« Les résultats présentés ici, s’ils ne réussissent pas à asseoir le bien-fondé de la préscolarisation précoce, ne doivent pas pour autant conduire à le remettre en cause. Mais ils doivent alerter sur la nécessité de penser les conditions d’accueil des tout-petits à l’école maternelle pour que l’expérience scolaire profite à ces derniers ». C’est a un nouveau regard sur la scolarisation à 2 ans que nous invite France Stratégie avec cette étude réalisée par Arthur Heim. Le Café pédagogique l’avait publiée en juin 2017. La nouveauté c’est qu’en la publiant France Stratégie, un service du Premier ministre, donne une dimension officielle à une étude qui n’arrive pas à conclure au regard de sa propre méthodologie. S’il y a bien une question de l’éducation des jeunes enfants , il semble qu’encore une fois la scolarisation précoce soit appelée à porter le chapeau.
Un exercice théorique d’évaluation
Comment évaluer l’apport de la scolarisation précoce ? Comme le rappelle A Heim des études précédentes, celles de JP Caille, ont montré un impact positif durable de la scolarisation à deux ans. L’étude d’Arthur Heim a l’intérêt de vouloir renouveler l’approche méthodologique. Elle teste en fait différentes méthodologies pour observer leurs résultats en se basant sur le panel 2007 de la Depp et donc plusieurs dizaines de milliers d’enfants.
A Heim propose d’abord de comparer le cas des enfants nés en début d’année , plus susceptibles d’être scolarisés, et ceux nés en fin d’année, moins susceptibles au même âge d’être scolarisés. L’étude montre que les premiers vont avoir une meilleure scolarité mais ils auront aussi eu une année de maternelle en plus et aussi plus de maturité à l’arrivée à l’école élémentaire.
La seconde méthode exploite les différences entre départements pour comparer le devenir scolaire des enfants scolarisés ou pas à deux ans. Dans ce cas les résultats montrent que l’impact de la scolarisation à deux ans est négatif : les enfants non scolarisés réussissent mieux. Mais évidemment l’effet département n’est pas neutre.
Quelle conclusion en tirer ?
En juin 2017, lors de la présentation de l’étude dans le séminaire animé par A Van Zanten et D Fougère, A Heim relativisait sa découverte. » « Pour cette génération née en 1995-1996, une époque où il n’y avait pas encore de dispositif spécifique pour les très petits, les enfants s’en sortent mieux quand ils ne sont pas scolarisés à deux ans », nous disait-il. « Mais il est difficile d’inférer avec la situation actuelle où la scolarisation des moins de 3 ans est ciblée sur les Rep et où des moyens dédiés sont accordés pour des classes spécifiques ».
France Stratégie conclue différemment. » On voit qu’on peut obtenir, à partir des mêmes données, des conclusions différentes selon la méthode retenue », reconnait l’étude. » Si l’on obtient ici, avec trois méthodes différentes appliquées à des données identiques, des résultats assez contrastés, c’est peut-être aussi parce que celles-ci reposent sur la reconstruction statistique de situations contrefactuelles — c’est-à-dire, ce qu’il se serait passé si les élèves n’étaient pas entrés à 2 ans — que les informations disponibles ne permettent pas de définir précisément », reconnait-elle.
Malgré tout elle en tire une conclusion. » Au final, les résultats présentés ici, s’ils ne réussissent pas à asseoir le bien-fondé de la préscolarisation précoce, ne doivent pas pour autant conduire à le remettre en cause. Mais ils doivent alerter sur la nécessité de penser les conditions d’accueil des tout-petits à l’école maternelle pour que l’expérience scolaire profite à ces derniers, et, plus globalement, de s’assurer que toutes les politiques d’accueil et d’éducation des jeunes enfants dans notre pays soient guidées par l’objectif du développement des enfants ».
La question de la scolarisation à deux ans
Il y a bien en effet une question de la scolarisation précoce en France, que l’OCDE soulève depuis plus d’un an. Pour l’organisation les classes de maternelle sont trop chargées et les autres systèmes de garde pas assez ouverts aux objectifs éducatifs, particulièrement la garde à domicile ou chez des nounous. Cela augmente les inégalités sociales. L’OCDE demande donc de scolariser davantage dans de meilleures conditions les enfants et de réorganiser ces services éclatés entre des administrations différentes.
Le taux de scolarisation à deux ans piétine et même recule de 4% à la rentrée 2017. Il s’établit à 22% en Rep+, 19% en rep et 10% hors rep. Une situation qui pet surprendre mais qui s’explique par les conditions de cette scolarisation.
Une variable d’ajustement
En 2016 seulement 7% des enfants de moins de 3 ans étaient scolarisés dans une classe spécifique. 93% sont mélangés avec des enfants plus agés dans des classes qui regroupent en moyenne 17 enfants. Autrement dit la scolarisation des moins de 3 ans est restée une variable d’ajustement dans la plupart des communes. Et la qualité du service offert laisse à désirer.
L’étude d’Arthur Heim tombe à pic pour augmenter le doute sur l’intérêt de cette scolarisation. Un doute intéressant pour l’éducation nationale en recherche d’économies sur les postes.
F Jarraud