Dans un entretien accordé à Ouest France le 6 janvier, JM Blanquer annonce qu’il donne mission au psychiatre Boris Cyrulnik d’organiser des Assises de la maternelle en mars 2018. Elles auront pour but de « repenser l’école maternelle » pour en faire « l’école de l’épanouissement et du langage ». Une initiative saluée avec précaution par Isabelle Racoffier, présidente de l’Ageem, l’association des professeurs de maternelle, et Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp. Toutes deux posent notamment la question des conditions matérielles d’exercice en maternelle.
Langage et sécurisation
« Ce rendez vous devra nous permettre de penser l’école maternelle de demain pour en faire véritablement l’école de l’épanouissement et du langage ». Le 6 janvier, JM Blanquer annonce qu’il confie à Boris Cyrulnik la préparation des Assises de la maternelle qui se tiendront en mars 2018.
Pour le ministre ces assises seront l’occasion de « mettre en avant les meilleures pratiques pédagogique et éducatives… pour s’en inspirer ». Le ministre veut faire de la maternelle « un bain de langage, le moyen d’acquérir un vocabulaire riche ». Il reprend là une de ses formules habituelles. Le dossier de rentrée du ministère lui donne un contenu : il évoque longuement la méthode « Parler » , présentée comme efficace, alors qu’une évaluation de l’éducation nationale a été négative et que le très récent rapport de l’inspection sur les très petites sections affiche lui aussi des critiques. Pour JM Blanquer la formation des enseignants et des atsem sera « l’un des sujets majeurs des assises » et il évoque des formations certifiées. Les assises se pencheront aussi sur les questions du mobilier, des toilettes, des activités quotidiennes.
Boris Cyrulnik a rappelé la création de l’institut de l’enfance où il forme des intervenants auprès des enfants. Il met au premier plan l’importance de la sécurisation des enfants. « Le premier principe est de sécuriser les enfants… L’expérience montre que les enfants ne s’attachent pas forcément à celui qui a le plus de diplômes mais à celui qui établit de meilleures interactions », dit-il.
Des propos qui ont pu rappeler à certains l’expression fameuse de X Darcos affirmant qu’il ne fallait pas des enseignants avec master « pour changer les couches ».
« L’apprentissage du langage c’est celui de la subtilité »
Interrogées par le Café pédagogique, Isabelle Racoffier, présidente de l’Ageem, l’association des professeurs de maternelle, et Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp, souhaitent participer aux Assises et y porter le point de vue des professionnels.
Mais plusieurs points les interrogent. D’abord la référence à « l’école du langage » qui rappelle les programmes de 2008, inspirés par des proches du ministre actuel, avec ses listes de mots à apprendre.
« Un retour aux listes de mots ne serait pas une bonne idée », nous dit Isabelle Racoffier. « Il faut faire l’apprentissage du langage et comme maitresse je vois comment certains enfants apprennent à parler français à l’école maternelle. Mais pour acquérir du vocabulaire il faut des expériences vécues à plusieurs niveaux. Pour que le mot vive il faut faire le lien entre le vécu et le mot dans différents contextes. L’apprentissage du langage c’est aussi celui de la subtilité d’un langage qui traduit des émotions. Les enfants doivent entrer dans le symbolique, identifier des émotions. L’école doit apporter des modèles relationnels pour pouvoir mettre ne place le langage ».
« La référence à l’apprentissage du langage nous inquiète », estime Francette Popineau. « On pense qu’il y a une confusion entre posséder du vocabulaire et savoir exprimer sa pensée. Ce qui est important c’est que l’enfant apprenne à s’exprimer et pas qu’il maitrise une liste de mots ».
Comment sécuriser l’enfant dans une classe à 35 ?
« Je ne pense pas que B Cyrulnik pense que les enseignants de maternelle ne sont pas en capacité de rendre les enfants sécures », ajoute-elle. « Cet élément est important et ça fait partie des points de pédagogie qu’on doit transmettre en formation. Donc il ne faut pas de formation au rabais », insiste-elle. « Il est important que les enseignants aient un haut niveau de formation », estime I Racoffier. « Mais il faut améliorer la formation par rapport à l’école maternelle. Il faut plus de formation spécifique et une réelle diffusion des recherches ».
Mais toutes deux lient le sentiment de sécurité de l’enfant à son environnement. « Il faut aussi penser au nombre d’élèves par classe », déclare I. Racoffier. « Le ratio enfants par professeur français est le plus élevé d’Europe », rappelle-t-elle. « Il faudrait aussi une atsem par classe ». « Le lieu de vie de l’enfant est très important », estime F Popineau. « Avec une classe à 35 on peut avoir l’enseignant le plus sécurisant ce ne sera pas des conditions optimales pour apprendre ». Car, F Popineau veut le rappeler, l’école maternelle est d’abord une école.
Si l’école maternelle revient ainsi dans l’actualité ministérielle c’est aussi parce que plusieurs études montrent à la fois son importance et que l’avance que pouvait avoir la France en ce domaine est en train de disparaitre.
La France et son éducation pré-primaire
Depuis 2015 l’OCDE a publié plusieurs études, la dernière cet été, qui mettent l’accent sur l’éducation avant 6 ans et se montrent assez critiques pour la France, un pays pourtant pionnier en ce domaine.
« Les premières années jettent les bases de ce que seront le développement des compétences, le bien être et les apprentissages futurs », explique l’OCDE. L’organisation s’appuie sur les travaux des neurosciences et sur des données statistiques. Les neurosciences montrent que les premières années de la vie sont importantes pour le développement cérébral. D’abord pour le contrôle émotionnel , qui est une clé des apprentissages. Ensuite pour les apprentissages du langage, des nombres , des relations sociales. Les statistiques OCDE montrent qu’il y a un rapport étroit entre le nombre d’années passées dans une structure d’éducation à la petite enfance (EAJE) et la réussite scolaire.
Certes, » la France est l’un des quelques pays (avec la Belgique, le Danemark, l’Espagne, Islande, la Norvège) où la scolarisation à l’âge de 3 et 4 ans est généralisée (au moins 95% des enfants de 3 et 4 ans inscrits dans les programmes pré-primaires dans ces pays ; en France, 98% des enfants de 3 ans et 100% des enfants de 4 ans) », reconnait l’OCDE. Mais la France est en train d’être distancée sur le plan qualitatif.
Près de 2.5 millions d’enfants sont scolarisés en maternelle. On compte 26 enfants en moyenne par classe de maternelle. C’est le double de la moyenne OCDE qui est de 14. Mais cette moyenne cache le fait que la majorité des classes sont au dessus de 25 : 48% comptent de 25 à 29 élèves et 6% plus de 30 élèves.
Quand JM Blanquer se défausse…
Or cet aspect là est totalement passé sous silence par JM Blanquer et B Cyrulnik. Interrogé sur les leviers qu’il compte utiliser pour améliorer l’école maternelle, JM Blanquer cite le mobilier des classes, la cantine, les toilettes, toutes choses qui ne dépendent pas de son ministère. Au regard de l’état de la formation continue, on peut douter de sa capacité à l’améliorer.
Des Assises de la maternelle, pourquoi pas. Mais améliorer l’éducation de la petite enfance ne concerne pas que la maternelle mais aussi les autres modes de garde pour lesquels l’OCDE a signalé des carences éducatives. Et pour l’éducation nationale cela passerait par des moyens attribués en formation et pour réduire les effectifs classe. JM Blanquer est-il prêt à s’y engager ?
François Jarrraud
L’OCDE et la maternelle française