En éducation comme partout, il y a des innovations spectaculaires, dans l’air du temps, parfois abracadabrantesques, voire croquignolesques… Et puis il y en a de modestes mais qui méritent de s’y arrêter. Comme cette « sixième inclusive » du collège René Cassin de Chanteloup-les-Vignes(Yvelines). Elle fait partie des projets présentés au 10ème Forum des enseignants innovants. Son mérite : poser la question des élèves pré-orientés en fin de primaire et qui ne pourront plus, à de rares exceptions près, rejoindre la voie générale.
Le collège René Cassin de Chanteloup-les-Vignes est classé en REP+ (les réseaux d’éducation prioritaire renforcés). Il abrite une Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté), réservée aux élèves sortant de primaire en grandes difficultés que les divers dispositifs n’ont pas réussi à remettre à niveau. En Segpa, ils se retrouvent en petits groupes, avec un enseignement adapté dispensé par des professeurs des écoles spécialisés et, à partir de la quatrième, ils ont des ateliers avec des enseignants de lycée professionnel.
La Segpa du collège René Cassin compte une cinquantaine d’élèves, de la sixième à la troisième. Ils viennent de Chanteloup-les-Vignes ainsi que de trois communes environnantes – Carrières-sous-Poissy, Triel-sur-Seine et Maurecourt.
Pré-orientés
Jusqu’ici, les élèves pré-orientés en fin de CM2 entraient directement en sixième Segpa, séparés des élèves de sixième générale qui étaient dans trois autres classes. Depuis la rentrée 2016, il n’y a plus de sixième Segpa à René Cassin. Tous les élèves sont mélangés dans quatre classes de sixième « inclusive » aux effectifs réduits – pas plus de vingt élèves. Et une professeure des écoles intervient en co-animation avec l’enseignant(e) dans les classes.
Monique Balloy, directrice de la Segpa de René Cassin, est l’une des personnes au coeur du dispositif, avec le principal du collège et la professeure des écoles qui intervient dans les « sixièmes inclusives ». Elle revient sur cette expérience :
» A la rentrée 2016, nous avons accueilli 11élèves pré-orientés. Au lieu de constituer une classe de sixième Segpa à côté des trois sixièmes générales, nous les avons répartis dans quatre classes de « sixième inclusive ».
Les professeurs du collège ont joué le jeu. Ils nous ont dit qu’ils préféraient ne pas savoir qui étaient les élèves de Segpa. Seuls les élèves concernés le savent et nous, qui avons reçu les listes. «
Co-animation
« Nous avons pu lancer ce projet avec le principal, poursuit Monique Balloy, car nous avions une professeure des écoles très partante. Enseignante en Segpa, elle fait 16 heures en co-animation dans les classes de sixième. Le reste du temps, elle est prof d’histoire et de français pour les troisièmes Segpa.
Cette professeure des écoles a un emploi du temps flexible. Elle voit avec les enseignants lorsqu’ils ont besoin d’elle dans un cours et qu’ils font une séance ensemble. Tout est imaginable. Elle peut prendre des élèves avec elle et sortir de la classe, rester dans la classe et s’occuper d’un petit groupe…
L’an dernier, nous avons observé que les 11 élèves de Segpa n’étaient pas toujours les plus faibles ni ceux qui perturbaient la classe… On a repéré d’autres élèves en grande difficulté – on est arrivé à 20 au total.
Estime de soi
« Ce que je trouve de positif ? D’abord l’idée n’est pas de dire qu’il ne faut plus de Segpa. Les Segpa ont des richesses, elles proposent notamment des ateliers, ce qui est intéressant.
On sait qu’une fois en Segpa, il est très difficile de revenir ensuite à la voie générale. Or la circulaire de 2015 prévoit un examen du dossier des élèves en fin de sixième pour confirmer une orientation. Nous nous sommes appuyés dessus.
Notre projet donne un an de plus aux élèves pré-orientés pour regagner de l’estime de soi et pour se remettre au travail. En passant au collège, un élève peut se révéler.
A la fin de la première année d’expérimentation, nous avons eu 4 élèves de Segpa qui ont demandé à continuer en cinquième générale. Deux ont été acceptés, un a été refusé et un autre a disparu de la circulation.
Entraide
« Je vois d’autres avantages. Dans les sixièmes inclusives, lors du travail en groupe, on voit les élèves s’entraider.
Les élèves qui ont ensuite rejoint la cinquième Segpa se sont fait des copains en sixième générale, les liens vont continuer. Nous faisons tout pour favorise l’inclusion. Les cinquièmes générales et les cinquièmes Segpa ont le même emploi du temps. En plus, nous avons la chance que nos bâtiments donnent sur la cour (souvent, les locaux des Segpa sont séparés du collège).
Nous continuons cette année. A la rentrée 2017, nous avons réparti 7 élèves de Segpa dans nos « sixièmes inclusives ». Nous nous sommes donnés deux ans avant de faire un bilan. »
Tri
Ce dispositif, unique dans les Yvelines, est suivi de près par les autres Segpa. Avec sans doute un regard partagé entre la crainte de voir remis en cause un dispositif que la FSU vient de qualifier « de voie de réussite » et l’intérêt d’améliorer un système dont on connaît les faiblesses.
Une note de la DEPP (la direction des études et de la prospective du ministère de l’Education) de janvier 2017 indiquait que plus de la moitié des élèves de Segpa (58 %) sortent du système scolaire sans diplôme. Un peu plus d’un tiers (37 %) en obtiennent un, dans l’immense majorité des cas un CAP, tandis que 15% décrochent avant la troisième.
La DEPP soulignait aussi le profil social des élèves de Segpa – les trois quarts appartiennent aux 30 % des familles les moins aisées. Un chiffre qui renvoie au tri opéré par l’école française, bien au delà de la question des Segpa.
Véronique Soulé
La présentation des Segpa sur le site Eduscol
La circulaire du 28 octobre 2015