Les élèves français ont des difficultés de compréhension des textes : on va leur faire faire des dictées tous les jours. Ils ne savent pas argumenter : de la grammaire vous dis-je ! Les professeurs ont besoin d’être formés : on va contrôler les manuels. Les professeurs français sont les moins satisfaits de l’OCDE : le ministre va leur écrire et fixer un cap car « la liberté pédagogique ce n’est pas l’anarchie ». Suite aux désastreux résultats de l’évaluation Pirls sur la lecture en CM1, JM Blanquer a présenté le 5 décembre un programme totalement décalé par rapport à la situation. Mais un programme qui enchaine tous les poncifs, de l’union nationale pour l’école jusqu’à « la dictée tous les jours » déjà mobilisée en son temps par N Vallaud-Belkacem. Sur sa lancée, le ministre de l’école de la confiance veut imposer manuels et pratiques pédagogiques. On est mal…
L’art de la fumée
« C’est l’ensemble de la société qui y arrivera. Pas seulement les professeurs ». Se proclamant « le soutien inconditionnel des professeurs » et en même temps partisan de « l’alliance entre l’école et les familles », arguant de « l’école de la confiance », JM Blanquer a réagi le 5 décembre aux résultats de l’évaluation internationale PIRLS.
JM Blanquer a son style, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de Vincent Peillon. V Peillon sortait de son sujet pour entrainer l’auditeur vers de hautes sphères philosophiques et républicaines. Mais V Peillon était professeur de philosophie. Diplômé en philosophie, JM Blanquer est surtout juriste. Il utilise le même procédé à sa façon. On part de la lecture et on se retrouve dans une apologie des sciences ou de la logique. Mais ce qui compte c’est ce qui est dit entre ces envolées scientistes.
Pirls
Le 5 décembre il est question de PIRLS. Cette enquête internationale montre que la France décroche nettement du groupe des pays de l’OCDE en ce qui concerne les compétences en lecture des écoliers de CM1. Les élèves déchiffrent, sont capables de retrouver des informations mais ont du mal à pousser la compréhension plus loin. Parmi d’autres facteurs d’explication, qui ne concernent pas tous l’école, il apparait que les enseignants français ne font pas faire les mêmes exercices que leurs collègues d’autres pays. Ils ne travaillent pas assez la compréhension. Il apparait également qu’ils bénéficient de moins de formation continue et qu’ils sont découragés.
Former les profs ?
On pouvait attendre d’un ministre de l’éducation nationale qu’il cherche des solutions pour améliorer la formation des enseignants et redonner du souffle là où l’enseignement est difficile. Et c’est ce que fait d’abord JM Blanquer en rappelant qu’il a dédoublé les CP en Rep+. Il promet de dédoubler tous les CP de rep et rep+ en 2018 et de commencer le dédoublement des Ce1. A la rentrée 2019 les 12 000 CP et Ce1 de l’éducation prioritaire seront dédoublés promet le ministre. Il ne dit pas comment il va faire. Le budget 2018 a été bouclé par des artifices. Celui de 2019 nécessiterait au moins 5000 postes…
Le ministre parle aussi formation. Il promet 9 heures de formation sur les 18 heures annuelles des professeurs des écoles. Ces formations seront dédiées à la lecture. C’est très léger. D’autant que ces formations sur 18 heures n’ont pas bonne presse chez les enseignants qui les jugent à raison souvent très médiocres ou inadaptées. D’ailleurs le ministre en convient mais il ne propose rien d’autre. Pardon, il annonce une lettre aux enseignants.
Des programmes « clarifiés »
Ce qui intéresse le ministre c’est ce qui est en amont de ces formations. Le conseil scientifique , déjà mis en place par lui à la Dgesco, qui va « rassembler des spécialistes issus de tous les horizons disciplinaires » mais « évidemment avec les sciences cognitives car on ne voit pas pourquoi on les ignorerait ». JM Blanquer ajoute que « tous ceux qui pensent le contraire nuisent au progrès ».
Ce conseil, confié à S Dehaene, aura à concevoir des évaluations. Elles vont se multiplier. En début de CP, au milieu du CP (dès cette année), en fin de CP, au début de CE1 (dès 2018), en 6ème.. Elles doivent accompagner les enseignants « éclairés par la science ».
Le conseil va aussi « clarifier les programmes ». JM Blanquer avait promis de ne pas modifier les programmes mais finalement il va les « clarifier ». Notamment le CSP devra faire des progressions annuelles de la maternelle à la fin du collège. Cela semble sonner le glas des cycles et aussi permettre une réécriture des programmes.
La dictée plutôt que la compréhension
Mais revenons au sujet du moment : la compréhension en lecture. Pour JM Blanquer, il faut pouvoir lire de façon fluide pour comprendre. Il faut du vocabulaire pour comprendre. Pour lui il faut aussi de la grammaire et de l’orthographe pour comprendre. « N’opposons pas fluidité et compréhension ». Donc il va développer les premiers…
La compréhension passe à la trappe et le ministre promet « la dictée quotidienne », une pratique déjà instituée depuis 2002, largement répandue dans les classes mais aussi généreusement promise par les ministres. Il enchaine avec la récitation quotidienne à l’école élémentaire, le vocabulaire enseigné en maternelle. Tout ça ce sont des souvenirs des programmes de 2008. Ces mêmes programmes qu’ont suivi, avec le succès que l’on connait, les élèves évalués par Pirls.
On continue avec une apologie de la grammaire. Là aussi le procédé a été souvent utilisé. Il sous entend que les ministres précédents étaient d’affreux laxistes. Et puis la grammaire c’est « notre identité en tant que France ».
La liberté pédagogique menacée
Pour finir, Jean Michel Blanquer a d’autres ambitions. Son conseil scientifique va « éclairer la communauté éducative ». Début 2018 il publiera un état de la recherche et les enseignants seront invités à en tenir compte. Car « notre institution doit indiquer le cap. La liberté pédagogique ce n’est pas l’anarchisme pédagogique » dit le ministre. Dans chaque classe, le ministre veut « apporter les lumières de la science ».
La liberté éditoriale attaquée
Ces propos déjà inquiétants sont renforcés par le viol d’une autre liberté démocratique assumé franco par le ministre : la liberté éditoriale. Le conseil scientifique du ministère labellisera les manuels scolaires comme cela se pratique dans certains pays où l’Etat peut imposer son manuel. Cela fait des années qu’au ministère on rêve de mettre au pas les éditeurs. Les ministres précédents avaient reculé devant le symbole de l’Etat censeur. JM Blanquer ne s’embarrasse pas de cela.
Un déni scientifique
Son conseil scientifique va dire quels sont les bons manuels. Et pour cela il s’appuiera sur l’étude de J Deauvieau, O Espinoza et AM Bruno. Or cette étude est fort contestée et n’est pas considérée comme une étude scientifique. Elle sert surtout à relancer la vieille querelle syllabique contre globale en prétendant à la supériorité des manuels syllabiques.
Comme le rappelle l’IFé, quatre études ont cherché quels sont les effets des manuels sur l’apprentissage de la lecture. Les travaux d’E Gentaz et de R Goigoux, avec un protocole scientifique incontestable, concluent tous deux à la non-supériorité de tel ou tel manuel. L’étude de R Goigoux montre que c’est une combinaison complexe de variables qui contribue à l’efficacité de l’enseignement dans laquelle le manuel n’est qu’un élément secondaire. Les enseignants utilisent d’ailleurs les manuels de façon très différente.
La compréhension ou le casse croute
Partant des difficultés de compréhension en lecture des écoliers français, JM Blanquer a réussi à flatter tous les poncifs de l’anti pédagogisme et même à relancer un débat dont on connait les dégâts durables pour l’école et les élèves.
Mais alors la compréhension on la travaille quand ? JM Blanquer propose qu’on utilise l’heure d’APC à l’école, ce petit moment où l’enseignant réunit quelques élèves sur l’heure du déjeuner ou en fin de journée. Et au collège deux heures d’accompagnement personnalisé. C’est trop !
François Jarraud