. Seulement 49% des IPR sont en accord avec la politique menée. C’était 64% en 2017. Chez les IEN on est passé de 73% à 37% ! Chute aussi chez les personnels de direction : 43% contre 57% en 2017.
Dans tous les Baromètres des années précédentes, le rapport aux politiques menées par la rue de Grenelle était la grande frontière qui opposait les enseignants et l’encadrement. D’un coté les enseignants exprimaient leur désaccord alors que les cadres étaient majoritairement d’accord.
L’absence de soutien des cadres à la politique ministérielle est la grande nouveauté de cette année. Mais on pourrait ajouter aussi une autre surprise : JM Blanquer a eu beau revenir sur les rythmes scolaires ou sur la réforme du collège. Il n’a pas gagné en soutien chez les enseignants, bien au contraire.
Le résultat c’est que pour la première fois aucune catégorie de personnel de l’Education nationale ne soutient le ministre. Ses déclarations sur « l’allant pour les réformes » viennent de prendre un démenti d’autant plus cinglant que le ministre semble bien isolé. Les seules catégories qui se déclarent majoritairement en accord avec la politique suivie sont des corps d’autres ministères : inspecteurs de l’enseignement agricole ou conseillers techniques et pédagogiques supérieurs (CTPS) du mouvement sportif.
Le rejet des réformes à venir
D’autres questions posées par le Baromètre confirment ce rejet de la politique en cours. Ainsi seulement 11% des consultés, 10% des PLC et 6% des PE sont favorables à une rémunération au mérite. Un tiers des PE et un cinquième des PLC sont contre toute prise en compte du mérite. 41% seraient favorables à une prise en compte du mérite si cela ne freine en rien la carrière des autres.
Sur le statut c’est encore plus clair. Alors que le gouvernement a clairement annoncé sa remise en cause, 75% des consultés sont hostiles à toute action contre le statut (75% des enseignants également).
Enfin quand on demande si le ministre a mis ses paroles sur l’Ecole de la confiance en accord avec ses actes, seulement 29% des consultés, 22% des PE et 29% des PLC répondent oui.
« La grève ce n’est pas dépassé »
Pour Frédéric Marchand, le nouveau secrétaire général de l’Unsa Education, « quand on entend dire le ministre que les professeurs sont pour les réformes, ce n’est pas ce que disent les enseignants ». L’Unsa Education estime que « les personnels de l’éducation… souhaitent davantage de reconnaissance, ainsi qu’un parcours professionnel plus personnalisé. S’ils sont favorables à des évolutions pour leur carrière, ils marquent néanmoins leur désaccord avec la politique en cours. En effet, seulement 20,8 % des personnels interrogés adhérent aux choix politiques. Ceci représente une baisse de 3 points depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron et du nouveau gouvernement. Les éléments de mécontentement existent donc toujours. La confiance ne semble pas retrouvée ».
L’Unsa Education a choisi de ne pas appeler à la grève le 22 mars mais « ce n’est pas parce qu’il y a une divergence sur le fond des dossiers avec les autres syndicats », nous a dit F Marchand. « On n’écarte pas la possibilité un jour de rejoindre l’intersyndicale. La grève contrairement à ce qu’a dit Blanquer ce n’est pas dépassé ». Les résultats du Baromètre poussent en ce sens.
François Jarraud