Grand moment à l’Assemblée nationale le 7 février. Deux commissions, celle des affaires sociales et celle des affaires culturelles, sont réunies pour une journée entière de travail sur l’école et la pauvreté. Si les interventions des experts, le matin, ont été brillantes, le déplacement de deux ministres, JM Blanquer et A Buzyn, n’a donné lieu à aucune annonce si ce n’est des interrogations sur l’avenir de la scolarisation avant 3 ans et des Rased. Trois ans après la publication du rapport de JP Delahaye, l’effort pour faire réussir les enfants pauvres ne s’incarne que dans les dédoublements des CP et Ce1 de Rep+.
Trois experts
De la journée de débats sur l’école et la pauvreté, l’élément le plus intéressant est sans doute les 3 heures d’interventions des 3 experts invités par les commissions : JP Delahaye, MA Grard et V Decker.
« Notre élitisme n’est pas républicain mais social ». JP Delahaye, auteur d’un rapport très remarqué, n’a pas de mal à montrer que le système éducatif fonctionne au bénéfice des enfants favorisés. Il en donne des exemples marquants. Ainsi les bourses collège dont le montant maximum vient d’être augmenté pour atteindre royalement 450 euros par an. Ou encore le retour à la semaine de 4 jours qui risque de « réduire à néant » le bénéfice des CP dédoublés. Ou encore les dispositifs d’aide aux devoirs dont les crédits varient fortement et sont sans comparaison avec l’accompagnement éducatif des CPGE : 70 millions pour 85 000 élèves. « Une solidarité à l’envers » pour JP Delahaye.
MA Grard, vice présidente d’ATD Quart Monde et auteure d’un rapport pour le CESE, a livré des témoignages touchants.
Les députés en marche
Le troisième personnage de la journée ce sont les députés et particulièrement ceux de la majorité. Bruno Studer et Brigitte Bourguignon, présidents des deux commissions, ont vivement défendu l’action gouvernementale estimant que « personne n’a de leçon à donner » (B Bourguignon) car « on a dédoublé les CP » (B Studer).
Dans les débats les propos les plus surprenants ont fusé. Ainsi B Descamps, auteure du rapport sur école et parents, a fait part de son émotion devant l’avalanche de critiques venues du monde enseignant. Mais ses interventions commencent par « il ne s’agit pas de faire des généralités mais… » pour finir par « il ne s’agit pas de stigmatiser les mamans et les enseignants, mais… »
Géraldine Bannier, députée Modem, se soucie que l’on donne des produits d’hygiène aux enfants pauvres. Elle propose que les écoles distribuent des uniformes pour remplacer les vêtements usagers des élèves pauvres.
Fallait pas l’inviter…
Mais c’est la personnalité de Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny (93) qui se dégage de cette journée. Directrice d’une école Rep+ dans une cité de Bobigny elle a vu au fil des années la situation se dégrader. Toute la matinée elle va apporter des faits en réponse aux questions des députés, recadrant souvent leurs propositions ou leurs déclarations.
Véronique Decker ouvre les yeux des députés. Pour elle c’est al précarité qui coule les familles et elle en donne des exemples saisissants. « Les enfants pauvres peuvent réussir mais pas ceux de la grande pauvreté. S’agglutinent les désordres sociaux, mentaux, affectifs qui font qu’il n’y a plus de disponibilité pour l’enfant. C’ets ca qui détruit l’enfance de beaucoup d’enfants de la grande précarité ». Elle montre que les communes, comme Bobigny, refusent des scolarisations faute de logement.
Elle évoque la pauvreté de son école. « Il n’y a pas de bourse à l’école élémentaire et on a supprimé les crédits Baranger au profit de crédits ZEP supprimés eux aussi. On n’a plus de crédit contrat de ville ». Elle parle du « zig zag » des emplois aidés , accordés et repris sans avertissement. Ainsi à cette rentrée elle a appris le 31 aout le départ de 5 contrats aidés. « A chaque fois on a du désorganiser ce qu’on avait organisé ».
La mixité sociale ? « Ca se construit. Quand un collège a de l’évitement c’est qu’il n’a pas les moyens de rejoindre les autres. Peut être qu’il faut moins d’élèves ou plus de fonds sociaux. Mai sc’est jamais ce qu’on fait ».
Elle évoque les problèmes de santé des enfants et les temps d’attente pour accéder à une orthophoniste ou au CMP. « On a divisé par 2 ou 4 le nombre de rased et on a accueilli les enfants handicapés, on a donc multiplié leur travail par 2 ou 4. La prévention n’est plus faite ».
Au député Le Bohec (en marche) qui annonce qu’il va déposer une proposition de loi pou rla gratuité de la cantine, elle peut répondre que la cantine est déjà gratuite à Bobigny mais que ca ne régle rien. « Le jours où la cantine est en grève les enfants travaillent mieux l’après midi ». Il ne suffit aps de rendre la cantine gratuite il faut fixer des seuils d’encadrement.
Elle demande qu’on arrête les destructions de logements sociaux et qu’on rétablisse l’obligation pour les communes de déclarer les enfants vivant sur le territoire communal.
A la députée AC Lang, en marche, qui estime que les Rased sont inefficaces, elle rappelle que les dédoublements ne règleront pas les difficultés des enfants.
Des ministres sans grande politique
Jean-Michel Blanquer et Agnès Buzyn sont intervenus l’après midi et n’ont donc ni croisé ni écouté les 3 experts de la matinée. JM Blanquer a vanté les mesures gouvernementales principalement les dédoublements en rep+ (« les familles disent que c’ets la première fois qu’un politique publique est à leur avantage »). Autre mesure les « devoirs faits ».
Les deux ministres ont abordé la question de la santé scolaire. JM Blanquer a annoncé qu’uen solution interministérielle permettra de trouver une solution pour la visite à 6 ans , théoriquement obligatoire mais que le nombre de médecins scolaires ne permet plus d’organiser partout. « On va promouvoir la pluriprofessionalité et le travail en réseau », affirme A Buzyn. Elle a aussi annoncé qu’elle envisage de donner un petit déjeuner à l’école.
On retiendra encore « l’évaluation mitigée » des Rased selon JM Blanquer, « parfois contre productifs » et l’abandon de tout volontarisme en matière de mixité sociale. » La mixité sociale ça ne se décrète pas » affirme le ministre. « Ca s’encourage avec l’attractivité des établissements défavorisés ». Et le ministre évoque les classes bilangues ou latin grec. Un peu maigre pour un débat sur la grande pauvreté.
François Jarraud