L’avenir du « bac de français » est-il dans son passé ? Le rapport Mathiot prône le maintien en 1ère des 2 Epreuves Anticipées de Français, écrites et orales. Il propose « que le poids du français dans le total du baccalauréat soit de 10% pour tous les candidats. » Et il envisage certaines évolutions : il appelle à « conduire une réflexion sur la nature des exercices demandés, tant à l’écrit qu’à l’oral » (p.13), il demande « une réduction du nombre d’exercices auxquels se préparer », ce qui « améliorerait sans doute la transmission des savoirs » (p.26). Un faux statu quo, donc, qui remue bien des espérances et bien des inquiétudes, surtout quand on apprend que la seule modification à venir serait la suppression de l’écriture d’invention. Ratera-t-on collectivement la chance de lui ouvrir de nouveaux horizons ? Eclairages sur le débat lancé et appel de l’Association Française pour l’Enseignement du Français…
Vers un bac de français régressif ?
Le rapport Mathiot souhaite « que le poids du français dans le total du baccalauréat soit de 10% pour tous les candidats. » Une avancée, vraiment ? Actuellement, le poids du français (via l’EAF) est d’ores et déjà de 10% dans la plupart des séries technologiques, de 11% en ES, S, STD2A et de 14% en L.
Beaucoup de professeur.es de français souhaitent une réelle transformation de l’EAF. Les épreuves actuelles sont déjà anciennes. D’une part elles favorisent un formatage de l’écriture au service d’une rhétorique essentiellement scolaire (à travers le « commentaire » et la « dissertation »). D’autre part elles font de la « lecture analytique » d’extrait une activité de classe écrasante au détriment d’une réelle pratique en classe et de la littérature et de l’oral.
Hélas, selon certaines sources, l’évolution et la « réduction » envisagées dans le rapport Mathiot seraient en réalité les suivantes : il s’agirait à l’écrit de supprimer « l’écriture d’invention » et il n’y aurait aucun changement pour l’oral. Irait-on tout droit vers une régression ? Espérons que le choix ne soit pas celui d’un repli à l’écrit et de la perpétuation du bachotage pour l’oral…
Supprimer l’invention à l’écrit ?
Etonnant message, étonnante représentation du français, des élèves et du rôle de l’Ecole ! L’écriture créative est une des rares avancées récentes de la discipline, que le bac de français était venu valider en 2002 sous le nom d’« écriture d’invention ». Certes sa didactique reste à consolider et elle n’est pas encore complètement entrée dans la culture enseignante. Cependant sa suppression signifierait que plus que jamais on envisage la littérature exclusivement comme un support de glose et l’écriture essentiellement comme un ensemble de codes scolaires à respecter. Des formes nouvelles restent d’ailleurs à inventer : par exemple un exercice qui inviterait « en même temps » (chiche ?) à « l’invention » et au « commentaire », une écriture littéraire suivie d’un texte par lequel l’élève expliciterait ses choix stylistiques et les enjeux de son texte, une expérience réflexive de la littérature. Alors peut-être commencerait-on à « faire du français » comme on « fait des maths » : par la pratique. Pour que vive à l’Ecole une « littérature rejointe de l’intérieur, et non pas examinée comme si elle était sur un piédestal » (François Bon, Apprendre l’invention, 2012).
Maintenir l’oral en l’état ?
S’il y a souhait global de « réduction », pourquoi continuer à mettre en place deux épreuves, un écrit et un oral, qui, sous des noms et des modalités différentes, aboutissent à des exercices équivalents ? On ne le sait que trop : le « commentaire » à l’écrit et la « lecture analytique » à l’oral ont les même finalités et évaluent globalement les mêmes compétences : la compréhension, l’analyse et l’interprétation d’un texte littéraire. Si ce n’est que l’oral, tel qu’il se déroule encore trop souvent, invite de surcroît au psittacisme. D’autres modalités restent ici aussi à inventer. Pour s’ajuster notamment à l’évolution d’une discipline qui depuis des décennies tente, bon gré mal gré, de considérer enfin l’élève comme un « sujet lecteur », d’accorder plus d’importance au travail des compétences orales, de favoriser des apprentissages plus actifs et plus collaboratifs, d’accueillir par exemple les nouvelles façons de lire et d’écrire que libère le numérique. Fera-t-on comme s’il ne s’était rien passé ? Fera-t-on table rase de 7 Rendez-vous des lettres qui, sous l’égide de l’Inspection générale, ont mis en mouvement l’enseignement du français ? Ne pourrait-on imaginer à l’oral de l’EAF une présentation plus ouverte qu’elle ne l’est aujourd’hui ? Plus ouverte dans ses contenus : présentation d’extraits étudiés et/ou d’œuvres étudiées et/ou / de lectures cursives et/ou d’activités créatives et/ou de projets collaboratifs …
Plus ouvertes aussi dans ses modalités : le numérique doit assurément y trouver sa place tant il met en œuvre de nouvelles façons d’apprendre et de partager, tant il nécessite lui-même des apprentissages. « Pourquoi pas, imaginait par exemple François Bon dès 2012, un contrat de l’enseignant avec sa classe permettant à ceux qui choisiraient en début de première l’option écriture d’invention de se présenter à l’EAF avec un dossier incluant leurs productions tout au long de l’année, pour un entretien raisonné sur leurs lectures, l’évolution de leur écriture, et ce qui s’en est induit pour la langue ? »
On sait combien les modalités d’évaluation finale influent sur la pédagogie mise en œuvre dans les classes. Ce qui se joue à travers les choix à venir, c’est le quotidien des lycéen.nes français.es dans les prochaines années, c’est aussi le sens que nous voulons donner au travail en classe de la langue et de la littérature.
Jean-Michel Le Baut