« On pourrait se demander si l’école, l’enseignement, ne serait pas le dernier petit village gaulois qui échapperait à l’injonction à rire, dans cette société du comique, prégnante et bête, au nom, justement, d’une certaine éthique intellectuelle ». L’humour et l’enseignement n’irait pas ensemble, annonce Corinne François-Denève (Université de Bourgogne) dans cet ouvrage qui explore la relation humour – enseignement (La chaire est triste L’Harmattan). Pourtant l’humour a aussi une efficacité pédagogique. « De nos jours, c’est certainement le numérique qui porte le message le plus créatif en matière d’humour et d’enseignement », conclut-elle, en interrogeant les princes du rire sur Twitter… Mais le livre passe à côté du vrai humour pédagogique.
Des formes d’humour éducatif…
« Le propos du présent ouvrage est de réfléchir à la possibilité d’une relation qui lierait enseignement, humour et création », explique Corinne François-Denève dans l’introduction de ce recueil d’une quinzaine d’articles.
« L’humour, en relation avec l’enseignement, peut se décliner de trois manières. Il peut en premier lieu concerner les simples supports de cours. Il s’agit là d’un « savoir-faire », d’une pratique qui intègre une dimension « humoristique » (charades, jeux verbaux, voire tests à question loufoque ou absurde). En second lieu, l’humour dans l’enseignement peut aussi concerner, dans un contexte de « classe » la relation pédagogique que décide d’instaurer l’enseignant. Ici, l’humour sera un élément clef de la transmission, ou sera en tout cas posé comme tenant une part essentielle dans la communication entre les « enseignants » et les « enseignés »… Enfin, l’humour dans l’enseignement peut s’élargir au milieu professionnel de l’enseignant : il peut en ce sens concerner le professeur/chercheur dans son environnement de travail, en lien avec ce qui fait son quotidien enseignant (rapport avec les collègues, la hiérarchie, les parents) », explique t-elle.
L’humour a-t-il une place à l’École ?
Mais « la relation humour-enseignement ne semble pas aller de soi. L’humour pratiqué en classe, l’emploi de supports pédagogiques humoristiques entraînent nombre de réticences ; et on trouvera peu de gens pour dire que le milieu éducatif ou universitaire valorise l’humour, le favorise, voire en rayonne ».
Non seulement l’humour peut être un obstacle à la compréhension pour l’élève, mais l’humour entre professeur et élève est un art difficile car l’humour suppose une connivence culturelle. « L’humour en classe est en effet toujours un danger. Venusia Passérieux assure ainsi que l’apprenant préfère souvent être placé du côté des « bouffons » que de l’« intello ». Faire de l’humour en classe oblige, de fait (au sens de « noblesse oblige ») à une réciprocité, et donc à ce que les apprenants puissent plaisanter au sujet du professeur ». Alors quelle place reste-il à l’humour en classe ? Selon C. François Denève, celle du tact pédagogique, « une forme de bienveillance ».
Le constat est amer. Mais la somme des articles réunis, essentiellement des témoignages d’enseignants, vient un peu infirmer l’affirmation.
D’abord parce qu’historiquement il y eut des enseignants fort drôles. C François Denève rappelle le professeur Colomb, auteur de manuels scolaires mais aussi des aventures de Zéphirin Brioche et du savant Cosinus. Agnès Milliot, dans un autre genre, montre que la pratique du fouet dans les Public Schools anglaises associe l’humour à la punition physique.
Les princes du rire sur Twitter
Georges Chapouthier ne renie pas le rôle du clown. » J’ai toujours rendu mes enseignements vivants par un appel à des plaisanteries, pensant que le métier d’enseignant était proche de celui d’acteur, parfois de clown. Mes cours comportaient donc des plaisanteries savamment préparées, que je replaçais d’une année sur l’autre, avec le même effet hilarant sur mes étudiants », dit-il. Et il décrit ces plaisanteries et le type d’humour autorisé sans nous convaincre.
Mais la partie la plus convaincante de l’ouvrage est celle qui est consacrée aux princes du rire sur les réseaux sociaux. Le prof de l’être, RIP Educ, Monsieur le Prof, Raconte ma vie d’instit expliquent comment sont nés leur vocation à faire rire de l’éducation. Ce qui est moins drôle c’est le rappel persistant à justifier le pseudo dans une institution plutôt pince et sans rire… Et aussi le fait que cet humour est déconnecté de l’enseignement.
Au bout du livre, on pourrait conclure qu’en dehors des « blagues du prof », un peu ou beaucoup condescendantes, il n’y a pas place pour une pédagogie par l’humour.
Pourtant l’humour pédagogique existe
Pourtant l’humour peut être un très sérieux éducateur et c’est dommage que le livre passe à côté. Un exemple ? Daniel Gostain et la Compagnie de clowns « Tape l’incruste ». « Le clown est une loupe. Il dit des choses qui sont au fond de moi mais que je n’ose pas dire. Il joue un peu le même rôle que les textes mythologiques qu’évoque S Boimare. C’est une façon de parler des élèves et aux élèves sans jamais parler d’eux. Le clown ne stigmatise pas. Il aborde les sujets avec distance », explique-t-il. Là l’humour est au service d’une démarche pédagogique pour affronter les empêchements d’apprendre.
François Jarraud
Corinne François-Denève (dir), La chaire est triste. Humour & enseignement. L’Harmattan, ISBN : 978-2-343-13594-6