Du 22 et 23 janvier 2018, la Haute école pédagogique du canton de Vaud, en collaboration avec la Haute école pédagogique de Lucerne, a organisé, les journées d’étude internationales intitulées « Enseignement et apprentissage de la Shoah : pratiques et expériences dans le monde scolaire». Les conférences de Monique Eckmann et de Noa Mkayton ont notamment permis de faire le point sur cet enseignement et les démarches didactiques à mettre en œuvre en classe.
En 2004, la Suisse a rejoint l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA), qui compte aujourd’hui 31 États membres et qui a pour but de promouvoir la mémoire, la recherche et l’éducation à propos de la Shoah. Depuis mars 2017, la Suisse assume la présidence de l’IHRA pour une année. C’est dans le cadre de cette présidence que la Haute école pédagogique du canton de Vaud, en collaboration avec la Haute école pédagogique de Lucerne, a organisé, les 22 et 23 janvier 2018, les journées d’étude internationales « Enseignement et apprentissage de la Shoah: pratiques et expériences dans le monde scolaire ». Ces journées d’étude ont particulièrement permis à des enseignants de présenter leur travail réalisé en classe ou au sein de leur établissement scolaire.
La question de l’enseignement et de l’apprentissage relatifs à la Shoah se pose dans de nombreux contextes nationaux, chaque pays y apportant des réponses différentes en fonction de sa propre histoire et de son rapport au passé. Dans le cadre de ces journées d’étude réunissant des enseignants et des formateurs en provenance de nombreux pays, l’objectif réussi était de promouvoir les échanges au niveau international et de favoriser la multiperspectivité pour apprendre les uns des autres.
Dans sa conférence d’ouverture, Monique Eckmann, sociologue, membre depuis 2004 de la délégation suisse à la Task Force for International Cooperation on Holocaust Education et du Remembrance and Research (ITF) Education Working Group, a fait le bilan des acquis, et des défis qui nous attendent alors que ces projets semblent avoir initié une européanisation, voire une universalisation de la transmission de l’histoire et de la mémoire de la Shoah (1). Où en sommes-nous face aux réticences au sujet de la Shoah ? Comment inscrire ce sujet dans le champ de l’éducation aux Droits humains et à la démocratie, ou dans celui de la prévention des crimes contre l’humanité ? Quelle est la part à accorder respectivement aux victimes, aux bourreaux, aux « bystanders » — spectateurs passifs ou témoins engagés?
Monique Eckmann a présenté quelques dossiers remarquables. En premier lieu, l’ensemble des démarches qui a mené à la reconnaissance du génocide des Roms dans le cadre notamment de l’IHRA (https://www.holocaustremembrance.com/focus/genocide-roma).
Un autre important travail a été réalisé concernant la question de la comparaison de la Shoah avec d’autres génocides. Le Committe on Holocaust, Génocide & Crimes Against Humanity a réalisé un vrai travail de comparaison permettant de dégager les spécificités de chaque génocide. Loin d’être une remise à plat de l’Holocauste, ce travail en établit ses caractéristiques propres et donc sa singularité par rapport aux autres génocides. Dans le cadre de ce travail de comparaison, il faut souligner les 8 étapes des génocides établies par Gregory Stanton (http://genocide.mhmc.ca/fr/genocide-comparaison).
Pour sa part, le lendemain, la Dr. Noah Mkayton, Directrice adjointe du Département européen de l’institut Yad Vashem (http://www.yadvashem.org/ ) a abordé la question de cet enseignement sous un angle didactique (2). Sa démarche préconise une approche sous un angle multidimensionnel.
Sa présentation a été plus qu’intéressante dans la mesure où la démarche didactique exposée peut être appliquée à tout sujet d’histoire. Elle est donc généralisable. Cette démarche s’appuie sur les acteurs de la Shoah observés sous un angle multidimensionnel. Ce concept met l’accent sur les actes, les omissions et les décisions des individus dans leur contexte historique respectif. L’examen des décisions individuelles prises dans leur contexte doit aider les élèves à évaluer les comportements humains.
En analysant de quelles manières les individus ont pris position au sein de leur société, tant pendant l’Holocauste que de nos jours, les élèves pourront faire des rapprochements entre l’Holocauste et d’autres catastrophes humaines actuelles. En effet, la manière dont les gens se sont liés au changement massif des normes qui a finalement rendu possible le génocide peut être considérée comme une question-clé pour l’éducation à l’Holocauste, et cela reste un défi central dans l’éducation des étudiants à être aujourd’hui des citoyens responsables.
La démarche didactique développée est organisée autour de trois phases : Connaissance – Compréhension – Connexion. Il s’agit pour les élèves d’acquérir des connaissances sur les événements historiques, puis de parvenir à une compréhension sûre et potentiellement transformatrice pour enfin connecter ces connaissances à la vie actuelle.
Concernant la connexion passé-présent, Noah Mkyayton n’a pas manqué de présenter un certain nombre de dangers dont celui de l’effacement, de la minimisation, du détournement et de l’utilisation de la Shoah dans un tout autre agenda politique pouvant conduire à une réécriture totale de l’histoire.
Cependant, la démarche didactique proposée permet de mettre en avant que l’histoire est le résultat de décisions humaines (positives ou négatives), de faire le lien entre une action individuelle et un contexte plus global, d’aborder la question des systèmes de valeur d’une société à un moment donné de son histoire, de présenter une expérience humaine dans un contexte spécifique et d’appréhender le contexte particulier de la violence de la Shoah ou d’autres génocides.
Par ailleurs, pendant deux jours, les participants ont eu la chance d’assister à un nombre très impressionnant d’ateliers. Ces ateliers ont mis en avant, par leur richesse, les différentes motivations conduisant à la mise sur pied de démarches pédagogiques et éducatives consacrées à cet enseignement. Alors que les curriculums intègrent désormais officiellement cet enseignement, les démarches proposées étaient, elles, issues des pratiques du terrain (salle de classe, école, musée, …). Au cœur généralement des démarches présentées, le recours aux témoignages doit permettre d’offrir aux élèves une multiplicité de point de vue (multiperspectivité) à partir desquels ces derniers peuvent accéder à une intelligibilité de la Shoah.
Cependant, quelle place faut-il laisser — et jusqu’où — à la pensée critique et à la créativité des élèves, deux compétences-clés du 21e siècle et de l’ère numérique ? Ces derniers éléments militent, comme certains ateliers l’ont proposé, pour un enseignement de la Shoah dépassant le seul cadre d’une classe et des heures d’histoire présentent à la grille-horaire. A la multiperspectivité s’ajoute alors la multilittéracie et des approches interdisciplinaires.
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur,
Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes
(1) Pour un compte-rendu plus complet :
(2) Pour un compte-rendu plus détaillé :
https://lyonelkaufmann.ch/histoire/2018/02/08/enseignement-et-apprentissage-de-la-shoah-noa-mkayton-connecting-to-history-connecting-to-ourselves-thoughts-about-a-multi-perspective-holocaust-education-23-janvier-2018-hep-vaud-lausanne/