« L’équité territoriale demande une administration centrale concentrée sur les territoires, confiante dans leur capacité à co-réguler, avec elle, les effets de la diversité et à adopter localement les meilleures stratégies pour l’aboutissement de priorités nationales clairement énoncées. Cette confiance dans les acteurs locaux et les responsables académiques peut se traduire par une déconcentration et une responsabilisation renforcée, en particulier dans les domaines budgétaire et de ressources humaines ». Publié le 2 mars, le rapport annuel des inspections générales consacré aux « territoires éducatifs » fait date. Il recommande un nouveau découpage territorial de l’éducation nationale privilégiant les 17 recteurs de région académique. Surtout il envisage de supprimer l’écart entre le pédagogique et l’administratif pour installer une « ligne directe du ministre à la classe ». En accélérant la décentralisation de l’éducation, les inspecteurs veulent rapprocher le pilotage de la classe. Il n’est pas certain que les enseignants apprécient…
Une décentralisation illisible et inefficace
« Le territoire c’est le lieu de tangence du système éducatif avec l’usager ». Ce n’est pas par hasard que l’Inspection générale a choisi la territorialisation pour ce nouveau rapport annuel. La question clôt le dernier livre du ministre (L’école de demain, Odile Jacob). Elle renvoie à l’efficacité d’un système que l’Inspection déclare, comme JM Blanquer, « illisible » et qu’elle accuse d’inefficacité. Or la clé de l’efficacité, pour les Inspecteurs comme pour leur ministre, c’est le pilotage, c’est à dire le contrôle de ce qui se passe en classe. Le rapport traite donc aussi de l’encadrement, ses missions et la réorganisation de ses corps.
Pour réaliser ce rapport, les Inspections ont repris 30 ans de leurs travaux. C’est sur la base de ces 120 rapports, minutieusement épluchés, qu’ils vont au delà du constat pour élaborer des perspectives.
Longtemps très centralisé, le système éducatif français s’est territorialisé depuis les lois de décentralisation, de 1982 à la récente loi NOTR. Le rapport met aussi en avant, à juste titre, l’influence de la LOLF (2006) qui a obligé l’administration à penser en termes de missions et à passer au management.
De cette territorialisation, les inspecteurs tirent un jugement sévère. D’un coté, « la centralisation excessive du système éducatif français a montré ses limites. En effet, une telle rigidité ne permet pas la prise en compte des paramètres spécifiques du territoire (académique, départemental ou infradépartemental), l’adaptation au contexte et le traitement adéquat de l’hétérogénéité des situations ». De l’autre, » Cette décentralisation accompagne autant qu’elle produit une forme d’affaiblissement de l’État. Elle est particulièrement marquée dans l’éducation nationale : difficulté à définir des politiques de long terme qui correspondraient au temps de l’éducation, permettant un véritable pilotage ; paupérisation de l’État, privé des moyens de mettre en oeuvre sa politique et tenté, par conséquent de se décharger sur les collectivités locales ». Ajoutons que le découpage administratif de l’éducation nationale n’est souvent plus en cohérence sur le terrain avec les espaces vécus ou les nouvelles organisations administratives, et que l’ensemble est devenu « illisible ».
Pour autant le rapport ne veut pas non plus faire l’apologie du « localisme ». » Il faut.. si l’on veut garder cette ambition qui veut que « chaque élève soit également pris en compte », qu’on aille le chercher dans son territoire (il faut partir du territoire), mais que son parcours ne soit pas marqué par ce territoire. Il faut égaliser les opportunités de destin scolaire, et pour cela finalement dépasser le territoire, le transcender.. La logique est donc à la fois de partir des spécificités du territoire dans une logique adéquationniste (adapter l’appareil de formation, les parcours, les schémas d’orientation et les niveaux de formation à la réalité du tissu économique local), mais de ne pas s’y enfermer », dit le rapport. Il est sévère pour « la territorialisation sauvage » que serait trop de transfert au niveau local.
La réforme des académies
Ces considérations amènent l’Inspection à faire des considérations prospectives sur l’évolution de l’administration de l’éducation nationale.
» Alors que les préfectures de région se réorganisaient (avec la loi NOTR) conformément aux nouveaux redécoupages, la tentation était grande de revoir intégralement la carte académique et de la limiter à dix-sept académies et dix-sept recteurs pour un pilotage du système resserré autour du ministre », note le rapport. Au lieu de cela » la solution trouvée, avec la création de huit régions pluri-académiques, ne peut être que provisoire. La lisibilité gagnée en trente ans – même si elle n’est pas complètement atteinte – dans les organisations et la carte des compétences est aujourd’hui affaiblie par cette nouvelle donne qui opacifie et disperse compétences et responsabilités dans un collectif incertain ». Pour l’Inspection cette situation » faute de clarté dans la chaîne hiérarchique et des responsabilités, risque d’affaiblir singulièrement l’impulsion des politiques nationales à l’échelle des territoires ».
Paradoxalement, c’est au nom de l’intérêt de l’Etat que l’Inspection demande « une nouvelle carte des académies » qui soit raccord avec le découpage régional. » Une réforme structurelle est aujourd’hui nécessaire pour renforcer l’efficacité de l’action et mieux coordonner les politiques publiques menées au niveau territorial. La meilleure coordination peut ici s’entendre à différents niveaux : meilleure coordination des responsables académiques avec l’administration centrale, pour un pilotage national renforcé et une régulation plus efficace autour du ministre…; meilleure coordination des responsables académiques avec les partenaires régionaux et les autorités infra-académiques pour une meilleure impulsion des politiques éducatives nationales ».
De nouveaux Dasen
Le rapport envisage aussi de revoir les DSDEN et de ne plus les aligner obligatoirement sur les départements. » Cette révision de la carte des DSDEN aurait deux avantages principaux, similaires à ceux de la nouvelle carte académique. Elle procéderait à une configuration élargie rapprochant et renforçant des territoires aujourd’hui affaiblis par leur isolement. Elle procéderait également à un resserrement de l’équipe de direction pour une meilleure régulation du pilotage et l’efficacité de la stratégie académique. Des arguments qui doivent l’emporter sur les exigences locales politiques réclamant parfois l’exclusivité d’un DASEN ou d’une DSDEN pour un département ». Un Dasen pourrait avoir autorité sur plusieurs départements ou sur un territoire interdépartemental. Le Dasen serait alors le représentant du recteur auprès des collectivités locales : » relais politique incontournable dans la perspective de la multiplication des interlocuteurs issus des jeux de délégations de compétences entre collectivités et communautés de communes ».
Piloter « du ministre à la classe »
Le rapport arrive à la réforme du pilotage. » Loin de s’affaiblir dans son parcours entre le niveau national et la classe, la ligne pédagogique partie du ministre et de la DGESCO doit être relayée et stimulée, sans risquer de démultiplier les commandes et de noyer les équipes dans une diversité de consignes gestionnaires, organisationnelles ou disciplinaires », dit le rapport. Et l’instrument de ce pilotage doit être le Dasen ce qui implique une réorganisation de l’administration académique.
Pour le rapport il est clair que l’autorité administrative et l’autorité pédagogique doivent ne plus faire qu’un. Concrètement cela veut dire que l’autorité disciplinaire des IPR doit s’effacer devant l’autorité administrative.
» La nécessité d’un accompagnement de proximité d’établissements plus autonomes dans la conception et la mise en oeuvre de l’action pédagogique, contribue à redéfinir en profondeur les missions et le positionnement de l’encadrement pédagogique, et spécifiquement des inspecteurs pédagogiques régionaux, une catégorie d’acteurs qui semble particulièrement touchée par les redéfinitions en cours », dit l’Inspection générale. « Les modes de collaboration entre les corps d’inspection pédagogique et les DASEN doivent évoluer, sans exiger ou supposer une ligne hiérarchique nouvelle mais plutôt opérer des croisements d’expertises utiles aux établissements et aux équipes ».
De nouveaux conseils
Les Dasen seraient donc dotés d’un nouveau conseil pédagogique départemental composé autour du Dasen des IPR et, ponctuellement, des IEN. Ce conseil aurait pour mission « de construire les modalités d’accompagnement d’équipes et de partager les observations de terrain ».
Le rapport invite aussi à s’appuyer sur les réseaux existant sur le terrain et à encourager la collaboration entre l’administration de l’éducation nationale et les autres acteurs sur le terrain et au niveau national. A ce niveau, un autre conseil national serait créé pour traiter de questions reposant sur la collaboration comme le numérique ou l’apprentissage.
» L’équité territoriale demande une administration centrale concentrée sur les territoires, confiante dans leur capacité à co-réguler, avec elle, les effets de la diversité et à adopter localement les meilleures stratégies pour l’aboutissement de priorités nationales clairement énoncées. Cette confiance dans les acteurs locaux et les responsables académiques peut se traduire par une déconcentration et une responsabilisation renforcée, en particulier dans les domaines budgétaire et de ressources humaines avancés dans la charte de déconcentration de 2015 : un mouvement qui permettrait des pilotages mieux adaptés aux diversités de contexte, d’attractivité et d’exercice vécus quotidienne ment au sein de nos territoires. Dans ce domaine, le principe de subsidiarité (réserver à l’échelon supérieur uniquement ce que l’échelon inférieur ne pourrait effectuer que de manière moins efficace), l’obligation de proportionnalité (ne pas excéder ce qui est – strictement – nécessaire à la réalisation des objectifs en évitant une réglementation ou des injonctions trop détaillées) et les modalités de partage de compétences (exclusives, partagées et dévolues) réaffirmés par le traité de Lisbonne sont des outils efficaces à la révision des modes de fonctionnement entre administration centrale et déconcentrée ».
Une réforme souhaitée par Blanquer
La réforme territoriale fait l’objet d’un chapitre important dans le dernier livre du ministre. Il décrit une organisation « illisible » à la fois parce que les 13 nouvelles régions académiques n’ont pas gommé le découpage académique plus ancien et parce que « les fonctions d’inspection sont ambiguës ». Pour le futur ministre il faut « réconcilier les fonctions de direction et d’inspection ». JM Blanquer se montre favorable à une large autonomie des établissements, la mission d’évaluation et d’embauche des enseignants étant confiée aux chefs d’établissement. Les inspecteurs et les chefs d’établissement se rapprocheraient dans un corps nouveau, un projet qui fait débat depuis plusieurs années chez les intéressés. Mais JM Blanquer se montrait favorable à une décentralisation accordant plus d’autonomie au niveau des circonscriptions alors que le rapport de l’Inspection juge ce découpage des circonscriptions périmé et veut renforcer le rôle des Dasen.
Une question devenue incontournable
La question de la réforme territoriale est bien au coeur du débat éducatif. Il avait été ouvert par A Bouvier et B Toulemonde au moment de la refondation. Et la thèse récente de Claire Dupuy sur la régionalisation est utilisée pour justifier d’aller plus loin dans la décentralisation et l’autonomie locale. Dans un numéro récent de la Revue de Sèvres Anne Barrère et Bernard Delvaux jugent la fragmentation des systèmes éducatifs nationaux inévitable.
Pourtant on pourrait citer aussi des mouvements inverses. Ainsi en Suisse, où l’autonomie scolaire descendait parfois jusqu’au niveau de la vallée, l’harmonisation entre les systèmes éducatif avance. En Allemagne le choc Pisa a renforcé la cohérence entre les Länder. PLus récemment au Québec, un modèle avancé par JM Blanquer, les commissions scolaires sont menacées. Des pays qui sont allés très loin dans l’autonomie des établissements ont obtenu des résultats décevants que ce soit en Suède ou en Belgique.
Les professeurs en première ligne
Ce qui est certain c’est que les enseignants sont au coeur du processus, même s’ils ne le souhaitent pas. C’est la gestion locale des ressources humaines qui permettrait par exemple d’affecter les enseignants au niveau des régions académiques et non plus des académies. Déjà des recrutements interacadémiques de contractuels se mettent en place.
La fusion des corps d’encadrement permettrait de rapprocher le pilotage pédagogique jusqu’au niveau local. Car si la question territoriale a à voir avec la gestion des moyens, elle est aussi un outil pour contrôler et diriger davantage le travail dans la classe.
François Jarraud