Comment faire saisir aux élèves que l’écriture est susceptible d’augmenter notre réalité ? Pourquoi pas en utilisant précisément les supports numériques de la réalité augmentée ? C’est le défi joliment relevé par Joanna Marques, professeure de lettres, avec ses 6èmes du collège Robert Doisneau à Clichy-sous-Bois. Chaque élève a écrit un poème inspiré d’une photographie d’objet. L’application Aurasma a ensuite permis la projection du texte sur l’image. Les photographies ont été affichées sur le mur d’une salle et les élèves, équipés de tablettes, ont pu découvrir tous les poèmes liés aux objets, leur poids de mémoire et leur pouvoir d’imaginaire. Au moment où s’ouvre le 10ème Printemps des poètes et des poétesses, Joanna Marques éclaire les modalités de ce travail original qui détourne la mode Pokemon Go pour favoriser « l’ardeur » d’écrire…
Dans quel contexte avez-vous lancé ce projet de réalité augmentée ?
Le premier chapitre cette année en 6ème était consacré à la poésie, autour d’éléments du quotidien. Le jeu Pokemon Go avait occupé les élèves (et certains professeurs !) une partie de l’été : j’ai donc décidé de rebondir sur cette mode et d’essayer d’ajouter de la réalité augmentée à des photographies d’objets sur lesquels nous écririons. Je souhaitais notamment engager les élèves dans la création, donner une nouvelle dimension à l’exercice « écrire un poème ». Passer par un visuel, voire un son – ce qui a été proposé mais retenu par aucun élève, faute de temps notamment – pouvait aider certains élèves bloqués face à une feuille. L’application Aurasma m’avait été présentée en formation et le collège disposait d’un chariot de douze tablettes, ce qui rendait matériellement possible le projet. Au-delà de l’aspect visuel donné à la poésie, j’étais également motivée à montrer aux élèves comment pouvait fonctionner la réalité augmentée, de plus en plus présente et leur proposer d’en créer par eux-mêmes afin de comprendre et s’approprier leur environnement, ce qui me semble rejoindre l’esprit du socle commun.
Vous avez commencé par aborder la notion de réalité augmentée telle qu’elle se manifeste dans la poésie : pouvez-vous expliquer la façon dont vous avez envisagé cette notion et la démarche suivie avec les élèves ?
Définir la réalité augmentée a été compliqué, notamment car la notion évolue encore. J’ai lu plusieurs articles et définitions sur le sujet afin d’en apporter une compréhensible par les élèves, et j’ai découvert de nombreuses œuvres utilisant la réalité augmentée. Nous sommes passés par l’observation d’œuvres diverses, en commençant par Le Violon d’Ingres… Les œuvres ont été choisies pour leur diversité : vidéos, photographies, street art. Les élèves ont particulièrement aimé les vidéos de Marty Cooper. Cette observation s’est faite assez librement, les questions et remarques des élèves affluant devant les œuvres. Il a toutefois été difficile d’en tirer une définition de réalité augmentée. J’en ai donc donné aux élèves la définition suivante: « un(des) élément(s) virtuel(s) superposé(s) à un élément réel », assez large pour englober de nombreuses œuvres.
Il peut paraitre ambitieux de demander à des élèves de 6ème d’écrire à leur tour des poèmes : quelles ont été les consignes, étapes et modalités de travail pour mener ce travail à bien ? pouvez-vous donner des exemples de réussites intéressantes ?
La première étape a été d’apporter une photographie de l’objet, imprimée ou sous forme numérique afin qu’elle soit imprimée au collège. Afin d’aider les élèves dans l’écriture, il leur a été demandé de commencer par dresser une liste de dix mots en lien avec leur objet façon « brainstorming ». D’autres activités auraient pu être menées en amont, afin d’aider notamment les élèves à évoquer des sentiments liés aux objets, à la manière des poèmes lus en classe. Certains élèves ont choisi des sujets par défaut (calculatrice, trousse …) qui ont malheureusement abouti à des poèmes très impersonnels, uniquement centrés autour d’un aspect utilitaire. Passé la première étape de la liste de mots, la consigne était d’écrire un poème sur l’objet. Une figure de style était demandée : je regrette maintenant cette consigne, qui favorise dans l’esprit des élèves l’idée qu’un texte, un poème, c’est une accumulation de figures de style. Je cherche encore des moyens d’aider les élèves dans l’écriture de poèmes ! Certains ont produit des poèmes avec rimes, évoquaient leurs sentiments … quand d’autres ont eu davantage besoin d’être aidés dans le processus.
Pendant que les premiers commençaient le travail sur tablette avec une fiche-tutoriel, j’aidais ceux qui avaient besoin d’être épaulés pour écrire. Une fiche d’auto-évaluation permettait de vérifier si les consignes initiales étaient respectées (rimes, figure de style, évocation des sentiments …). Les réussites étaient souvent liées au choix de l’objet : une élève a écrit sur son classeur de dessin, où elle range ses œuvres depuis des années, une autre sur le collier de sa mère (elle avait d’ailleurs opté initialement pour son « doudou », puis a changé de sujet !) … dans ces poèmes, les élèves ont parlé des souvenirs et sentiments liés à l’objet choisi. Un autre poème marquant portait sur une cage à oiseau : l’élève y a projeté des notions comme la liberté, l’expression… c’était très étonnant.
Comment avez-vous procédé pour transformer ces textes en créations avec réalité augmentée ? Quels ont été les intérêts et les difficultés spécifiques de cette étape qui parait assez technique ?
Une fois le poème écrit, il fallait le taper sur le site Pixlr : cela permettait d’afficher le texte sur une image à fond transparent, qui serait ensuite projeté sur la photographie grâce à l’application Aurasma. Les élèves ayant terminé les premiers leurs poèmes ont ainsi tapé leur texte et appris à créer une image à fond transparent. Malgré l’omniprésence numérique, tous les élèves ne sont pas équipés et ils utilisent souvent leur portable bien plus qu’un ordinateur. J’essaie le plus souvent possible de les faire utiliser un clavier, leur montrer des compétences qui peuvent sembler acquises par tous comme les lettres accentuées, centrer un texte … mais qui ne le sont pas par la plupart de mes élèves ! Une élève a installé l’application sur son téléphone personnel, elle a ainsi pu travailler directement dessus.
Malgré une fiche-tutoriel, il était difficile pour les élèves de réaliser seuls l’incrustation avec l’application Aurasma : il s’agit de choisir une image (leur photographie) qui déclenche l’apparition d’une autre (le poème à fond transparent) lorsqu’on la survole avec la tablette. Une collègue nous a aidés sur une séance, mais il aurait fallu être deux professeurs tout au long de cette étape : un avec les élèves pour poursuivre l’écriture, un autre pour aider le travail sur Aurasma. Je tenais à ce que les élèves comprennent et s’approprient le fonctionnement de l’outil mais cela n’a pas été sans difficulté ! C’est un outil assez spécifique et un tutoriel ne suffit pas (notamment parce que les élèves ne sont pas familiarisés avec ce format ?). Je me suis beaucoup servie du tutoriel des Medi@fiches de l’académie de Créteil.
Comment avez-vous favorisé la réception de ces créations ? Comment ont-elles été accueillies ?
Afin que les œuvres des élèves soient valorisées, nous avons imaginé une « exposition » : les photographies ont été affichées sur le mur d’une salle et sur une séance, équipés de tablettes, les élèves ont parcouru les photographies choisies par leurs camarades et découvert sur Aurasma le poème lié à l’objet, donc les sentiments, histoires … qu’ils portaient. Je garde un très bon souvenir de cette séance, les élèves étaient curieux de découvrir l’histoire des objets, certains les intriguant plus que d’autres (classeur, cahier qui étaient en fait un classeur à dessins, un journal intime …). Chaque élève avait une fiche à remplir afin de réinvestir quelques notions travaillées lors du chapitre. J’aurais aimé ouvrir cette exposition à d’autres classes, voire la laisser en libre accès au CDI un certain temps si les élèves acceptaient ainsi de s’ouvrir à leurs camarades du collège, mais les contraintes techniques étaient importantes (pas de tablette au CDI notamment.)
Au final : quels vous semblent les intérêts de l’écriture créative en classe ? et quel vous semble l’intérêt d’y ajouter de la réalité augmentée ?
Ce type d’écriture peut permettre de familiariser les élèves avec l’écriture littéraire, comprendre que leurs écrits ont une valeur et ne sont pas de simples devoirs scolaires. Ils se rendent compte qu’ils ont eux aussi une histoire à raconter et qu’elle peut nourrir leur lecture : je me souviens du « Buffet » de Rimbaud qui n’a pas été compris immédiatement, jusqu’à ce qu’un élève parle d’un meuble chez ses grands-parents et des divers objets dedans, ce qui l’a aidé à comprendre le poème. Les élèves ne font pas toujours ce type de rapprochement d’eux-mêmes. En début d’année, le projet a également permis de faire connaissance avec et entre mes élèves de 6e.
Ajouter de la réalité augmentée à ces poèmes plutôt que d’accoler une image et un poème avait plusieurs objectifs : faire découvrir le fonctionnement de ce système aux élèves ; encourager l’écriture ; leur permettre d’y ajouter d’autres éléments (un son, une musique …), d’enrichir leur objet de différents éléments virtuels. Il y avait également l’idée d’un écrit sur l’objet qui se dévoile progressivement, seulement par le biais de l’application. Je souhaitais aussi initier un travail sur la réalité augmentée afin de le réinvestir tout au long de l’année sur les cahiers des élèves notamment (contenus enrichis : textes et cours lus notamment).
Des conseils pour des collègues qui seraient tentés d’adopter de semblables démarches ?
Je conseillerais de ne pas commencer par des projets trop lourds. Apprivoiser une application, un outil, pour les élèves, est assez chronophage. Le professeur doit tester et bien maîtriser les outils proposés en amont. S’assurer que leur maîtrise est un objectif pour les élèves : sinon, cela peut être pris en charge par le professeur. Si possible, se faire épauler par des collègues : en établissement pour la réalisation mais aussi en amont, pour des conseils, avis ou pour mener le projet à plusieurs.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Les Médiafiches de l’académie de Créteil autour d’Aurasma