Ça paraît déjà loin et pourtant c’était il n’y a pas si longtemps, dix mois pas plus. Un temps où l’on parlait école et mixité sociale, où l’on commentait des études sur les avantages de la mixité dans les classes, où le ministère encourageait les expérimentations sur le sujet. Aujourd’hui le mot a pratiquement disparu. Le discours officiel lui préfère le mérite, la réussite, le redoublement… On est allé voir comment se passait l’une des expériences lancées durant le ministère de Najat Vallaud-Belkacem, dans le 18è arrondissement de Paris. Récit.
A la rentrée dernière, le collège Hector Berlioz, classé en REP (réseau d’éducation prioritaire), et le collège Antoine Coysevox, dans le18è arrondissement de Paris, ont inauguré leur tout nouveau secteur scolaire commun. Jusqu’ici, chacun recrutait ses sixièmes dans les écoles primaires de son secteur.
Désormais, dans le cadre de l’expérimentation pour promouvoir la mixité, les établissements recrutent dans un seul et même secteur conformément au dispositif de » la montée alternée « . Une année, tous les enfants du secteur sortant de CM2 vont au collège Coysevox. L’année suivante, tous vont à Berlioz. Et ainsi de suite.
Ultra ségrégué
L’idée de départ est la suivante. Le quartier est mixte mais cette mixité sociale ne se retrouve pas dans les établissements scolaires. En fusionnant les deux secteurs scolaires – celui de Berlioz et celui de Coysevox – , on peut espérer parvenir à une composition sociale plus équilibrée des collèges, reflétant celle du quartier où l’on compte 20 % d’élèves de milieux défavorisés.
Le décalage est particulièrement criant à Berlioz, un collège ultra ségrégué, » fui » par les catégories plus aisées qui citent les problèmes de violence et les piètres résultats au brevet. Ces familles vont vers le privé ou alors, en déménageant ou en changeant d’adresse, elles vont vers un collège public plus huppé. Une contournement qui accentue encore la ghettoisation de Berlioz.
Evitement
Les chiffres sont parlants. Dans le secteur des élèves affectés à Berlioz, on compte environ 32 % d’enfants de milieux défavorisés. Dans le collège, du fait même de l’évitement, ils atteignaient les 47 %.
Coysevox, situé à moins de 700 mètres, a toujours davantage reflété la diversité sociale du quartier. Son secteur de recrutement compte 10 % d’enfants de catégories défavorisées. Le collège en avait quelque 11%.
Concrètement, à la rentrée, les enfants du nouveau secteur bicollège ont donc fait » une montée alternée « . Tou.te.s les élèves de CM2 sont allé.e.s en 6ème au collège Coysevox qui s’est retrouvé avec 9 classes de sixième. Pour équilibrer les effectifs, simultanément, toutes les 4èmes de Coysevox ont » déménagé » à Berlioz pour y faire leur troisième.
Diversité
Luc Leclerc du Sablon est engagé depuis le début au sein du collectif » Apprendre Ensemble « . Ce groupe de parents du 18ème, qui milite pour la mixité à l’école, est l’un des piliers de l’expérimentation.
Il a un fils en cinquième au collège Berlioz où il siège comme représentant des parents d’élèves. Il a participé le 28 novembre dernier à la première réunion du comité de suivi de l’expérimentation avec une cinquantaine de personnes – parents, enseignants, élus municipaux, représentants de l’Education nationale, chercheurs…
» Pour moi, le bilan est entièrement positif, se félicite-t-il. Tous les retours que j’ai eus à Berlioz sont bons, ceux des professeurs, des conseillers d’éducation, des parents, y compris ceux dont les enfants ont » déménagé » alors qu’il y avait une opposition au projet à Coysevox. Ils sont très sastisfaits de ce qu’ils ont trouvé ici, un collège qui a à coeur de réussir cette aventure, avec une équipe enthousiaste qui aime son travail, où tout le monde bosse dans le même sens. »
Sur l’ambiance, Jean Leclerc du Sablon, chaud partisan il est vrai de l’expérience, voit aussi des changements intéressants. » Avec l’arrivée en troisième de 120 élèves de Coysevox, un collège favorisé par rapport au nôtre où les enfants d’origine africaine vivant du côté du boulevard des Maréchaux étaient sur représentés, la physionomie de Berlioz a changé. On a introduit une réelle diversité, proche de celle du quartier, c’est plus harmonieux. »
Défection
Pour l’impact sur les résultats scolaires, il est encore trop tôt pour un bilan. Les parents favorables au projet tablent sur la mixité sociale, et la mixité scolaire qui va avec, pour tirer l’ensemble de la classe vers le haut.
Les parents hostiles au projet à Coysevox redoutent, eux, que leurs enfants soient tirés vers le bas à Berlioz. Ils estiment que pour avoir une réelle mixité, il aurait fallu inclure dans le dispositif les collèges les plus favorisés de l’arrondissement, notamment privés.
Signe que l’expérimentation ne fait pas consensus, tous les élèves de 3ème qui devaient à la rentrée » déménager » à Berlioz n’ont pas suivi. Une vingtaine ont fait défection, selon les chiffres cités à la réunion du comité du suivi. Le collège Coysevox, qui accueille toutes les 6èmes du secteur, a lui fait largement le plein, avec une trentaine d’élèves en plus au total.
Débat
La partie n’est pas encore gagnée. Pour arriver à la montée alternée – une année, les enfants du secteur commun rejoignent Berlioz pour y faire tout leur collège, l’année suivante ils vont à Coysevox – , il faut franchir une seconde étape. Et il y a débat.
Soit l’on continue sur la lancée et à la rentrée 2018, les 5èmes de Coysevox iront à Berlioz où ils et elles finiront leur collège, tandis que les 4èmes de Berlioz feront le trajet inverse. A partir de la rentrée 2019, il n’y aura alors plus de » déménagement » d’élèves car la montée alternée sera en place. Les parents militants comme Jean Leclerc du Sablon y sont favorables.
Soit l’on s’accorde une pause d’un an et en 2018, seules les 4èmes de Coysevox » déménagent » à Berlioz. On attend 2019 pour mettre en place les conditions d’une montée alternée. Les partisans de cette solution estiment qu’il ne faut pas brusquer les choses, que trop de changements sont anxiogènes pour les parents.
La décision devrait être prise prochainement lors d’un comité de suivi plus resserré.
Distances
Tout semble ainsi se décider au niveau des acteurs de terrain – représentants de parents, élus locaux, rectorat de Paris… Le ministre Jean-Michel Blanquer a pris ses ses distances. Interrogé, il s’est contenté d’indiquer que les expérimentations se poursuivraient, sans marquer d’enthousiasme particulier.
Les moyens promis par Najat Vallaud-Belkacem n’ont toutefois pas été remis en cause. Les moyens supplémentaires dont bénéficie Berlioz car il est en REP – pas plus de 25 élèves par classe, un deuxième CPE (conseiller principal d’éducation)… – ont été étendus à Coysevox. Et l’offre pédagogique de Berlioz s’aligne sur celle de Coysevox, avec du chinois introduit l’an prochain en sixième par exemple.
Mais il n’est plus question de multiplier ces expérimentations. Le ministre qui ne parle jamais mixité n’a pas l’air de trop y croire. Si les expériences sont probantes, il pourra toujours s’en féliciter. Si elles ne marchent pas, il pourra en rejeter la faute sur sa prédécesseure. Lui préfère les internats d’excellence pour faire réussir les élèves défavorisés méritants.
Véronique Soulé
Le reportage du Café à la galette des rois du collectif « Apprendre ensemble «