Quel regard porte le Snep, syndicat très majoritaire des professeurs d’EPS, sur la réforme Mathiot ? Christophe Couturier, secrétaire national du Snep Fsu, relève l’absence de l’EPS dans les majeures, les évolutions à donner au Bac sous la forme de CCF, les pertes d’heures et l’orientation en Staps. Il invite le ministre à investir dans l’EPS. Et il pose la question des STAPS à l’envers : » le problème n’est pas : comment dissuader quelques élèves de ne pas aller en STAPS au vu de leur parcours scolaire, mais comment permettre aux STAPS de répondre aux besoins sociaux, et offrir, sans discrimination sociale, une formation et des débouchés de qualité. « …
Comment réagissez-vous à la sortie de la consultation Mathiot ?
Le rapport est conforme aux éléments rendus publics, et, sur le fond, aux discours classiques sur le lycée et le Bac dont on nous rebat les oreilles depuis de nombreuses années : la dernière réforme des lycées n’est pas si vieille et s’est faite sur des bases similaires même si Luc Chatel à l’époque n’a pas pu aller aussi loin dans ses propositions.
Le centre de gravité ? Réduction des coûts, « modularité » et contrôle continu. Et comme d’habitude, sans un vrai bilan, sérieux, partagé. Ajoutons à cela une méthode politique consistant à aller très vite pour éviter la construction de toute contestation et la possibilité de prendre un peu de recul. Cette précipitation ouvre la voie à l’acceptation de n’importe quoi au nom d’un « tout vaut mieux que l’existant ».
C’est exactement ce qui vient de se passer pour l’entrée à l’université. C’est ce qu’on est en train de nous vendre pour le lycée. Qu’il faille réformer et modifier le BAC et le lycée, nous sommes d’accord. Que ça se fasse aussi rapidement, ce n’est pas sérieux. Il n’y a d’ailleurs pas grand monde pour défendre la logique « en marche ». Même les organisations syndicales qui habituellement accompagnent les réformes éducatives sont sceptiques. Et la plupart des associations de spécialistes disciplinaires critiquent les propositions actuelles.
C’est notre rôle que d’alerter sur ce que peuvent produire concrètement des mesures : par exemple deux conséquences possibles de la mise en place de la semestrialisation : l’annualisation du temps de travail des enseignants, et une augmentation du temps d’explication et de compréhension des choix possibles pour les élèves en cours d’année. On en connaît parfaitement les répercussions, vues et analysées dans les pays anglo-saxons qui servent de modèle ici : un renforcement des inégalités que l’on dit combattre et une mise en concurrence des établissements qui ne pourront pas tous proposer l’ensemble des choix.
Pourtant tout le monde s’accorde pour dire que le travail autour du choix d’orientation est trop peu développé au lycée.
Si des choix peuvent s’opérer entre chaque semestre, on multiplie par 2 les moments où les parents et les élèves auront à choisir. Il faudra expliquer quels choix sont possibles, pour quelles visées, gérer les flux pour telle ou telle option (comment ça va se faire ? Premier arrivé premier servi ?). On disait le système actuel complexe. On multiplie la complexité. On connait le fonctionnement du lycée modulaire dans les pays où ça existe. Les moments d’inscription à tel ou tel module, c’est comme les soldes, une foire d’empoigne. Au bout du compte, ça renforce le pouvoir des « initiés », ceux qui connaissent et comprennent le système et qui pourront se construire des parcours (le terme est à la mode) les plus pertinents. Bien entendu qu’il faut développer le travail sur l’orientation. Mais ne pas oublier que justement le système d’orientation a été méticuleusement raboté depuis des années.
L’EPS fait partie du tronc commun et sera évaluée, il y aura des options EPS, arts du cirque. Cela ne semble pas changer profondément la structure actuelle ?
Nous avons défendu deux principes lorsque nous avons rencontré la commission Mathiot : le développement de l’EPS pour tous et toutes, et le droit à un approfondissement sérieux pour celles et ceux qui le souhaitent. Sur le premier point, les arguments ne manquent pas pour défendre l’idée que la pratique physique des jeunes au lycée est insuffisante, tous les rapports l’attestent. Nous avons demandé de pouvoir passer à deux séquences d’EPS par semaine. Sur le second point, nous avons dit que les options actuelles n’étaient pas assez développées pour répondre à l’objectif d’offrir une voie de réussite autour du champ des APSA. Pas assez développées en nombre pour mieux couvrir le territoire, et pas assez développées dans leur poids au Bac (coefficient). Le rapport Mathiot propose l’EPS dans le tronc commun, et une reconversion des options dans le nouveau système, plus complexe et moins lisible qu’avant. A première vue il s’agit d’un recyclage et on peut se dire qu’on préserve l’existant. Mais, une lecture attentive du rapport laisse de nombreuses interrogations émerger. Dans l’état actuel, l’EPS dans le tronc commun pourrait bien s’arrêter à la fin du premier semestre de la classe de terminale, et les options jusqu’en première ! On remarquera que le rapport est extrêmement flou sur les volumes horaires…
Le mode d’évaluation pour le Bac en CCF semble se maintenir. Cela semble faire l’unanimité dans la profession. Voyez-vous des améliorations à apporter ?
Bien entendu. Plusieurs réflexions sont à mener. La première (sans ordre hiérarchique) doit porter sur les temps d’apprentissage, donc la longueur des cycles et le nombre d’activités. Le SNEP milite depuis longtemps pour un allongement des cycles et plus globalement des volumes horaires qui doivent permettre des transformations réelles. Actuellement on est sur 2 cycles sur les 3 années du lycée pour arriver à 20h (théoriques) de pratique. C’est trop peu. Doubler cet horaire repère parait un minimum. On pourrait aussi réfléchir, plutôt qu’un découpage en tranches égales, à donner plus de poids à une APSA, pour qu’un ou une élève puisse atteindre un vrai sentiment de compétence.
Se pose ensuite la question du choix. Aujourd’hui les programmations, sous les multiples contraintes programmes-BAC-installations n’offrent plus vraiment de choix sauf dans les très gros établissements. Ça crée évidemment des problèmes de motivation qui se traduisent dans le travail. Il faut libérer les possibles, d’autant plus que les regroupements en « CP » ne sont pas pertinents, ni théoriquement, ni professionnellement.
Il faut bien entendu réinterroger les référentiels d’évaluation du point de vue des contenus et des critères de notation. Bref un chantier extrêmement intéressant, à condition qu’on prenne le temps et que ça soit largement débattu.
En classe de Première le rapport propose une mineure EPS dont l’une des finalités serait de servir d’introduction aux études STAPS. Qu’en pensez-vous ? Comment voyez-vous cet enseignement ?
Tout d’abord nous avons écrit au ministre, avant même que le rapport ne sorte, pour dire qu’il nous paraît incompréhensible que l’EPS ne puisse être considérée comme une « majeure », c’est à dire faire partie des disciplines qui donneront une forte coloration au Bac. Toutes les disciplines y sont peu ou prou représentées, sauf l’EPS. C’est d’autant plus incroyable qu’on prétend, comme cette question le mentionne : « servir d’introduction aux études STAPS ».
Nous défendons, si ce projet voyait le jour, l’EPS comme pouvant faire partie ou d’une majeure et d’une mineure. Les 2 doivent être possibles, à l’instar d’autres disciplines. Symboliquement, comme nous disons en collège que l’EPS devrait faire partie des fondamentaux (principe que le nouveau DNB a abandonné), elle doit faire partie des « majeures » au lycée. Pratiquement, une véritable voie de réussite au Bac ne se fera pas sur une « mineure ».
Sur le contenu maintenant, il faudra réfléchir bien sûr, mais nous ne sommes pas d’accord sur l’a priori d’un « mini-STAPS ». La discipline scolaire EPS n’est pas la discipline universitaire « sciences et techniques ». Ne nous trompons pas d’objet. Si le ministre retenait les propositions Mathiot, il faudrait faire un bilan sérieux des options (d’exploration et facultative) actuelles et voir quelles modifications apporter pour un approfondissement « en EPS » et non en STAPS. Rappelons que dans ces options, seuls environ 30% des effectifs visent effectivement une orientation en STAPS. Il faudra garder cette ouverture là. Nous ne sommes pas favorables à ce que la réforme conduise à une orientation de plus en plus précoce.
Ne pensez-vous pas que cet « approfondissement en EPS » pourrait ouvrir des perspectives sur des choix plus réfléchis d’orientation dans la filière STAPS ? Il y a malheureusement trop d’élèves qui s’orientent en STAPS avec pour seul bagage le fait « d’aimer le sport »…
Oui ça pourrait mais ça ne doit pas être exclusif ni être le seul objectif. La question de l’orientation en STAPS est mal posée ou plutôt posée à l’envers. Il y a un fort attrait de la filière STAPS, et c’est cohérent avec la place occupé par les pratiques corporelles, dont le sport, dans nos sociétés. C’est cohérent également avec le marché de l’emploi dans le milieu du sport qui croît de 3,5% par an (donnée du CEREQ) et avec l’augmentation du niveau de qualification des jeunes qui postulent sur ces emplois. La question n’est donc pas comment éviter de faire entrer des jeunes en STAPS, mais comment donner les moyens aux STAPS pour faire réussir, y compris celles et ceux qui n’ont pas suivi la filière S au lycée qui représente aujourd’hui l’archétype de l’élève attendu à l’université. C’est une question de choix stratégiques et donc de financement à la hauteur des besoins. La réalité c’est qu’aujourd’hui les UFR STAPS sont sous-dotés par rapport à leurs missions. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé un « plan d’urgence ». Actuellement le ministre est en train de donner quelques moyens supplémentaires pour ouvrir les capacités d’accueil l’année prochaine (environ 2000 de plus). C’est bien, mais ça ne résoudra pas le déficit actuel.
Donc pour revenir à la question, le problème n’est pas : comment dissuader quelques élèves de ne pas aller en STAPS au vu de leur parcours scolaire, mais comment permettre aux STAPS de répondre aux besoins sociaux, et offrir, sans discrimination sociale, une formation et des débouchés de qualité. Dans ce cadre, l’option au lycée pourrait être une sécurisation des parcours pour celles et ceux qui, très tôt, se destinent à ces métiers.
Le Ministre a annoncé une concertation de 3 semaines. Serez-vous reçus ? Quelles propositions allez-vous faire au Ministre ?
Notre politique est de toujours être présents pour défendre et promouvoir l’EPS et une formation de qualité pour tous et toutes. S’il y a réellement « concertation », nous irons. Mais d’après ce que nous savons de l’agenda ministériel, JM Blanquer laisse maintenant la Dgesco régler les détails… ce qui signifie qu’il a grosso modo donné ses consignes et qu’il se consacre à la suite annoncée : la voie professionnelle, la réforme de la formation, etc.
Les propositions que nous allons faire reprennent les propos développés plus haut : augmentation du volume hebdomadaire pour le tronc commun, et une véritable voie d’approfondissement et de réussite en EPS.
Une réflexion plus large semble nécessaire sur l’enseignement de l’EPS au lycée. Quels sont selon vous ses enjeux ?
Là il faudrait ouvrir un chantier qui rompe avec les pratiques récentes en EPS : une politique décidée par un groupe de personnes « autorisées » qui se cooptent. Cette pratique a été et est toujours mortifère pour la discipline : plus aucun débat, une exclusion de toute pensée alternative (particulière si elle vient du SNEP), un encensement de discours architecturés sur quelques mots-clé : socle, compétence, forme de pratique, expérience etc.
Nous sommes pour partir de la réalité (de l’enseignement, des procédures d’évaluation, des conditions de travail des enseignants et des élèves) et chercher les voies d’un progrès général qui puisse faire cause commune. Pour ça il faut tout mettre à plat et surtout de ne pas exclure les enseignants de la réflexion. La dernière opération « programme » du collège a montré tout le mépris accordé à la parole des enseignants. Ne revenons pas là-dessus. Mais si demain la même chose devait se reproduire, alors nous irions vers de nouvelles régressions. C’est la qualité de la formation de tous les jeunes qui nous importe. Les ressources existent dans la profession. Il suffit de les exploiter, pas de les brider au nom d’une pensée unique qui ne dit pas son nom.
Les thèmes de réflexion ? Que produit réellement l’EPS en lycée, que vivent les élèves, qu’apprennent-ils, à quelles conditions apprendre mieux, quelles APSA, quels contenus, quelle évaluation certificative… Bref des thèmes classiques qu’il faut reprendre frontalement, mais avec sérénité. A chaque fois que nous nous exprimons publiquement, nous invitons à explorer collectivement l’univers des possibles… personne ne répond, pour l’instant.
Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut