L’application en ligne LibMol rencontre déjà un franc succès en cours de sciences. Développé par Paul Pillot, enseignant de SVT au collège international Marie de France de Montréal et testé par plusieurs enseignants, ce logiciel de visualisation moléculaire surprend par sa simplicité d’utilisation, sa rapidité et ses graphismes de qualité. Quels sont les possibles de LibMol vis à vis de son aîné Rastop ? Paul Pillot explique en quoi son outil permet « des démarches pédagogiques ouvertes » et nous révèle aussi quelques nouveautés à venir.
Pouvez-vous nous présenter LibMol en quelques mots ?
LibMol.org est une application en ligne (sans installation) ou un logiciel portable téléchargeable si l’on ne dispose pas de connexion internet pour la visualisation de modèles moléculaires qui est conçu pour rendre cette exploration suffisamment simple pour que les élèves résolvent avant tout des questions scientifiques et non des problèmes techniques.
L’outil permet aux élèves d’être plus autonomes et donc de leur proposer des démarches pédagogiques ouvertes.
Quelles sont les grandes fonctionnalités de ce logiciel gratuit ?
En plus d’être un logiciel gratuit, Libmol est un logiciel libre dont le code source est disponible. Il exploite une librairie scientifique appelée NGL, activement développée par Alexander Rose, un chercheur de la Protein Data Bank à San Diego. Cette librairie offre des graphismes de grande qualité, elle donne accès à de nombreux traitements ainsi que des informations sur les modèles moléculaires. La plus grande partie du code de LibMol a pour objectif de faire converser intelligemment l’utilisateur avec NGL de manière ergonomique et transparente.
Libmol.org possède une banque de données intégrée issue du projet de la Librairie de molécules. Les utilisateurs n’ont la plupart du temps pas besoin de manipuler de fichiers et peuvent directement rechercher par mot clé le modèle qui les intéresse.
Une fois le modèle chargé, l’interface est informative : au survol d’un atome, on connaît son nom, le résidu auquel il appartient, la chaîne avec son nom complet (par exemple « Hemoglobin alpha chain »).
Les commandes sont disposées de façon à rendre intuitive la procédure de sélectionner une partie de la molécule, choisir un mode d’affichage, puis une coloration. Les choix pour la sélection sont visibles d’un coup d’œil et on ne peut pas activer des commandes qui ne donneront pas de résultats.
Une légende interactive indique la signification des couleurs. Une aide intégrée au logiciel s’actualise à chaque action. L’objectif est d’informer l’utilisateur sur les manipulations qu’il réalise et de lui apporter au besoin des connaissances scientifiques.
Il est possible de réaliser des sélections en fonction des catégories de molécules présentes dans le modèle (protéines, acides nucléiques, etc.), mais aussi via une interface présentant la séquence de chaque chaîne.
Une ligne de commande est disponible : elle suggère les mots clés au fur et à mesure de la saisie. Au survol de la souris, les sélections réalisables sont mises en évidence par une silhouette dans l’affichage 3D ce qui permet à l’utilisateur de suivre en permanence l’état des sélections qu’il réalise ou d’anticiper sur les effets de ses actions. Des images en haute résolution et sur fond transparent (idéal pour l’impression) peuvent être téléchargées par un simple clic. Il est également possible de créer des surfaces moléculaires imprimables ensuite en 3D !
Quels sont les avantages ou complémentarité à utiliser LibMol plutôt que Rastop ?
Vous pourrez trouver mon point de vue biaisé, mais dites-vous bien que si mon objectif n’était pas de faire mieux que RasTop, je ne consacrerais pas autant d’énergie et de ressource à développer ce logiciel !
RasTop est un logiciel qui a été développé en 1999 et qui est entré dans l’enseignement en France en 2002. Sa dernière modification fonctionnelle date de 2004 avec l’ajout d’une ligne de commande. L’ergonomie de ce logiciel reflète à mon avis celle de cette époque, même s’il a constitué un progrès certain par rapport à RasMol (interface unique, superpositions, multifenêtrage). En regardant les icônes, il est difficile de prévoir leur fonctionnalité. Certains traitements classiques nécessitent de passer par 3 niveaux de menus ce qui veut dire qu’ils ne sont pas accessibles aux élèves au premier coup d’œil. La fiche technique est très souvent nécessaire à son utilisation, même pour des professeurs qui l’utilisent chaque année.
En 2012 une thèse a été écrite par Stanislas Dorey au sujet de la visualisation moléculaire dans l’enseignement des SVT (voir références) et l’auteur relève un usage en classe très guidé, qui laisse peu d’autonomie aux élèves et qui n’a pas évolué en 10 ans.
C’est sans doute caricatural, car il y a de nombreux collègues qui ont pu s’approprier suffisamment RasTop pour s’affranchir de ces écueils. Il apparaît cependant clairement que dans de nombreux cas les élèves travaillent à partir d’une liste d’instructions à suivre afin d’aboutir à une image. C’est la contrepartie inhérente à la complexité du logiciel qui en font un choix qui me semble peu adapté aux pratiques pédagogiques actuelles.
J’identifie 4 niveaux de compétence dans la pratique de la visualisation moléculaire en SVT
– Afficher une molécule pour voir ses atomes et sa forme générale
– Traiter de façon à repérer les différentes chaînes, leur organisation et leurs relations
– Repérer la position d’un résidu particulier pour visualiser ses interactions
– Visualiser une partie variable pour en comprendre la cause ou la fonction (immunité adaptative, évolution, processus de cancérisation)
À mon avis, l’utilisation de RasTop en classe est accessible pour les deux premiers niveaux de compétence. Mais là encore, il me semble plus avantageux d’utiliser LibMol ne serait-ce que pour les légendes et l’explicitation des informations. Pour les niveaux suivants, LibMol rend accessible à l’élève la relation entre les séquences et leur disposition dans un modèle 3D là où avec RasTop, l’utilisation de la ligne de commande exige un niveau d’abstraction supplémentaire.
Dans la classe, au cours des phases d’exploration du modèle moléculaire, je trouve que Libmol permet de dialoguer avec les élèves autour de ce qu’ils sont en train d’observer et des traitements à mettre en œuvre pour parvenir à représenter graphiquement leurs investigations. On se retrouve vraiment dans une démarche scientifique où l’on émet une hypothèse, puis on recherche la meilleure stratégie pour la mettre à l’épreuve.
Enfin, l’usage de l’outil est beaucoup plus rapide : on se connecte sur le site, on recherche le modèle et il s’affiche, tout cela en moins de 20s. Il est possible de tester rapidement différentes options de visualisation et en quelques minutes d’obtenir un résultat pertinent. Pour le professeur, c’est davantage de temps passé à accompagner la démarche d’investigation des élèves, à développer leurs compétences de communication plutôt qu’à surmonter des écueils techniques.
Plusieurs retours de collègues qui ont utilisé LibMol en classe indiquent que les élèves n’avaient pas besoin de la fiche technique. Ce gain de temps permet également d’inclure la visualisation moléculaire dans des séances aux côtés d’autres activités et d’en faire un outil courant pour les élèves. Certains collègues l’intègrent directement dans leur ENT, ou même à partir de Pronote car la version en ligne ne nécessite aucun téléchargement ni aucune installation.
Il y a quelques points pour lesquels RasTop présente encore des fonctionnalités qui n’ont pas d’équivalent dans LibMol :
– La comparaison de molécules n’est pas encore possible par défaut, même si plusieurs collègues ont mis au point des solutions pour y-arriver
– L’affichage des liaisons hydrogène n’est pas encore implémenté (c’est une question de semaines)
– RasTop est le seul logiciel capable d’ouvrir des fichiers enregistrés… au format RasTop !
Beaucoup d’enseignants utilisent déjà LibMol en classe. Avez-vous des exemples de ces usages du logiciel réalisés par ces enseignants ?
C’est toujours intéressant d’avoir des retours sur les utilisations, mais je n’ai qu’un aperçu très partiel de ce qui se fait. J’ai beaucoup de retours concernant l’ergonomie du logiciel et sa facilité d’utilisation, mais moins sur les usages.
Concernant les objets d’étude, plusieurs collègues m’ont indiqué qu’ils avaient repris leurs TP faits avec RasTop et que le changement se faisait sans problème pour eux comme pour leurs élèves (structure de l’ADN, anticorps, cyclo-oxygénase, mesures de distance sur le récepteur nicotinique, p53, etc.…). C’est un point important car je reçois aussi des échos de collègues qui ne souhaitent pas utiliser LibMol craignant que cela représente un investissement en temps aussi conséquent que ce qu’ils ont dû réaliser avec RasTop. Je voudrai leur faire passer le message qu’il n’y a pas d’inquiétude à avoir : s’ils savent déjà utiliser RasTop, ils n’auront aucun problème à utiliser LibMol !
Certains collègues mettent à profit la banque de données intégrée pour l’étude des molécules du vivant en seconde. Mélanie Fenaert (Ac. Versailles) qui collabore au projet de jeu sérieux Survive on Mars a créé une page qui intègre libmol pour faire l’exploration et la comparaison de ces molécules dans le laboratoire de la station martienne !
Philippe Cosentino (Ac. Nice) m’a fait part d’activités sur le récepteur de la sérotonine et le LSD, avec des comparaisons de petites molécules. Il a créé une page pour permettre la comparaison de ces molécules à partir de leurs codes. Il a également utilisé LibMol pour réaliser des impressions 3D d’une enzyme (endonucléase).
Sandrine Beaudin (Ac. Aix-Marseille) m’a indiqué qu’elle appréciait la possibilité de télécharger directement des modèles moléculaires depuis la Protein Data Bank, ce qui lui permet de fonctionner indépendamment des contraintes du réseau de son établissement. Elle a développé entre autres des activités sur les TLR et la reconnaissance d’antigènes, sur le lysozyme et les conséquences de mutations touchant le site actif.
Sur une idée de Xavier Guéraut (Ac. Toulouse), nous avons mis au point une séquence pédagogique sur le récepteur à la testostérone et l’effet d’une mutation responsable d’une insensibilité aux androgènes.
J’ai fait travailler mes élèves de première sur un modèle de tétranucléosome dans le but de montrer la compaction de l’ADN dans la chromatine et de travailler sur les notions d’échelles.
Il est utilisé par des élèves en TPE en particulier pour exploiter des modèles présentant l’effet d’une substance médicamenteuse agoniste ou antagoniste sur des récepteurs.
Pensez-vous à d’autres perfectionnements futurs pour LibMol ?
Oui, beaucoup ! C’est un projet en cours, officiellement sorti en mai 2017 mais qui continue de s’enrichir progressivement. En ce moment, je travaille sur une fonctionnalité qui permettra de citer les sources des données moléculaires utilisées et de renvoyer vers les articles scientifiques correspondants. C’est une requête, formulée par un chercheur qui a souligné l’importance pour la formation des étudiants de leur faire prendre conscience de l’origine des données et du devoir de citation. Je pense que si l’on veut effectivement les former à la communication scientifique, il faut aller dans cette direction.
Hervé Furstoss (Ac. Strasbourg) qui a contribué activement à la rédaction des pages de l’aide interactive du logiciel a suggéré un panneau d’informations précisant la composition du modèle (les différentes chaînes avec leurs noms, les ligands, la composition atomique, etc.…).
Ensuite, je prévois un outil pour visualiser et explorer les interactions dans le modèle. Au menu, les liaisons hydrogène, les contacts hydrophobes, les interactions électrostatiques, les contacts Pi, etc.… Et la possibilité de visualiser ceux-ci par résidus en limitant l’affichage autour du contact. Les applications sont très nombreuses (drépanocytose, mucoviscidose, cancers, contacts antigène-anticorps, etc.…). J’y vois également le moyen de faire des liens avec les notions étudiées en chimie dans le programme de première.
Suivant la suggestion de Valérie Rambaud (Ac. Orléans-Tours), je prévois de finaliser une fonctionnalité pour exporter la fenêtre de LibMol sous la forme d’un lecteur intégrable dans d’autres pages, à la manière de ce que permet Youtube pour les vidéos. Valérie l’utilise déjà dans Genially et dans son ENT basé sur Moodle. Il sera également possible d’enregistrer une session de travail et de la récupérer par ce biais. Cela permettra aux élèves d’accéder à une correction, ou bien de commencer leur exploration sur une base déjà avancée.
Frédéric Labaune (Ac, Dijon) et Eric Jourdan (Ac. Besançon) m’ont sollicité pour la compatibilité avec les tablettes et les téléphones portables. Pour le moment, le site s’affiche, mais les fonctionnalités sont très limitées. Il faudra étudier le besoin éventuel de réaliser un développement spécifique pour ces interfaces (le cliquer glisser sur les séquences par exemple ne peut pas fonctionner).
La version portable téléchargeable pose plusieurs petits problèmes : comme elle n’est pas signée numériquement, un message d’alerte s’affiche lors de l’utilisation. D’autre part, il n’y a pas de mécanisme de mise à jour. La certification numérique pose la question du coût de développement (je fais tout cela à mes propres frais) et d’identification légale. Mais c’est quelque chose que j’envisage pour le futur.
L’enrichissement de la banque de modèles devrait être plus efficace à l’avenir afin de faciliter les nouveaux usages. Je réfléchis à un système de formulaire pour recueillir les suggestions des utilisateurs ainsi qu’à l’automatisation de ces ajouts pour me simplifier la tâche en arrière-plan. Il me paraît également indispensable d’avoir un site ressource qui serve de référence technique et pédagogique sur LibMol.
L’application est en français et traduite en anglais, mais elle peut facilement être traduite dans d’autres langues. Je recherche d’ailleurs des volontaires…
Enfin, la demande numéro 1, c’est la possibilité de comparer les modèles directement dans le logiciel. Cela nécessitera la réécriture d’une partie importante du logiciel, mais c’est prévu, probablement à l’échéance de la rentrée 2018.
Entretien par Julien Cabioch