Dans un tonique article publié dans la dernière livraison de la revue Pratiques, excellemment documenté, Sylvie Plane, didacticienne et vice présidente du CSP, revient sur la bataille du prédicat. Une réflexion qui éclaire l’échec des réformes en France et le rôle du CSP.
« Que la grammaire suscite des querelles et soit à l’origine d’argumentaires très toniques n’est pas une chose étonnante : on se souvient que L.-N. Bescherelle et ses collaborateurs en 1838, année où ils font paraitre leur propre Grammaire de l’école pratique, intitulent un de leurs ouvrages Réfutation complète de la grammaire de MM. Noël et Chapsal ; ou que l’adoption du terme complément, présent dans les analyses de la langue depuis C. C. Du Marsais et N. Beauzée1 a fait l’objet de batailles face à la concurrence redoutable de régime, d’attribut, et d’objet2 ; ou encore que cet étrange compromis qu’est le complément d’objet3 dans la nomenclature de 1910 ne se comprend que comme une réponse qu’adresse la commission présidée par F. Brunot à d’autres catégorisations reposant sur des principes hétéroclites (Vergnaud,1980 ; Boutan, 1997 ; Fournier, 1998). Mais les mésaventures récentes du prédicat ne sont pas du même ordre : il ne s’agit pas d’une controverse entre grammairiens, mais d’un formidable déferlement d’opinions peu informées qui, prenant prétexte du prédicat pour critiquer des courants pédagogiques, envahit l’espace public et, à grand renfort de répétitions en boucle, diffuse des représentations erronées de ce concept grammatical, empêchant ainsi tout débat de fond et livrant à la vindicte populaire les concepteurs des programmes ». S Plane décrit précisément les rouages de l’emballement médiatique avec le srelais conservateurs bien connus.
Mais le plus intéressant est la conclusion. « Fallait-il donc introduire la notion de prédicat dans les programmes ? Si l’on se place sur le strict terrain de l’enseignement grammatical, les décisions qui ont été prises ont été pertinentes et elles ont d’ailleurs été aisément opérationnalisées par ceux qui ont pris la peine de lire les programmes… Mais si l’on se place sur le terrain de la stratégie, la réponse est nécessairement plus nuancée. D’une part, comme il a été dit plus haut, le contexte était défavorable, d’autant que venaient d’être publiés les résultats d’évaluations montrant une faiblesse des élèves en orthographe : on a été à deux doigts d’imputer au prédicat ces mauvaises performances. D’autre part, faute de moyens, il n’a pas pu être mis en place une formation préparant en amont les formateurs puis, par leur intermédiaire, les enseignants à la réception et à la compréhension de ce qui changeait dans la grammaire ». Une réflexion qui illustre les limites de l’action du CSP dans son ensemble et de la façon dont sont menées les réformes pédagogiques par le ministère.
F Jarraud