Peut-on interroger certains rituels d’établissements qui semblent immuables ? Par exemple, les « conseils de classe », chambres d’enregistrement sans réelle efficacité éducative. Ou encore les interminables soirées de « rencontres parents-profs », si peu fructueuses. Le collège Les Hauts de Plaine à Laragne-Montéglin dans les Hautes-Alpes, établissement REP en zone rurale, a fait le constat de leur inutilité et le choix courageux de les supprimer. A la place : un dispositif original de « suivi de scolarité » qui favorise de réels échanges entre les enseignant.es, responsabilise davantage les élèves, renforce la coéducation avec les parents. Bruno Verney, principal, et Laurent Bocquet, enseignant, ont présenté cette nouvelle organisation au 10ème Forum des Enseignants Innovants et de l’Innovation Educative. L’ensemble de la communauté éducative semble adhérer au dispositif, sans doute transférable et adaptable. Explications de Bruno Verney …
Dans quel contexte ce projet est-il mené ?
Je suis personnel de Direction depuis septembre 2010 et la question du conseil de classe est un élément permanent de ma réflexion. J’ai été Principal adjoint en cité scolaire, puis Proviseur adjoint en Lycée Professionnel et maintenant Principal du collège les Hauts de plaine à Laragne-Montéglin dans les Hautes Alpes. Le collège Les Hauts de Plaine est un établissement REP situé en zone rurale de montagne. C’est donc un sujet de réflexion depuis maintenant 7 ans et j’en ai expérimenté diverses modalités.
Votre organisation remet en cause un rituel qui semble indéboulonnable : le conseil de classe. Pourquoi ?
Notre institution empile les réformes et les dispositifs nouveaux mais le conseil de classe reste une instance qui n’a pas changé d’un iota depuis des décennies. Ce rituel trimestriel ou semestriel traverse le temps et n’a évolué ni dans son organisation ni dans son contenu ni dans son fonctionnement. Il n’est plus en phase avec les besoins des élèves, des parents et des professeurs de l’Ecole d’aujourd’hui. Je lui reproche d’avoir perdu tout sens pédagogique et il est devenu une simple chambre d’enregistrement, voire un lieu de procès par contumace.
Quels constats avez-vous faits sur la façon dont fonctionne un conseil de classe ?
On projette sur un écran des bulletins ou des graphiques : dans quel but ? Un président fait défiler les élèves les uns après les autres avec sa souris, tente de garder l’attention des uns et des autres, les professeurs s’impatientent, regardent leur montre, certains quittent le conseil avant la fin, certains sont arrivés en retard et parfois (j’en ai présidé quelques-uns, et nous en avons tous fait l’expérience) il se déroule avec des rangs très clairsemés.
La période des conseils de classe augmente la tension dans un établissement scolaire ce qui ne contribue pas à un bon climat scolaire. En effet, sur une période assez courte en général, les enseignants doivent compléter les bulletins, procéder rapidement à des évaluations car il manque des notes et assister à de nombreux conseils de classes. De plus, si l’établissement possède une équipe de Direction complète, ce sont en général 4 conseils par soir avec des durées très variables. Cette superposition oblige l’enseignant qui a deux classes et dont les deux conseils sont tous les deux à 17 heures de faire le choix d’assister à l’un plutôt qu’à l’autre.
Le conseil de classe est devenu davantage une instance où sont abordés les problèmes de comportement. On pointe des difficultés de travail mais quelles solutions sont données, apportées ? Quel est le rôle du CPE, bien souvent cantonné aux seules absences des élèves. Les délégués de classe prennent sagement des notes (quand ils ont le temps et la méthode pour pouvoir le faire) sur la moyenne des autres élèves. Ils n’ont en général pas grand-chose à dire quand on les interroge, n’ont pas ou peu préparé le conseil avec la classe et n’en font bien souvent aucun retour.
La présence des parents délégués se fait rare et quand ils sont là, ils le sont car leur enfant est dans la classe concernée. Ils prennent donc la parole quand vient le tour de leur fils ou de leur fille et dialoguent avec les enseignants ce qui n’est pas équitable puisque les autres parents n’ont pas cette chance. Ils n’ont que très rarement consulté les autres parents et n’ont donc par conséquent pas grand-chose à dire si ce n’est le poids des cartables.
Les discussions autour de l’octroi des fameuses récompenses (encouragements, félicitations et autres compliments) sont interminables et renforcent le sentiment d’injustice pour tous les acteurs présents.
De même, et cela rejoint ce que j’énonçais plus haut, les enseignants continuent de demander au président du conseil de donner un avertissement conduite, travail ou un blâme alors que le conseil n’est pas une instance disciplinaire.
Le vocabulaire employé lors des échanges n’est pas toujours approprié et n’est pas toujours teinté de bienveillance.
Et après le conseil ? Que reste-t-il ? Quelle suite est donnée ? Les bulletins sont envoyés à la famille dans la majeure partie des cas, certaines familles (des élèves en difficultés) sont reçues et on passe au trimestre ou semestre suivant.
Présider cette instance dans un tel contexte était devenu très difficile à vivre tant elle s’éloigne de ce qu’elle pourrait être. Une souffrance pour le personnel de Direction ? Oui, comme le soulignait également Caroline Veltcheff lors d’un séminaire sur le climat scolaire dans l’académie d’Aix Marseille.
Vous avez aussi abandonné le rituel des rencontres parents-professeurs : pour quelles raisons ?
C’est aussi un rituel qui existe depuis des décennies mais que je considère comme dénué de sens. Les soirées sont interminables car certains professeurs ont du mal à absorber un flot considérable de parents devant leur salle tandis que d’autres passent une soirée bien seuls à attendre un hypothétique parent … Cela ne me semble plus appropriée.
Il existe d’autres temps où les parents peuvent être rencontrés. Nous avons gardé bien entendu les réunions de rentrée et notamment la rencontre des parents d’élèves de 6ème avec les équipes pédagogiques en début d’année. Des cafés des parents externalisés, des événements festifs ouverts à tous et publics, sont autant de façons de multiplier les rencontres. Les échanges autour du travail, des devoirs et de la vie de l’établissement y sont bien souvent faits sur un mode de communication beaucoup plus détendu que les réunions parents-professeurs. Les messages éducatifs qui sont passés autour d’un café ou à la buvette d’un vide-grenier sont beaucoup plus percutants et suivis d’effets qu’à la lumière d’un néon de salle de classe un soir à 21h00. Ils sont également conviés au dispositif « devoirs faits ».
Pouvez-vous expliquer en quoi consiste ce nouveau dispositif de « suivi de scolarité » que vous avez mis en place ?
Dans un premier temps, j’ai proposé lors d’un conseil pédagogique un conseil de classe ouvert comme il en existe déjà dans d’autres établissements. Il a été décidé de l’expérimenter sur le niveau 6ème et 3ème.
Tout d’abord, la temporalité est totalement différente. Les suivis ne sont pas concentrés sur une courte période (tous les conseils en 2 semaines par exemple) mais débutent bien plus tôt. Pour les 6èmes, nous commençons dès le retour des vacances de la Toussaint. Il n’y a qu’un seul suivi par soir et au maximum deux par semaine. Les suivis ne se chevauchent pas. Un soir = une classe.
Un courrier type est remis à la famille quelques semaines avant les suivis avec un coupon réponse à retourner. La famille mentionne sur ce coupon sa présence ou non au suivi et indique le créneau horaire qui lui est le plus favorable. Une fois les coupons récoltés, je fais le point avec le Professeur Principal et nous envoyons un sms aux parents pour leur indiquer l’heure à laquelle la famille et l’élève seront reçus.
Quel est le protocole adopté le soir où a lieu ce « suivi » ?
Le soir du suivi, le protocole est le suivant. De 16 h 45 à 17 h 15 se déroule la synthèse du Professeur Principal en présence des élèves et des parents délégués. Nous avons abandonné le principe des discussions autour des récompenses. Dans sa synthèse, le Professeur Principal indique les élèves félicités pour les résultats ou les élèves félicités pour les efforts fournis pendant le trimestre ou le semestre. Cette liste n’est discutée par personne. Cette organisation implique que l’ensemble des enseignants renseignent les bulletins bien en amont (ils sont verrouillés 3 jours avant) et que les appréciations soient explicites pour favoriser la synthèse du PP. Un courrier de félicitations est remis à l’élève en plus de son bulletin.
A partir de 17 h 15, nous nous séparons en trois groupes qui se composent ainsi : des enseignants avec le Principal du collège, des enseignants avec le CPE et des enseignants avec le Professeur Principal. Les élèves délégués choisissent également d’être présents dans l’un des trois groupes. Les familles et les élèves sont reçus toutes les 10 minutes et un point sur le trimestre ou le semestre est fait. A la fin de ce dialogue, des objectifs sont fixés avec la famille et l’élève sur le trimestre ou semestre suivant. La fiche d’objectifs est gardée par le Professeur Principal. Les familles patientent dans une salle d’attente où sont entreposés sirops et jus de fruits. Le suivi se termine aux alentours de 18h45 – 19h grand maximum. Les parents non présents sont systématiquement convoqués dans les jours qui suivent.
Cette organisation est maintenant proposée à l’ensemble des classes depuis la rentrée. Nous avons évolué au cours de l’année dernière. Nous ne sommes plus autour d’un grand rectangle avec des tables mais nous sommes simplement assis en cercle tant lors de la première partie du suivi pour présenter le bilan de la classe, que lors des entretiens avec les parents et l’élève. Cette organisation est importante car elle favorise la discussion. La posture a changé. Il arrive que les enseignants changent de groupe au cours de la soirée ou bien se regroupent avec un autre quand il y a un temps mort dans l’un ou l’autre.
J’ajoute que les professeurs des écoles sont conviés pour les 6èmes. Cette présence donne encore plus de sens à ce dispositif.
En quoi le dispositif vous semble-t-il favoriser la « coéducation » ?
Nous rencontrons à plusieurs reprises les parents dans l’année autour de la scolarité de leur enfant. Ce n’était pas le cas avant avec le conseil de classe tel que nous le connaissons. Le respect de l’heure de l’invitation est essentiel dans le dispositif. Les parents savent qu’ils seront de toute façon convoqués s’ils ne viennent pas. Donc ils viennent en très grande majorité.
L’intérêt principal étant le dialogue, famille et équipe éducative sont centré sur la formulation et le suivi de la réalisation des objectifs fixés : la scolarité de l’élève (ses réussites, ses difficultés, sa marge de progrès, son orientation…..) sont ainsi l’objet d’un suivi beaucoup plus régulier sur toute l’année.
Les bulletins ont fait également l’objet d’un travail particulier et pour être en lien avec la réforme du collège, ils sont décomposés en 3 parties : appréciation, réussites, conseils.
Avez-vous rencontré des difficultés pour mettre en place ce projet ?
Il a fallu convaincre les enseignants et les parents qu’il fallait changer les pratiques et que le conseil de classe tel qu’il existait n’avait plus de sens.
Comment avez-vous surmonté ces difficultés ?
Dans la mise en place du suivi de scolarité, la possibilité laissée aux enseignants de faire évoluer le dispositif proposé a permis d’arriver à un mode opératoire qui convient. Dans le choix de notre nouvelle organisation, ce sont également les élèves qui ont été des moteurs grâce à leurs propositions.
Quel bilan d’ores et déjà dressez-vous de cette nouvelle organisation ?
Comme première réponse, je citerais ce que m’écrivait il y a quelques jours une enseignante :
« Quel que soit le profil de l’élève c’est un mode d’organisation qui fonctionne bien et qui porte bien mieux ses fruits que nos anciens conseils de classe en termes d’objectifs fixés, de communication avec les parents et de valorisation/responsabilisation des élèves ».
Les parents sont présents le jour du suivi de scolarité à plus de 90 % et même 100 % pour les classes de 3ème. Le retour des parents et des élèves est extrêmement positif.
Cette organisation vous semble-t-elle transférable ? encore perfectible ?
Cette organisation est tout à fait transférable. D’ailleurs un collège est venu assister à un suivi et va l’expérimenter sur le niveau 5ème. Il est très largement perfectible notamment dans le rôle des délégués et des parents qui est à reconstruire mais sur d’autres aspects également. Le travail sur le contenu des bulletins est à poursuivre.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le site du collège