« (Ré)écrire à l’école, pour penser et apprendre » : tel est le thème du nouveau dossier de veille de l’IFE réalisé par Claire Joubaire. En écho à la Conférence de consensus qui se tient les 14-15 mars 2018 à Paris, il s’agit de faire le point sur les recherches actuelles en la matière : quelles articulations entre pratiques scolaires et extrascolaires des élèves ? que nous enseignent les différents modèles didactiques qui se sont succédé ? comment désormais travailler au mieux l’écriture en classe, en ajustant postures et regards ? Un dossier éclairant, une conférence alléchante, et une question encore en germe : quid du numérique, qui transforme en profondeur les formes et les enjeux de l’écriture, jusque dans l’Ecole ? Cette « conversion du littéraire » est précisément le thème du numéro 200 de la revue « Le français aujourd’hui » qui vient de paraitre…
Ecrire en classe : synthèse des recherches
Les définitions de l’écriture sont plurielles, rappelle Claire Joubaire dans le dossier de veille de l’IFE : activité cognitive, production langagière, pratique sociale. Les modalités d’écriture extrascolaire des élèves sont d’ailleurs à mieux prendre en considération « pour identifier et faire identifier par les apprenants les compétences et les ressources qu’ils y développent », pour mettre en place « une didactique de la variation langagière et culturelle », pour ouvrir « des pistes concrètes » susceptibles de « faire passer des élèves à l’écriture », pour que « les élèves comprennent mieux les activités scolaires et y adhèrent davantage ».
Claire Joubaire éclaire les modèles didactiques qui ont successivement prévalu. Le modèle de « la rédaction » jugeait la « conformité de la production écrite finale de l’élève à des stéréotypes culturels, moraux et linguistiques ». Le modèle de « l’expression écrite » fut par réaction centrée sur « l’expression de soi », plus libre, plus régulière. Apparu dans les années 80, le modèle de la « production d’écrit » amenait à travailler sur les « invariants des types de textes » et à proposer une « évaluation critériée », à l’origine par les élèves eux-mêmes. Enfin, le modèle du « sujet-écrivant » a été formalisé à partir de la fin des années 1990 autour des travaux de Dominique Bucheton : il prend en compte « l’importance des effets de l’écriture sur le sujet qui écrit » et le rôle essentiel de la lecture de textes littéraires, susceptible de favoriser « l’épaississement du texte » et le fécond travail des « écrits intermédiaires ».
Quelles conséquences pour le travail des enseignant.es ? Claire Joubaire rappelle les préconisations de Dominique Bucheton. L’enseignant.e doit s’attacher à créer des « espaces pour l’investissement subjectif de l’élève, qui travaille avec le temps long ». Il faut favoriser « la maturation de la pensée et des apprentissages, la mise à distance des affects, qui prend appui sur le rôle décisif des interactions entre pairs (on se lit, on se copie, on se singularise) ». D’où aussi l’importance de la notion de « posture », celle des élèves comme des professeur.es : l’enseignant.e doit en particulier « inventer des dispositifs et des consignes d’écriture » qui permettront aux élèves « d’emprunter tour à tour différentes postures face à l’écriture d’un texte, car les élèves les plus en réussite sont ceux et celles qui peuvent le plus aisément changer de posture. »
Quand il s’agit de corriger des copies, l’enseignant.e peut d’ailleurs s’interroger sur ses propres postures, celles qu’a éclairées une étude de Jean-Luc Pilorgé : « gardien du code », « lecteur naïf », « stimulus-réponse » (il s’agit d’évaluer la conformité aux consignes), « éditeur » (« le texte est considéré comme en devenir, sans jugement de conformité aux normes » et on s’appuie « sur les spécificités du texte lu pour émettre des suggestions en vue d’une réécriture »), « critique » (le texte de l’élève est alors considéré comme « un texte littéraire », à analyser).
Enfin, Claire Joubaire souligne combien le « temps passé à planifier la tâche d’écriture et à revenir sur l’écrit produit se révèle fructueux pour les élèves, et en particulier les élèves les plus faibles. » Peut-on, objecteront certain.es, faire écrire des élèves qui ne maitrisent pas les règles élémentaires de l’orthographe ? La réponse des expert.es est claire : il convient de « ne pas attendre la maitrise des accords par les élèves pour leur donner des occasions d’écrire des textes », il y a « nécessité de produire des écrits, et pas seulement de copier, même avant de maitriser le code » (Roland Goigoux).
Ecrire en classe : nouvelles perspectives
Une synthèse éclairante, assurément. Qu’on se permettra de compléter par une remarque : dans ce dossier IFE comme dans la conférence CNESCO des 14-15 mars, le numérique ne semble abordé qu’à la marge. Par une question de Franck Amadieu qui le réduit à une technique : « Comment intégrer les outils numériques dans l’apprentissage de l’écriture ? » Par une question de Marie-Claude Penloup qui l’aborde fort heureusement comme milieu : « Peut-on mobiliser les pratiques hors école de l’écriture numérique ? » Rappelons-le une fois encore : le numérique est la nouvelle culture de l’écrit, en particulier pour nos élèves. Tant les claviers et les écrans démocratisent l’écriture Tant ils en transforment les gestes (couper, copier, coller, déplacer …) et les modalités (collaboratives, transformatives, multimédia …). Tant ils modifient la littérature elle-même. Tant ils invitent à créer et penser de nouvelles pratiques scolaires. Il reste alors à formuler le vœu que s’opère enfin la rencontre entre les sciences de l’éducation et les humanités numériques.
Un vœu exaucé par la revue « Le français aujourd’hui » qui consacre son numéro anniversaire au tournant essentiel que l’Ecole a le défi et la chance de vivre : « Écritures numériques : la conversion du littéraire ? » Le dossier éclaire les riches modalités de travail que libère le numérique pour transformer les appétences en compétences. Des exemples concrets et variés y démontrent en particulier combien il est fécond d’exploiter en classe des pratiques informelles (les réseaux sociaux, les fanfictions, les nouvelles formes de narration …) pour favoriser habiletés langagières, plaisirs de lire, créativité, réflexion sur la littérature ou sur le numérique lui-même.
On laissera alors la conclusion à Serge Bouchardon et Isabelle Cailleau qui invitent à « former de véritables « lettrés » du numérique capables non seulement d’utiliser des outils mais aussi de comprendre en quoi ils influent sur nos manières de construire la connaissance et d’agir en relation avec autrui. » Il s’agit de « ne pas penser le numérique seulement comme un moyen, mais comme notre milieu (et en particulier comme notre nouveau milieu d’écriture et de lecture), c’est-à-dire ce qui est à la fois autour de nous mais aussi entre nous, ce selon quoi nous agissons et que nous transformons dans une relation de co-constitution permanente. »
Jean-Michel Le Baut
Le numéro 200 de la revue Le français aujourd’hui