« L’Education nationale ne fera pas face seule ». Pierre Léna, président honoraire de la Fondation La Main à la pâte et Didier Roux, vice président, reviennent sur les premiers bilans des Maisons pour la science. Pour eux elles valident l’appel aux scientifiques pour former les enseignants. PLus que jamais, LaMap veut changer les méthodes d’enseignement des sciences.
L’étude de Marc Gurgand montre que les formations des Maisons pour la science ont un impact limité. Quelles conclusions en tirez-vous ?
Pierre Léna – Nous avions fait le choix d’une étude totalement indépendante de la Fondation LaMap et de la lancer très tôt. Cela n’a pas que des avantages car le système des Maisons a du apprendre à se roder. En outre, les résultats ne sont encore que provisoires, l’étude demandant encore un an pour être complète. Enfin, à la demande des rectorats, elle porte sur un échantillon de professeurs choisis, de façon aléatoire mais parmi des volontaires. Cela introduit un biais car il s’agit d’enseignants très motivés pour les sciences. Donc on peut s’attendre à ce que l’impact de leurs actions évalué par rapport à leur pratiques antérieures est moins fort qu’avec des enseignants totalement pris au hasard.
Mais je veux retenir deux conclusions de ces premiers résultats. La première est que le choix de faire appel à des scientifiques pour former les enseignants est un bon choix. Les professeurs disent que cela leur apporte une vision nouvelle de la science même si certains intervenants scientifiques ont parfois quelque peine à se distancier par rapport à leur métier et à entrer dans un dialogue épistémologique avec les enseignants.
La seconde c’est qu’à leur retour en classe, après le travail fait dans les Maisons, les enseignants ne transposent pas automatiquement les pratiques d’investigation découvertes en formation. Ce n’est pas vraiment une surprise : nous savions d’expérience qu’il leur faudra plusieurs années pour se transformer. Mais je suis confiant que leur passage dans les Maisons les aidera à transformer progressivement leurs pratiques pédagogiques une fois perçu l’impact sur leurs élèves. Déjà nous voyons ce résultat important : les élèves font davantage de sciences et acquièrent davantage de connaissances.
Vous avez sous estimé la culture ou le fonctionnement du système éducatif ?
Didier Roux – Notre projet n’est pas une énième méthode d’enseignement. C’est bien le projet d’une transformation des pratiques de tous les enseignants de sciences. On se dote d’outils et d’évaluations pour faire cela sérieusement sur un temps long. Notre idée est de dire que c’est par l’intérêt des élèves, grâce à la méthode d’investigation, que l’on va susciter un intérêt pour les sciences qui va accompagner les jeunes toute leur vie.
On arrive à la fin des investissements d’avenir. Comment voyez vous l’avenir des maisons pour la science ?
DR – Aujourd’hui elles ont démontré leur impact. L’engagement des partenaires, universités et rectorats, est acquis. D’autres régions déposent des projets de maisons. On voit aussi se développer avec intérêt un lien entre Maisons pour la science et entreprises locales qui interviennent dans les formations. C’est intéressant car cela permet de faire entrer le monde économique dans l’éducation, un monde difficile d’accès pour lui.
Pour l’avenir, il faudra un financement. Aujourd’hui la question est ouverte. Mais c’est pour la France l’opportunité unique pour sortir de la spirale infernale du décrochage de plus en plus fort dans les classements internationaux.
PL – Les enquêtes Pirls montrent de mauvais résultats en lecture, Timms un effondrement dramatique en maths. Depuis 15 ans nombre de rapports d’instances publiques montrent que le développement professionnel des enseignants est à l’abandon. Nous avons montré que l’on peut se saisir du problème, que plus d’un millier de scientifiques ont accepté de s’investir bénévolement dans les Maisons et que le coût par enseignant de l’ensemble demeure très modeste. Si nous avons quelque peu contribué à la création de solutions en montrant comment les universités peuvent revenir sur le terrain de l’accompagnement professionnel des enseignants et que les professeurs y retrouvent un lieu naturel de fréquentation du savoir, alors nous n’avons pas perdu notre temps.
DR – En tous cas, nous avons la certitude que l’Education nationale ne fera pas face seule. Ce n’est pas par une énième réforme qu’on va répondre au besoin urgent de reprendre en main le système éducatif. Ce n’est qu’avec des acteurs extérieurs et ils sont prêts. Il faut voir l’enthousiasme des professeurs et des enfants, la redécouverte par les enseignants et la découverte par les élèves que le travail en équipe est un bénéfice.
Le rapport Gurgand montre pourtant que les formateurs externes à l’éducation nationale ne connaissent pas l’école et que ça pose problème…
DR – Ces formateurs ne sont si éloignés que cela de l’éducation nationale. Ce sont des chercheurs. Certes ils ont un apprentissage à faire mais il s’adaptent rapidement aux besoins des enseignants. Cela ne peut pas être une excuse pour que l’éducation nationale ne s’ouvre pas sur l’extérieur.
PL – Essayons de les voir comme des accompagnateurs , plutôt que comme des formateurs ! Il faut de l’air dans l’éducation nationale. Une école fermée sur elle-même ne peut qu’avoir peine à transmettre une science vivante.
Jusque là LaMap s’est intéressé au primaire et au collège. On est dans une époque où le lycée va être redessiné. Allez vous intervenir dans ce débat ?
PL – Pour l’académie des sciences, oui. Nous avons rencontré P Mathiot (chargé de mission sur la réforme du bac NDLR) et nous espérons contribuer à re-définir la place des sciences dans les 3 années du lycée général et technologique. En revanche , et au stade actuel , la fondation La Map n’a pas choisi de s’ouvrir aux lycées, sauf une modeste ouverture, tournée vers l’égalité des chances, vers quelques lycées professionnels en région Ile de France. Notre axe demeure d’intervenir à l’école et au collège, car on y touche tous les jeunes, à la différence du lycée général qui suit pour certains. Une mobilisation sur le lycée pourrait réduire notre action en faveur d’aider les élèves les moins bien dotés.
Propos recueillis par François Jarraud