« L’autonomie n’est pas seulement un changement administratif; c’est un changement de nature ». En ouvrant cette journée organisée par Education et Territoires, François Dubet lui a donné une tonalité, celle d’une opposition entre l’autonomie des enseignants et celle des établissements. C’était peut-être réduire le débat à des thèses déjà bien ressassées alors que les vraies révélations de la journée sont venues des acteurs de terrain qui ont su montrer comment concrètement les collectivités territoriales remodèlent l’éducation.
Autonomie et Saint Barthélémy des profs
« L’autonomie des établissements est une opportunité mais c’est un sujet difficile car chaque acteur a une vision différente ». La phrase de Serge Pouts-Lajus, directeur d’Education et Territoires, ne va pas être démentie lors de cette journée où vont se croiser des témoignages sur des actions de terrain impulsées par des collectivités territoriales et un débat assez artificiel en défense ou contre les enseignants, jugés être les empêcheurs d’autonomiser en liberté.
Pour François Dubet, si « l’autonomie n’est pas seulement un changement administratif; c’est un changement de nature » , il ajoute de suite que « c’est pour cela que les agents résistent ». Il oppose la tradition napoléonienne et weberienne de l’éducation nationale, avec son établissement sanctuaire où parents et entreprises son tenues à l’écart. Un modèle qui a éclaté sous la pression de la massification scolaire : « l’idée que tous les établissements sont identiques devient une fiction dans les années 1980 ». Aujourd’hui l’autonomie proclamée des EPLE est « un trompe l’oeil ». D’ailleurs qui veut l’autonomie ? Pas les enseignants car « l’autonomie des enseignants est contre l’autonomie des établissements ». Pas les chefs d’établissement car l’autonomie c’est plus de travail. Pas le ministère qui continue à vouloir tout diriger.
Pour F Dubet, l’autonomie des établissements ce sera quand les chefs d’établissement choisiront leurs enseignants, quand ils choisiront aussi « les méthodes qui marchent » pour remplir des contrats d’objectif. Une idée développée plus tard par Bernard Toulemonde, ex Dgesco, pour qui l’établissement privé est l’avenir de l’EPLE. La matinée se terminera d’ailleurs sur une prise à partie de L Frajerman, enseignant invité à débattre.
L’échec du New Public Management
On a là la première découverte de la journée : ce très fort ressentiment envers les enseignants considérés comme des obstacles à l’autonomie. F Dubet et B Toulemonde rappellent à juste titre que l’autonomie des établissements est acquise dans les autres pays développés. Ils ne vont pourtant pas jusqu’au bout du raisonnement. Là où l’autonomie est allée le plus loin, on retrouve tous les maux qu’ils dénoncent : la baisse de niveau, la difficulté à recruter les enseignants, la démoralisation des directions, les inégalités. Le pays qui est allé le plus loin sur cette voie est aussi celui qui cumule le plus ces difficultés : la Suède. Ce que vantent Dubet et Toulemonde c’est le New Public Management, une idée déjà ancienne, où la France a du mal à entrer et d’où ceux qui y sont entrés en premier se pressent de sortir.
C’est dire que ce débat appartient déjà au passé. Le rêve du grand soir de la mise au pas des profs pour gagner en efficacité sous la pression de la mise en concurrence générale des établissements devient maintenant un fantasme de cadre franco français. Evidemment il y a aussi des choses à prendre dans les expériences de ces pays. Mais évidemment on n’améliorera pas l’éducation en faisant la guerre aux enseignants. Evidemment on améliorerait l’enseignement en les aidant, par exemple en proposant des conditions de travail et des formations A défaut on a peut-être l’école que l’on mérite…
Quand une région pense l’éducation en réseaux
La seconde et grande découverte de la journée ce sont les interventions des acteurs territoriaux qui lient renforcement de l’autonomie des EPLE et politiques éducatives territoriales.
Philippe Mittet, directeur adjoint de l’éducation de la région Nouvelle Aquitaine montre comment le conseil régional remodèle la carte des formations avec le souci d’équilibrer le territoire. Le souci de la région c’est son Far Est, le Limousin, une partie du Poitou, en perte démographique et déclin économique. Face à cette évolution , la région pense en terme de réseaux d’établissement et pousse des formations prestigieuses sur les zones dépressionnaires. Pour cela elle doit mener un vaste dialogue avec 600 lycées et CFA publics et privés et trois académies. Il faut faire partager aux uns et aux autres une stratégie globale, à l’échelle de la nouvelle région, alors que les académies et les établissements pensent à des échelles différentes.
L’autonomie au service de la mixité sociale
Marie-Henriette de Malvinsky, directrice de l’éducation du département de Haute Garonne, montre comment son conseil départemental a pris à bras le corps la question de la mixité sociale dans les collèges toulousains. Confronté à une véritable ségrégation scolaire encore plus forte que la ségrégation urbaine, le département a su convaincre la ville de Toulouse (de l’autre bord politique) de s’associer à une opération de fermeture et reconstruction de collèges qui permet de redistribuer les élèves des quartiers sensibles.
Concrètement le collège Badiou dans un quartier prioritaire commence à fermer à partir de cette rentrée 2017 et une partie de ses élèves est redistribuée dans 5 collèges publics de centre ville dont le très sélect collège Fermat. L’opération a été très critiquée notamment parce qu’elle s’accompagne du transport en bus des élèves (busing). Mais là aussi le dialogue, l’énergie remarquable de Marie-Henriette de Malvinsky, ont permis d’aplanir les difficultés.
Un élément clé de la réussite a été l’engagement de l’éducation nationale qui a donné des postes pour que les collèges puissent accueillir dans de bonnes conditions ces élèves souvent plus faibles. Dans les 5 collèges, les 6ème sont été limitées à 25 élèves par classe.
Le nouveau collège sera construit dans une zone comprise entre quartier prioritaire et centre ville. Le département et la ville préparent la fermeture d’un second collège. Mais le département se demande s’il bénéficiera du même soutien de l’éducation nationale.
A travers ces deux exemples on voit l’impact de l’autonomie locale sur le devenir des établissements , des enseignants et des élèves. Cette autonomie là peut bénéficier à tous.
François Jarraud
Sur le dernier livre de B Toulemonde
Angleterre Suede Pays Bas : l’échec du New Public Management