« Tous les acteurs de la voie professionnelle, particulièrement les professeurs, doivent sentir un vent de renouveau ». Ces propos de JM Blanquer ouvrent le 22 février la présentation du rapport sur la voie professionnelle de la députée EM Céline Calvez et du cuisiner Régis Marcon. Quelques jours après la publication des rapports sur l’apprentissage et sur la réforme du lycée, ce texte aurait pu clore la réorganisation de l’enseignement secondaire. En fait il donne des pistes assez vagues, teintées de bons sentiments, reprenant de vieilles idées du ministère, qui n’engagent en rien le ministre. En se basant sur ses points les plus inquiétants, JM Blanquer pourrait faire passer des mesures conduisant à une déprofessionnalisation de la voie professionnelle.
Réorganisation de la voie pro
La principale mesure semble être la réorganisation des filières. Les deux rapporteurs envisagent des secondes professionnelles réorganisées autour de seulement 5 à 15 familles de métiers au lieu des 80 filières actuelles. « On n’entre pas dans un métier bloqué mais dans un panel qui permettra de les découvrir » explique R Marcon. C Calvez parle de « parcours progressif vers une spécialisation plus poussée ». Pour les rapporteurs les filières actuelles trop précises sont « trop compliquées pour les familles ». Le regroupement est « plus lisible pour les familles ».
En seconde l’élève suit un enseignement de découverte des métiers à la place des stages en entreprise. L’accent est mis sur « les compétences transversales », c’est à dire le savoir être en entreprise, l’esprit d’entreprendre. Tout cela est délivré dans un module spécial. Le choix de la spécialité se fait en fin de seconde.
A partir de la première l’élève suit de véritables périodes de formation en entreprise. Mais ces périodes seront redéfinies avec les branches professionnelles. Leur durée et leur seront définis au niveau de l’établissement. Mais le nombre global minimum de PFMP sera précisé diplôme par diplôme au niveau national.
En fin de première le jeune doit choisir entre la poursuite d’études ou l’insertion professionnelle. En terminale il suivra un module de recherche d’emploi ou un module de préparation aux études supérieures. Interrogés par le Café pédagogique, les deux rapporteurs étaient incapables de donner des précisions sur le contenu, le volume horaire ou les enseignants de ces modules.
L’orientation
La question de l’orientation vers la voie professionnelle est un point important abordé par les rapporteurs comme une question d’information. Pour eux il suffit de développer une plateforme numérique d’information des familles sur l’orientation.
La rapport consacre aussi un chapitre au CAP. » Confrontées à une demande pressante des familles, les académies ont été conduites, au cours des dernières années, à sécuriser la poursuite d’études d’élèves qualifiés de prioritaires, en leur réservant des places en CAP avec, pour conséquence, de restreindre, voire d’interdire à des élèves issus de troisième générale, l’accès à ces formations : aujourd’hui, les élèves provenant de l’enseignement adapté représentent en moyenne le quart des élèves accueillis en première année de CAP alors que la proportion des élèves de troisième tend à diminuer. Certains CAP sont devenus, de fait, quasi-exclusivement réservés à des élèves de Segpa, avec une distance de plus en plus perceptible entre les attendus du diplôme et le degré de maîtrise des compétences que possèdent ces élèves », écrit le rapport. Il demande » la consolidation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ».
Mélange des publics
A tous les niveaux, le rapport préconise de mélanger les publics, élèves en statut scolaire et apprentis. Il demande la suppression des diplômes intermédiaires comme le BEP. Les diplômes seraient délivrés en blocs de compétences. Ce sont ces blocs qui remplaceront notamment les diplômes intermédiaires.
Les enseignants en entreprise
Certaines préconisations concernent les enseignants. Le rapport veut » créer des modules de formation communs aux enseignants des disciplines générales et des disciplines professionnelles, centrés sur la connaissance de l’entreprise, le travail en mode projet et l’ingénierie pédagogique ». Il souhaite aussi un stage d’une semaine en entreprise pour les futurs enseignants de la voie professionnelle, quelle que soit leur discipline.
Il souhaite aussi que des professionnels aient accès plus facilement aux métiers de l’enseignement en lycée professionnel.
Le ministre a mis en avant une nouvelle fois les campus des métiers , évoquant des « Harvard du professionnel ». Une vision qui ne lui coute pas grand chose puisque ce sont les régions qui financent les campus. Il s’agit de « créer des locomotives ».
JM Blanquer va maintenant entrer en concertation avec les syndicats. Il fera part de ses décisions en avril.
Des préconisations qui ignorent la réalité
On est frappé de la légèreté du rapport sur bien des points. A commencer par l’orientation et l’attractivité de la voie professionnelle.
La réalité de l’orientation vers la voie professionnelle c’est que celle ci se fait encore majoritairement sur l’échec et que la diffusion d’informations n’y changera pas grand chose. Aujourd’hui 14% des familles demandent la voie professionnelle mais 36% y vont. De plus il faut souligner que les jeunes obtiennent rarement la spécialité qu’ils souhaitent. Ils sont orientés vers les spécialités où il reste des places en fonction de leur livret scolaire de 3ème. Rien ne dit que ça change…
Comment améliorer l’attractivité du bac pro ?
Il y a pourtant des solutions pour améliorer l’attractivité de la voie professionnelle. Vincent Troger a montré que le bac pro a gagné en attractivité depuis 2010 en offrant une nouvelle voie d’accès au supérieur. Selon lui, la réforme du bac pro a changé le regard des élèves sur l’enseignement professionnel. » Le seul fait d’avoir créé le bac pro en 3 ans a changé les aspirations de ces jeunes. Même si leur situation culturelle les rend plus à l’aise dans les savoirs instrumentaux , ils ont maintenant un accès possible à l’enseignement supérieur. Ca ouvre des possibilités de promotion suite à cette décision politique », nous a-t-il dit en 2016. « En retirant une année d’études à des familles pour qui elles pèsent sur le budget, et en retirant le blocage du BEP pour ouvrir la perspective du bac, c’est clair que ça a ouvert des aspirations… Un aspect symbolique aussi a joué : c’est le bac en 3 ans donc c’est le même bac que les autres, se sont dits les jeunes ».
De fait de 2010 à 2017 le nombre de bacheliers professionnels a d’ailleurs explosé passant de 110 000 à 190 000. Et c’est cette explosion qui a porté la démocratisation du bac. Aujourd’hui plus de 100 000 jeunes bacheliers professionnels souhaitent poursuivre des études supérieures. 70 000 demandent une place en BTS , la filière du supérieur où ils ont un taux de réussite correct. Mais seulement 37 000 sont admis. Environ 14 000 s’inscrivent en université faute de mieux et là ils échouent massivement. Les autres abandonnent le rêve qu’on leur a fait miroiter.
De ce terrible gâchis le rapport ne dit rien. La nouvelle loi Vidal va de fait bloquer l’accès en université des bacheliers professionnels sans que pour autant un effort soit fait pour augmenter significativement le nombre de places en BTS. Et ce n’est pas un module qui remplacera ces places. Interrogé par le Café pédagogique, JM Blanquer dit seulement « qu’il est évident qu’on doit avoir des places réservées pour les bacs pros en BTS. On peut avoir des mesures volontaristes ».
Mais il y a pire encore. La réforme multiplie les incitations à ne pas poursuivre d’études supérieures avec un choix final en fin de première. Ceux qui feront ce choix se heurteront au mur du manque de places. Et ceux qui auront choisi l’insertion professionnelle sortiront du bac avec une formation professionnelle réduite à 2 ans alors même que 3 ans semble actuellement trop court. Finalement le rapport, s’il est suivi, rendra encore plus incertain l’avenir des jeunes passés par le lycée professionnel quelque soit leur destination finale.
Des préconisations dont l’échec est déjà annoncé
D’autres recommandations du rapport font l’objet de critiques dès maintenant. Le choix de secondes dessinées par famille de métier existe déjà et il n’ a pas donné de bons résultats. On le voit clairement avec le bac GA où la fusion des secrétaires et des comptables dans un bac unique aboutit à une déprofessionnalisation qui est très négativement ressentie par les élèves et les enseignants. Le ministère a du lui même admettre qu’il faut réformer ce bac. Généraliser cette mesure pourrait bien généraliser la crise.
Le mélange des publics, apprentis et scolaires, qui est mis en avant dans le rapport ne semble pas plus judicieux. Effectivement il permet de rentabiliser les installations. Mais au niveau de la classe, les enseignants savent que ça ne fonctionne pas. Comment gérer la progression d’élèves qui ont des calendriers différents ? Comment gérer leur scolarité alors que des règlements différents s’appliquent pour tous les aspects de la vie quotidienne (absences par exemple) ? Lors de la conférence du Cnesco un chercheur britannique , Andy Green, a pu montrer que ce mélange nuit aux apprentissages.
Cette conférence avait montré que l’avenir de la voie professionnelle passait par la revalorisation des curricula de l’enseignement général. Or ce point est ignoré sauf en CAP. Le Cnesco avait aussi posé la question des LP ghettoïsés.
Des jeunes sacrifiés ?
Or la signature de ce rapport c’est l’omission de toute la réalité sociale de l’enseignement professionnel. L’enseignement professionnel c’est la voie des pauvres. Il concentre des populations socialement défavorisées : on compte dans l’enseignement professionnel 60% d’enfants d’ouvriers et seulement 12% d’enfants de cadres. A cela on pourrait ajouter la discrimination ethnique. Certaines filières se sont fortement ethnicisées au moins en Ile de France (par exemple opposition coiffure – esthétique). De tout cela le rapport ne dit mot.
Cette indifférence au devenir des jeunes des LP fait la différence avec ceux de l’apprentissage. Le rapport Calvez Marcon a beau multiplier les bons sentiments, au final il ne répond pas aux vraies questions d’attractivité, d’orientation, de formation et de devenir des lycéens de LP. On peut craindre qu’une nouvelle fois ils soient sacrifiés et que la réforme du LP se traduise pour eux par un retour en arrière.
François Jarraud
La conférence du Cnesco (DOSSIER)