» Bien que le ministre parle de confiance, ses éléments n’y sont pas ». Stéphane Crochet, secrétaire général du Se-Unsa, le second syndicat enseignant, fait le bilan des six premiers mois de JM Blanquer en passant en revue les réformes de la maternelle à Parcoursup. Il craint » l’imposition de méthodes très mécaniques » au primaire. Il dénonce le manque de postes dans le second degré. Il est déçu par les dernières propositions sur la réforme du bac et du lycée. Le Se Unsa marque ses inquiétudes et envisage des actions communes avec les autres syndicats.
En six mois, Jean-Michel Blanquer a transformé l’école et ouvert tous les dossiers. Pour l’enseignement primaire, l’autre grand syndicat, le Snuipp-Fsu, a nettement marqué ses inquiétudes. Comment lisez vous les déclarations du ministre ?
Nous ne sommes pas plus rassurés. On attend de voir comment le conseil scientifique nommé par le ministre va fonctionner. Fera-t-il un travail de collation des recherches pour les mettre à disposition de l’Ecole ou tombera t-il dans des préconisations injonctives sur un seul type de méthode de lecture ? On craint un conseil prescriptif.
Le ministre a rappelé plusieurs fois que l’école maternelle devait être « l’école du langage ». Vous y voyez un retour aux programmes de 2008 ?
Forcément ça rappelle 2008 car le ministre n’est pas un homme nouveau et on craint de voir revenir ce qu’il avait mis en place quand il était directeur général de l’enseignement scolaire. Evidemment la maternelle est bien l’école du langage. Ce qu’on craint c’est l’imposition de méthodes très mécaniques. On sera attentif à l’organisation des Assises de la maternelle.
Dans les dossiers ouverts il y a la question des directeurs d’école. On en est où ?
Il y a une tension qui perdure chez les directeurs. La suppression des aides administratives (des emplois aidés NDLR) a à nouveau mis en lumière les difficultés de fonctionnement. On s’est adressé plusieurs fois au ministre sur ce point. On a eu une audience en décembre sans ouverture du ministère.
La carte scolaire est publiée. Il y a des créations de postes dans le primaire. Sont-elles suffisantes ?
Il y a 3800 créations de postes qui seront consommées par les dédoublements prévus en CP et en CE1 de l’éducation prioritaire. Ils ne suffiront pas. On commence à voir des tensions dans les départements. Notamment les départements ruraux sont appelés à être mis largement à contribution. Alors que le président de la République a déclaré ne plus vouloir fermer de classe en zone rurale, on voit mal comment cette priorité pourrait être mise en oeuvre.
Le ministre a annoncé que le dispositif Devoirs faits sera étendu au primaire mais on n’a pas de début de discussion sur ce déploiement. Tout ce qu’on sait c’est qu’il souhaite des devoirs au primaire. On sera attentif à ce qu’il n’y ait pas d’alourdissement de la journée des enfants. Les dispositifs d’aide aux devoirs existants ne se sont pas montrés très efficaces.
JM Blanquer a obtenu l’éradication de la semaine de 4 jours et demi. C’est une catastrophe ?
La semaine de 4 jours et demi est plus favorable aux apprentissages particulièrement pour les enfants les plus fragiles. C’est quand même compliqué pour le ministre de déclarer que tout doit être fait pour la réussite de tous les élèves et de supprimer 20% des matins de classe.
Il y a une contradiction entre les dédoublements et la semaine de 4 jours ?
Les dédoublements en rep et rep+ peuvent avoir un impact. Mais ils ne concernent que 20% des élèves et tous les élèves en difficulté ne sont pas en éducation prioritaire. IL y a bien une contradiction entre le plan lecture et la possibilité de revenir aux 4 jours.
JM Blanquer a aussi attaqué la réforme du collège. Pour vous elle est morte ou elle des chances de perdurer ?
Elle va vivoter. Un EPI reste obligatoire en cycle 4 mais il n’y a plus de moyens supplémentaires pour le second degré alors qu’il faut accueillir beaucoup plus d’élèves et que les collèges sont priés d’élargir l’offre d’enseignements et d’enseignements facultatifs. Par conséquent les établissements vont être mis devant des choix. Ce sera compliqué d’accueillir davantage d’élèves, d’ouvrir de nouvelles formations tout en dédoublant des groupes pour permettre des travaux interdisciplinaires. Il y aura une forme d’éradication par la contrainte de la réforme.
Les acteurs de terrain vont se retrouver devant la difficulté d’avoir à sauver des postes, d’ouvrir des divisions sans moyens supplémentaires, tout en ayant une offre de formation qui puisse faire face à la concurrence des autres établissements. A la fin quelle marge auront ils pour travailler différemment ?
Pour vous c’est une occasion perdue ou la réforme était de toutes façons trop mal engagée ?
La réforme du collège, comme celle des rythmes, était née dans la tension avec les équipes. Mais pour le collège les équipes n’ont pas eu le temps de construire leur nouveau mode de fonctionnement. Les équipes les plus mobilisées vont chercher à faire perdurer les organisations mises en place. Pour les autres ce sera plus compliqué.
Cette concurrence entre collèges est-elle bénéfique ?
Il y a bien une volonté d’avoir des collèges qui font la promotion de leur offre de formation même si ça se passe en silence sans que le ministre ne martèle cette commande. On voit par exemple l’invitation qui est faite à développer cette offre. C’est évidemment très risqué pour le système éducatif et pour les élèves les plus fragiles. On sait bien que tous les élèves ne sont pas égaux devant l’offre de formation et que les moyens du système éducatif sont limités. La première carte scolaire du quinquennat met la dotation en postes à zéro alors même que le nombre d’élèves augmente fortement.
Le ministre a lancé aujourd’hui Parcoursup. Comment voyez vous cette nouvelle plateforme d’orientation vers le supérieur ?
On lui a été favorable. L’enjeu maintenant c’est de voir si la mécanique fonctionne.
Pourtant beaucoup y voient un outil de sélection ?
Le système sélectionne déjà. Le vrai enjeu c’est l’accompagnement du choix des étudiants vers des filières où ils ont des chances de réussir.
Et cela la plate forme va le permettre ?
C’ets dans la procédure et dans le fait que l’enseignement supérieur doit dire quelles sont les chances de réussite et quel accompagnement il propose. La question c’est de voir comment le système peut mettre cela en oeuvre réellement et si Parcoursup ne plante pas.
Des universitaires disent qu’ils n’ont pas les moyens nécessaires à cet accompagnement…
Il y a eu quelques moyens d’accordés. Mais ça interroge les universités sur l’utilisation de ces moyens. Le pari c’est que moins d’élèves redoublent et qu’à moyen terme les moyens soient mis plus sur la réussite que sur le redoublement. Il faut voir aussi combien il y aura de places supplémentaires en BTS et IUT pour accueillir des élèves qui vont en université aujourd’hui faute de places.
En 2017 14 000 bacheliers professionnels sont allés en université et la ministre annonce 7000 places supplémentaires en BTS en 5 ans. N’y a t-il pas problème ?
Il n’y aura probablement pas assez de moyens. Mais on ne peut se satisfaire du taux d’échec énorme à l’université aujourd’hui.
Parallèlement il y a la réforme du bac et du lycée. Vous avez été consulté ?
On a été reçu au ministère en novembre puis en janvier dans le cadre d’un collectif. L’enjeu de la réforme du lycée c’est de mieux préparer les élèves à leur projet de poursuite d’études et à mieux réussir leur orientation .
Les dernières hypothèses émises par la commission Mathiot peinent à convaincre. On a l’impression que la réforme a maintenant pour boussole centrale les économies à faire sur les épreuves du bac. Une épreuve terminale articulée sur 2 dominantes et un oral d’un projet articulant philosophie et dominante ça fait une hyper spécialisation. C’est très enfermant.
L’organisation par semestres implique t-elle l’annualisation des services des enseignants ?
Chaque trimestre va se terminer par des épreuves locales de controle continu. Ca sera très lourd pour les élèves comme pour les enseignants. Du coté de ceux ci on va passer beaucoup de temps à concevoir des sujets et évaluer. Ca pèsera sur les conditions de travail.
Ca va aussi interroger leur service. On peut bien sur organiser des emplois du temps qui prévoient tout depuis le début d el’année. Mais ca va devenir très difficile de faire les emplois du temps ! Globalement la nouvelle organisation amènera beaucoup de contraintes pour les enseignants.
Vous ne craignez pas la baisse annoncée des volumes d’enseignement en lycée ?
IL faudra voir ce qu’il en sera en réalité car on parle de 27 heure smais il y aura aussi des enseignements facultatifs. Si on veut préparer les élèves à la poursuite d’études dans le supérieur il faudrait faire sa part à l’apprentissage du travail personnel. La baisse des horaires le permettra t-il ?
Le président a annoncé une baisse du nombre de fonctionnaires. N’est ce pas le but de la réforme du lycée ?
Quand on voit la dotation zéro pour le second degré alors qu’il y a une hausse démographique on peut craindre que le lycée devienne une réserve de postes pour réussir à adapter le collège à l’augmentation de l’offre de formation.
Enfin il y a la voie professionnelle. Et là on ne voit même pas les intentions de réforme. Le ministre dit que c’est prioritaire mais on est dans le flou alors même qu’elle devra s’articuler avec la réforme de l’apprentissage.
On voit repartir l’inflation alors que le point fonction publique est gelé et les accords PPCR reportés. 2018 va être une année difficile pour les enseignants ?
Alors que des perspectives de croissance se dessinent pour le pays les fonctionnaires ne pourront pas être les seuls à voir leur revenu stagner. Il faudra bien que l’Etat employer dise comment il s’engage dans sa politique salariale.
La FSU a annoncé des actions sur ce point. Vous allez vous y associer ?
On a la volonté de travailler avec les autres syndicats sur des modalités d’action pour lesquelles les collègues sont près à nous suivre. Le 10 octobre ne nous a pas convaincu. Pour les enseignants entre la carte scolaire et la réforme du bac qui pourrait ne pas convaincre les ingrédients sont peut être en train de se réunir pour que les enseignants expriment leur désaccord.
Comment jugez vous les 6 premiers mois de JM Blanquer ?
Bien que le ministre parle de confiance, ses éléments n’y sont pas. Notamment on manque d’une visibilité sur le sens de l’action ministérielle. Il y a beaucoup d’annonces, pas toutes de même niveau. Il y a un dialogue social minimal qui ne permet pas de voir la hiérarchie des priorités et les calendriers de travail. Les six premiers mois du ministre sont inquiétants pour l’Ecole et pour les enseignants.
Propos recueillis par François Jarraud