En invoquant l’un des ses éléments de langage basiques, « le respect d’autrui », le ministre de l’Education nationale a »botté en touche » ; et il a montré qu’il ne voulait pas en réalité prendre « à bras le corps » l’un des objectifs majeurs indiqués par le président de la République
Il est vrai que cela risquerait de mettre Jean-Michel Blanquer en porte à faux avec nombre de ses soutiens les plus bruyants situés à la droite de la majorité présidentielle ( « Valeurs actuelles », « Le Causeur », Finkielkraut, Brighelli, Zemmour, Philippot).
Emmanuel Macron, à l’Elysée, samedi dernier : « C’est notre société toute entière qui est malade du sexisme, des représentations qui se sont installées. Il faut agir avant que nos enfants aient été éduqués selon des stéréotypes et des clichés. Cela commence dès la crèche »
Jean-Michel Blanquer, à la Matinale de France Inter de lundi dernier. Question de Nicolas Demorand : « Le président de la République a indiqué que l’école serait en première ligne de ce combat. Qu’allez-vous proposer dans le cadre de cette lutte ? ». Réponse du ministre actuel de l’Education nationale : « Le respect d’autrui […]. Je dis toujours que l’école primaire doit apprendre à lire, écrire, compter et respecter autrui. A partir du moment où on respecte autrui, bien entendu, on respecte les femmes dans le rapport hommes-femmes, avec tout ce que cela signifie ».
Avec «tout ce que cela signifie » ? On n’en saura pas plus…Ce qui permet d’évacuer la question épineuse de la lutte contre les « stéréotypes sexistes »… Bravo pour le »flou artistique ! Et bravo l’artiste !
Il est vrai que, sauf exceptions, cette question là est souvent escamotée ou pour le moins sous-estimée. Et depuis longtemps. De façon générale, les stéréotypes sexistes restent beaucoup plus présents à l’Ecole que l’on aurait pu le supposer après les injonctions de certains textes ministériels du début des années quatre-vingt (par exemple,l’arrêté du 12 juillet 1982 du ministre Alain Savary : « Action éducative contre les préjugés sexistes » ).
Mais, quinze ans plus tard, le rapport demandé par Alain Juppé sur cette question à Simone Rignault (députée RPR) et Philippe Richert (sénateur apparenté à l’Union centriste) et remis le 9 avril 1997 au Premier ministre est sans appel : « L’image donnée de la femme dans les manuels scolaires ne permet pas aux jeunes filles de trouver des modèles positifs d’identification. Elles n’y trouvent la plupart du temps que des modèles de mère, d’épouse ou de ménagère. Pas ou peu valorisée pour ses qualités, la femme n’est pas invitée à participer à la vie économique ni à l’histoire de son pays ». Les deux auteurs responsables du rapport, qui s’étaient pourtant interrogés initialement sur le sérieux et l’enjeu de la requête (qu’ils estimaient pour l’essentiel dépassée compte tenu des politiques officielles scolaires affirmée ), sont formels : « En France, malgré les mesures prises il y a une dizaine d’années, des stéréotypes sexistes existent toujours dans les manuels scolaires ».
Si l’on en juge par des études réalisées ces dernières années, on en est toujours là pour l’essentiel. Une étude de 2007 sur les 7 manuels de lecture parmi les plus utilisés en cours préparatoire montre que les enfants de CP, à travers ces manuels, ont des modèles d’identification conformes aux stéréotypes de sexe, notamment par rapport à la présentation des héros et des héroïnes, de leurs activités. Le père y est souvent absent, et peu concerné par les tâches familiales, tandis que la vie professionnelle des mères n’est guère évoquée » (Christine Fontani, « Les manuels de lecture sont-ils sexistes ? », 2007).
Les manuels d’histoire de 2010 ne sont pas encore vraiment sortis de l’orbite du sexisme en dépit des progrès constatés et des perspectives nouvelles qu’offrent en ce domaine les nouveaux programmes, si l’on en juge par la publication du Centre Hubertine Auclert de septembre 2011 intitulée : « Histoire et égalité femmes-hommes : peut mieux faire ».
Une autre étude, réalisée sur une trentaine de manuels de mathématiques de terminales générales ou professionnelles (publiée également au Centre Hubertine Auclert en novembre 2011 et intitulée : « Egalité femmes-hommes dans les manuels de maths, une équation irrésolue ? ») montre « la permanence des représentations inégalitaires et stéréotypées qui ne sont pas liées aux programmes, mais à leur mise en scène pédagogique. Ainsi, parmi les personnages sexués comptabilisés, on compte une femme pour cinq hommes ; elles sont moins présentes dans l’iconographie ; les femmes ne dominent dans aucune des activités socio-économiques représentées ; et elles sont surreprésentées dans les professions auxquelles elles sont traditionnellement associées ».
Bref, on peut légitiment penser qu’il y a encore beaucoup à faire en la matière, comme l’a indiqué le président de la République Emmanuel Macron.. Mais le moins que l’on puisse dire , c’est que le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer est très évanescent à ce sujet, et qu’ « une obscure clarté tombe de cette étoile »
Claude Lelievre