Frédérique Vidal a publié le 12 décembre les « attendus » qui, dès cette année, ouvriront ou fermeront les portes de l’enseignement supérieur. Bien loin de « redonner du pouvoir de décision à chaque étudiant », comme dit la ministre, les attendus sont rédigés dans des formules souvent imprécises qui laissent aux universités un vaste champ d’appréciation. Bien loin de « réaliser la promesse du progrès individuel », certains attendus semblent n’être là que pour adapter les flux aux places existantes. Le résultat final c’est que enseignants et lycéens sont piégés. Les enseignants ne pourront utiliser ces critères que de façon subjective avec tous les risques que cela sous entend. Mais c’est pire pour les lycéens qui se sont engagés dans des filières et qui voient les règles du jeu changer au bout du parcours et les portes claquer à leur nez.
Une révolution copernicienne
« Achever la démocratisation de l’enseignement supérieur et réaliser la promesse de progrès individuel et collectif qui l’accompagne : voici en un mot l’esprit qui anime le Gouvernement au moment de présenter devant vous ce projet de loi destiné à favoriser l’orientation et la réussite des étudiants… L’enjeu, c’est bien de donner à nos équipes pédagogiques dans les établissements les moyens de saisir à bras le corps l’enjeu de la réussite étudiante et d’accompagner ainsi toute notre jeunesse au moment de son entrée dans l’enseignement supérieur… C’est donc bien une révolution copernicienne que le Gouvernement vous propose, en passant d’un traitement de masse dont l’algorithme d’APB était le symbole à une procédure d’entrée qui redonne, à toutes les étapes, du pouvoir de décision à chacun des futurs étudiants et qui fait de la personnalisation le principe… Il n’y a pas de décision éclairée sans une pleine information. C’est tout le sens des attendus qui seront désormais publics pour chaque formation du supérieur : permettre à chacun des futurs étudiants d’avoir accès à la réalité des cursus, c’est-à-dire d’en connaître précisément le contenu et les exigences, non pas pour les dissuader, mais pour leur permettre de décider en toute connaissance de cause ».
Le refus de la démocratisation
Présentant le projet de loi « orientation et réussite des étudiants » devant l’Assemblée nationale le 12 décembre, Frédérique Vidal a longuement vanté le nouveau système qui se met en place dès cette année et dont les enseignants et lycéens devraient théoriquement voir le début avec les conseils de classe du 1er trimestre.
Or « les éléments de cadrage national des attendus pour les mentions de licence », un gros document de 48 pages, ne confirment pas mieux que son budget les bons sentiments de la ministre. Les attendus ne renseignent pas les lycéens car ils sont tellement flous qu’ils laissent la porte ouverte à l’arbitraire universitaire. Ils permettent une sélection ouverte dans les filières en haut de la pyramide des savoirs. Enfin ils sont obsédés par la gestion des flux. Au final ils changent les règles du jeu à quelques mois du bac dans des proportions importantes et qui vont apparaitre très vite aux yeux des lycéens.
La rédaction des attendus correspond à un basculement du pouvoir entre enseignement secondaire et supérieur. Jusque là les enseignants du secondaire à travers le bac, donnaient la clé d’accès au supérieur. L’enseignement supérieur a vu monter les effectifs étudiants. Cette démocratisation à l’entrée est très mal accompagnée si l’on en juge les taux de réussite dans le supérieur. On met toujours en avant le taux d’échec des bacheliers professionnels qui vont en université. Il faut aussi rappeler celui des bacheliers S, la crème de la crème des lycéens français : au bout de 4 ans la moitié (49.2%) est en échec.
Dans le nouveau système qui se met en place dès cette année, les élèves de terminale ont connaissance des attendus dès décembre pour envisager leurs choix dans la nouvelle plateforme qui remplace APB. Les enseignants devront lors du conseil de classe du 1er trimestre (s’il n’a pas déjà eu lieu) faire de premières recommandations aux élèves. Lors du conseil du second trimestre le chef d’établissement émettra un avis sur chacun des 10 voeux de chaque lycéen. L’établissement demandé par le jeune dira alors « non » (pour les filières sous tension), « oui si » c’est à dire une inscription sous réserve d’une formation à suivre par le jeune, ou « oui ».
Des attendus qui n’informent pas et conduisent à l’arbitraire
Dans la réalité les attendus ne sont pas assez transparents pour aider le lycéen , guider les enseignants du secondaire ou être contraignants pour les universités.
Ainsi pour accéder en droit le lycéen devra suivre un module « découvert du droit ». Il s’agit d’un module informatif, probablement en ligne. Pourquoi pas si le résultat n’est connu que du lycéen. Mais la fiche demande aussi au jeune « de disposer d’aptitudes à la logique et au raisonnement conceptuel », de « pouvoir travailler de façon autonome et organiser son travail », « d’être ouvert au monde ».
Ceux qui ont rédigé les attendus ignorent visiblement totalement les évaluations de l’enseignement secondaire. On ne voit pas comment le conseil de classe va pouvoir attester de ces compétences qui ne sont pas évaluées au lycée si ce n’est au doigt mouillé ou à la tête du client.
Comme ces formules sont vagues et que plus de 330 000 jeunes entrent à l’université chaque année, les universités utiliseront des algorithmes qui décideront de la décision d’admission ou non de chaque jeune. Comment évalueront-elles « la logique » ou le raisonnement conceptuel ? Avec les notes de philo ? Selon l’établissement d’origine ? La « personnalisation » promise risque bien d’aboutir à l’arbitraire. En tous cas chaque université pourra utiliser ces concepts flous pour faire son marché chez les lycéens. Les universités les plus renommées y trouveront leur compte. Les étudiants des établissements populaires pourraient en être les victimes.
Interrogée par le Café pédagogique, Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes Fsu, estime que ces attendus « ont été rédigés sans concertation avec les enseignants du second degré. On retrouve ce qu’on connait au collège avec le LSU pour évaluer des compétences très transversales où au final certaines disciplines prennent le pas sur les autres ». Pour elle, au final l’avis sera donné par le chef d’établissement d’après ce que pourra dire le professeur principal qui n’aura pas la tâche facile. « En même temps dans les formations sous tensions on instaure des restrictions qui barrent la route aux bacheliers ».
La sélection des filières « nobles »
Allons maintenant dans les filières jugées les plus prestigieuses. En sciences par exemple il est attendu des candidats « a minima une maitrise correcte des principales compétences scientifiques » et dans la discipline majeure « une très bonne maitrise des matières correspondantes au lycée ». Même si les sciences enseignées au lycée ne sont aps forcément celles des disciplines universitaires, les universitaires se garantissent ainsi d’enseigner qu’aux meilleurs élèves en tout, ceux des meilleurs établissements aussi, quitte à ce que le recrutement dégringole. Fini la démocratisation.
Le souci de gérer les flux aux dépens des lycéens
Mais il y a pire. Pour suivre la licence de psychologie il faudra dorénavant « savoir mobiliser des compétences en matière d’expression », disposer de compétences dans au moins une langue étrangère et avoir des compétences dans les disciplines scientifiques. Cette filière en tension accueille chaque année des milliers de bacheliers L qui ont 1h30 de sciences en première et plus rien en terminale (et pas de maths non plus en 1ère et terminale). En clair le gouvernement vient de claquer au nez des élèves de L un de leurs principaux débouchés. Et cela sans préavis.
Les bachelières de L ne sont pas les seuls. Il suffit de lire les attendus en économie gestion ou en sanitaire et social pour voir que ces filières sont fermées aux bacheliers technologiques. Quant aux bacheliers professionnels ils sont chassés de toutes les licences.
Les enseignants des lycéens en première ligne
Bien loin d’assurer la démocratisation du supérieur, le nouveau système rompt avec elle. Il calque sur l’université le mode d’accès des filières d’élite : avis du conseil de classe puis recrutement sélectif sur dossier. Ce nouveau système fonctionnera très bien pour les lycéens des familles favorisés et des lycées réputés. Mais dès cette année, il va mettre un terme aux ambitions de dizaines de milliers de lycéens venus des milieux populaires. Les enseignants du secondaire vont avoir à gérer cette situation pas plus tard que maintenant.
François Jarraud