Si vous aimez la machine à gaz du bac vous ne serez pas déçu avec le nouveau bac imaginé par Pierre Mathiot et sa commission. Il gagne en complexité entre « unités générales », « unités d’approfondissement et de complément » et « unité d’accompagnement », sans parler des majeures, mineures et options. Mais on retiendra surtout trois points. Le principal c’est que la réforme du bac est l’outil pour changer le lycée et non seulement l’examen. Ensuite, le projet n’est pas évalué en terme de postes ce qui n’est pas bon signe. Il pose bien la question du maintien d’un volume hebdomadaire d’enseignement pour les professeurs et du maintien du groupe classe. Mais les réponses sont peu convaincantes. La réforme du bac pourrait bien faire sauter les statuts et altérer profondément les enseignements.
Un nouveau bac soumis à Parcoursup
En une cinquantaine de pages confuses, où l’auteur multiplie les scénarios possibles pour son « lycée des possibles », Pierre Mathiot propose de revoir entièrement l’examen du bac mais surtout le fonctionnement du lycée.
En ce qui concerne le bac l’objectif principal c’est que les trois quarts des évaluations aient lieu suffisamment tôt pour être entrées dans Parcoursup et permettre la sélection des futurs étudiants.
Le bac comprendrait deux types d’épreuves : finales et en cours de formation.
Les épreuves finales représenteraient 60% des points du bac. Il y aurait l’EAF qui ne changera pas et comptera pour 10% des points. L’épreuve de philosophie comptera pour 10% et aura lieu en juin. Deux épreuves sur les disciplines d’approfondissement choisies par les élèves auront lieu au printemps et compteront pour 25% des points. Enfin un grand oral, plutôt bi ou pluridisciplinaire, comptera pour 15% et sera passé en juin.
Les autres disciplines entrent dans un mode d’évaluation qui n’est pas tranché. Épreuves ou seule reprise des bulletins ? Banque nationale de sujets ou pas ? Cette possibilité est avancée mais vu la multiplication des choix on voit mal comment ce serait possible. Même inconnue sur le rythme d’évaluation. Toutes ces disciplines compteront pour 40% du bac. P Mathiot souhaiterait que l’assiduité entre aussi dans cette évaluation.
Au bac s’ajouterait un « portefeuille de compétences » prévu pour répondre aux exigences des cpge et même de certaines universités qui veulent des preuves d’investissement des candidats dans des projets particuliers évalués au lycée. Cela répond à la question des CV demandés aux jeunes dans Parcoursup.
Utiliser le bac pour changer l’organisation du lycée
Mais l’essentiel du rapport c’est la réforme du lycée. « Il était nécessaire de partir de la question du bac pour interroger l’organisation du lycée depuis la classe de 2de », écrit P Mathiot. C’est par le levier du bac qu’il veut redéfinir le fonctionnement du lycée et finalement le métier enseignant. Il n’est pas fait mystère que c’est la finalité principale de la réforme, même si les conséquences concrètes pour les enseignants sont évacuées.
Un fonctionnement en unités
P Mathiot prévoit un fonctionnement en unités. Il y aurait une « unité générale », comprenez le tronc commun. Des unités d’approfondissement et de complément (UAC) regroupant les enseignement choisis par les élèves, divisées en majeures, mineures et mineures optionnelles.
Enfin une unité d’accompagnement suivrait toute la scolarité à raison de 2 heures en 2de et 3 heures en 1ère et Terminale. Elle serait largement ouverte aux régions. On sait que celles-ci revendiquent l’orientation scolaire, et il semble qu’elle leur ait été promise.
Le rythme du lycée va changer et devenir semestriel. Pour P Mathiot il s’agit d’inscrire le travail de l’élève dans la continuité (5 mois). Mais on pourra changer d’enseignements en cours d’année sur le cycle terminal. P Mathiot hésite entre permettre une totale liberté de choix aux élèves ou guider les choix. Ce choix sera de toutes façons large car au delà des couples majeure-mineure déjà définis, les lycées auront une large autonomie et seront incités à développer leur propre offre en plus ou à la place de l’offre nationale.
Enfin, la réforme introduit des changements dans les disciplines. L’anglais n’est plus considéré comme une langue étrangère mais comme un enseignement fondamental. P Mathiot introduit un enseignement de culture scientifique et un autre de droit. Ce dernier pourrait être confié à des doctorants du supérieur.
En seconde
En seconde, les deux semestres auront une composition différente. Au premier semestre, 25 h seront données au tronc commun composé de français, anglais, histoire-géographie, lv2, Ses, maths, sciences (physique-chimie et Svt), Eps. Un enseignement optionnel pourra être choisi entre LCA, langue, arts, Eps, section européenne. L’accompagnement bénéficierait de deux heures. On notera l’entrée des SES dans le tronc commun de 2de.
Au second trimestre le tronc commun sera ramené à 19 heures, cette fois seulement français, histoire-géographie, maths, anglais, lv2 et Eps.
7 heures seront données aux enseignement UAC, dont deux majeures à choisir parmi SES, PC, SVT, SI, littérature. Un enseignement mineur pourra être choisi parmi les majeurs non choisis et PFEG, laboratoire, MPS, CIT, ISN, arts. Une option pourra être prise. Enfin il y aura l’accompagnement (2 h).
Première et terminale
En première on trouve 15 heures de tronc commun pris parmi français, anglais, lv2, Eps, maths, histoire-géographie. En Terminale, ce tronc descend à 12 heures avec philosophie, anglais, lv2, Eps, « culture et démarche scientifique », histoire-géographie.
Les élèves devront aussi prendre des UAC dans une semi liberté. Le rapport propose différents couples de majeures, dont le champ a été élargi. On trouvera 7 majeures technologiques correspondant aux séries actuelles du lycée technologique.
4 majeures scientifiques : maths PC, maths SI, SVT PC (c’était une revendication des professionnels), maths informatique.
6 majeures lettres société : maths SES, SES histoire-géographie, littérature arts, littérature langues, littérature LCA et SES histoire-géographie, et une discipline littéraire.
Les mineures seraient prises dans les disciplines déjà offertes en lycée. S’y ajouterait un enseignement Staps en 1ère, un enseignement de culture humaniste (lettres histoire-géographie et philosophie), un enseignement de science politique et un enseignement de droit.
L’annualisation en perspective
« Nous avons pleinement conscience que cette proposition pourrait avoir pour conséquence d’agir sur le rythme de travail des enseignants qui est actuellement organisé sur une base hebdomadaire », écrit P Mathiot. En effet comment maintenir un cadre hebdomadaire avec de telles différences entre les enseignements d’un semestre à l’autre. Il consacre une page à ce problème sans apporter de vraie réponse à la question de l’annualisation. La promesse que l’on ne toucherait pas aux heures supplémentaires est sympathique mais on ne voit pas par quel mécanisme elle serait possible. On va donc bien vers une annualisation des services avec ce que ça implique de baisse des rémunérations et d’augmentation des temps de travail devant élèves (voir en détail l’article ci-dessous).
Quel avenir pour le groupe classe et la construction des connaissances ?
Une autre page est consacrée à l’avenir du groupe classe face au zapping des majeures et des mineurs. Comment maintenir un cadre collectif structurant pour des adolescents permettant un vrai encadrement par des adultes alors que les cours sont remis en question tous les 6 mois ? Là aussi la réponse apportée par P Mathiot est peu convaincante. Il invite les établissements à faire des classes de scientifiques et des classes pour les autres !
L’incapacité du ministère à initier des changements pédagogiques n’est plus à démontrer. Le rapport Mathiot se borne à revoir l’organisation du lycée. Là, par contre, la capacité du ministère à gérer les moyens d’enseignement n’est plus à démontrer. On relèvera que P. Mathiot ne s’interroge jamais sur l’efficacité de son lycée pour tous les élèves, notamment les plus fragiles largués sans groupe classe fixe dans un maelstrom disciplinaire entre des lycées mis en concurrence. Et que jamais il ne se livre à une simulation chiffrée des moyens d’enseignement. Voilà de bons motifs d’inquiétude pour les enseignants des lycées et les lycéens.
François Jarraud