Les participants se répartissent dans les étages pour rejoindre l’un des sept ateliers dans lequel ils se sont inscrits. Toutes les démarches proposées par les animateurs, militants du GFEN, vont placer les stagiaires en situation d’apprenants eux-mêmes et leur permettre de vivre pas à pas les étapes par lesquelles passent leurs élèves en classe. Les propositions de travail sont multiples et il sera difficile de rendre compte du foisonnement des réflexions et de la richesse des échanges.
Entrons dans l’atelier « Comprendre les nombres décimaux » pour entrer dans une démarche de conceptualisation. Elle est animée par un enseignant qui suit ses élèves 2 ans en CM1 et CM2, ces 2 années étant cruciales pour la mise en place de ces apprentissages, même s’ils se continuent en 6ème et 5ème de collège.
L’animateur de l’atelier part du constat que les élèves font des erreurs parce qu’ils travaillent avec les décimaux comme avec des nombres entiers. Ils n’ont pas compris le principe de la numération décimale positionnelle. Quand on leur demande donc quel nombre est le plus petit entre 1,5 et 1,15, ils répondent spontanément que 1,5 est plus petit parce que 5 est plus petit que 15. Une fois identifié d’où vient l’erreur, il s’agit de savoir comment on en arrive au concept de nombres décimaux et comment on enseigne la compréhension plutôt que l’apprentissage de règles, comme celle-ci par exemple, qui s’avère complètement fausses : « pour multiplier par 10, 100, 1000, on déplace la virgule vers la droite… » vous connaissez la suite !
L’animateur propose la situation d’apprentissage suivante : Chaque participant A reçoit une enveloppe avec un segment à « mesurer » sans outil gradué. Il doit envoyer un message à un participant B qui lui, doit comprendre de quel segment il s’agit dans un lot de 6 segments. On voit que pour « mesurer » le segment, l’un utilise un objet personnel, une gomme par exemple, l’autre utilise un objet commun à tous, l’enveloppe reçue, et utilise sa longueur ou sa largeur. D’autres utilisent leurs doigts… Qu’est-ce qui pose problème ? On se rend compte de la nécessité d’utiliser une mesure commune, un étalon.
Un petit point d’histoire pour montrer que le savoir est lié à un problème qu’a eu à régler l’humanité à un moment de son histoire. L’académie des sciences (Monge, Condorcet entre autres) décide à la Révolution française d’harmoniser les unités de mesure. Celles-ci étaient très nombreuses et il devenait impossible de s’entendre pour échanger, commercer et cela entrainait des abus de pouvoir… On a donc fait un choix arbitraire : prendre comme unité de mesure de longueur, le mètre, la 10 000 000ème partie du quart du méridien terrestre (distance entre pôle et équateur), pour que la mesure soit universelle.
Deuxième étape de l’atelier : les participants recommencent les mesures mais avec chacun un étalon arbitraire donné par l’animateur. Et là on s’aperçoit que la question de la mesure repose sur un encadrement. La bande est pas assez longue, ou trop longue. On fracture la bande (cela deviendra une fraction), c’est un nombre rompu. On en arrive aux sous-multiples et aux multiples de l’étalon.
Une mesure n’est jamais précise, elle se situe toujours entre quelque chose et autre chose. C’est là qu’on introduit les nombres décimaux : avec les fractions, les calculs sont longs et coûteux, avec les décimaux, on peut plus facilement comparer et calculer. Ils n’arrivent pas avant le XVIème siècle, Stevin invente le système positionnel des nombres. La démarche a été vécue en accéléré par les adultes mais elle est parfaitement reproductible en classe. L’animateur propose ensuite une progression de séances avec les élèves.
Dans l’atelier de technologie, on va s’attaquer à l’abstraction. Dans l’atelier animé par Jacqueline Bonnard, il n’y a que des filles pour s’intéresser à la question de la pince à linge ! Est-ce un hasard ou la nécessité ! Dans cet atelier foisonnant de manipulations et d’échanges, la pensée va émerger du geste. En fait, les participantes manipulent des concepts, aidées en cela par une formatrice qui provoque et conduit les échanges, les réflexions, en demandant des précisions, en renvoyant des questions, en apportant des précisions théoriques. Elles en ressortent en se disant qu’elles « n’accrocheront » plus le linge sur le fil mais qu’elles le suspendront en le prenant dans les deux bras de l’outil. L’essentiel est d’avoir compris comment ça pince !
L’atelier démarre avec quelques notions théoriques pour faire la différence entre technique et technologie. La culture technique est « l’ensemble des savoirs, savoir-faire, pratiques intériorisées dans l’usage que l’homme fait des objets, des solutions trouvées par lui et par le groupe en réponse aux problèmes posés par l’environnement naturel et social », explique Jacqueline Bonnard. Une fois posée cette définition, elle distribue des pinces à linge et demande aux participantes de dessiner l’objet, nommer les différentes parties, décomposer les gestes faits quand on utilise la pince, en ayant à l’esprit le mode d’emploi. Cela permettra de retrouver les concepts ou les principes techniques liés à cet objet, parce que tous les objets fabriqués par les hommes en sont porteurs.
Le travail est d’abord individuel, puis en petits groupes. On est obligées de se mettre d’accord pour dessiner une affiche collective qu’on présente ensuite au grand groupe. Chaque groupe explique ce qu’il a compris, on s’explique avec des mots, avec des gestes. Au fur et à mesure de l’avancée de la mise en commun, l’animatrice note au tableau des mots. Elle renvoie une image positive aux participantes. « Tout le monde a trouvé 2 principes techniques ou concepts scientifiques et techniques : le levier et le pivot. Mais il manque la préhension, pas besoin d’accrocher le linge par dessus le fil, il suffit de le pincer. Le principe de préhension fait tenir (attraper et maintenir) le linge ! ». Il faut que l’enseignant soit au clair avec les concepts qui sont derrière les mots de vocabulaire. Sinon, il met les élèves en situation de « faire » (une pince, ça pince!). Et on en reste là.
La dernière étape de l’atelier : chaque groupe reçoit un lot « d’objets qui pincent » et fort des connaissances acquises, il doit être en mesure de dire si ce sont tous des pinces…
Quittons la technologie pour la géométrie où l’on va apprendre la catégorisation. Toutes les disciplines concourent à penser les objets du monde, à les définir, avec leurs propriétés, à les classer et à les catégoriser. C’est cela que l’Ecole doit transmettre. Le troisième atelier animé par véronique Vinas est lui aussi très riche et intéressant.
Les groupes sont mis au travail, toujours après une phase individuelle pour permettre à chacun de mobiliser ses connaissances et d’avoir quelque chose à apporter au collectif, avec un nombre important de figures géométriques. Il en faut beaucoup parce que la consigne est large : les « classer », sauf que l’animatrice n’attend pas un « bon » classement et que chaque groupe doit argumenter pour justifier son propre classement. Alors on fait des catégories : ceux qui ont le même nombre de côtés, les « pointus », les « droits », les « penchés 2 à 2… ici on regarde les angles droits ou non, là les côtés parallèles ou non…
Deuxième étape : on ne classe que des figures à 4 côtés. Les discussions vont bon train, on essaie de convaincre l’autre. On commence un classement et on défait pour en recommencer un autre. « On est dans la sériation, là, avec 2 critères seulement.
– Pourquoi on ne mettrait pas ensemble les figures régulières ?
– Et les parallèles ?
– Qu’est-ce qui est régulier ? »
L’animatrice circule entre les tables et renvoie en miroir la réponse au groupe, pose de nouvelles questions, pousse les participants dans leurs derniers retranchements. On se frotte aux propriétés des objets. Préciser, argumenter, justifier, confronter, penser… quoi !
« On fait en raccourci mais avec les élèves, on prend du temps car apprendre demande du temps », précise Véronique Vinas.
En procédant ainsi de catégorisation en catégorisation de plus en plus fine, le savoir se construit peu à peu. On en arrive seulement à la fin de l’atelier à la figure du carré, qui possède toutes les propriétés étudiées. Ainsi on construit le concept et on ne part pas du plus simple pour aller vers le plus compliqué, en croyant bien faire et aider les élèves. On s’attaque d’emblée à la complexité des savoirs.
Isabelle Lardon
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