Phénomène très rare à l’éducation nationale. La politique de lutte contre le harcèlement scolaire obtient des résultats car elle s’appuie sur des études scientifiques. Encore plus rare : ces résultats résultent aussi d’une continuité qui ignore les alternances politiques. Du moins c’était vrai jusqu’au départ, révélé par le Café pédagogique, d’André Canvel, délégué ministériel à la lutte contre le harcèlement, à la veille de la Journée nationale du 9 novembre. Là aussi la page se tourne ?
Une politique qui a obtenu des résultats
S’il est un domaine où le ministère a obtenu des résultats c’est la lutte contre le harcèlement. Avec l’impulsion lancée par Eric Debarbieux, les taux de victimisation ont baissé. Selon les enquêtes d’E Debarbieux, le harcèlement scolaire ne concerne plus qu’un élève sur dix. Selon l’enquête internationale HBSC (Health Behaviour in School-aged Children), menée tous les quatre ans dans 42 pays auprès de collégiens, le harcèlement aurait diminué en France de 15 % au collège entre 2010 et 2014. La baisse atteindrait 33% en sixième. Pisa 2015 relève aussi une nette amélioration du bien être chez les collégiens français.
Le fruit d’une constance politique
C’est que la lutte contre le harcèlement est un des rares exemples de continuité dans l’action politique sur deux quinquennats. Sous le quinquennat Sarkozy, Eric Debarbieux a réussi à convaincre Luc Chatel d’abandonner les rodomontades politiciennes pour aborder de façon réaliste la lutte contre la violence scolaire. On est ainsi entré dans la lutte contre le harcèlement. Reconduit comme délégué ministériel sous V Peillon, E Debarbieux a pu continuer une action de formation dont on récolte les fruits. Le ministère annonce 310 référents académiques, 1500 formateurs et près de 300 000 adultes formés… Cette continuité politique est assez rare pour être soulignée dans un ministère où le détricotage est la règle à chaque changement de majorité. C’est cette constance qui a obtenu des résultats.
Et c’est ce qui inquiète avec l’annonce faite par le Café pédagogique du départ d’André Canvel. Nommé par N Vallaud Belkacem en 2015 à la tête de la Mission de lutte contre le harcèlement il avait participé à un dernier événement , le 9 mai 2017, où la ministre assurait que la lutte contre le harcèlement continuerait malgré l’alternance.
Ce n’est pourtant pas le cas. Selon l’entourage de JM Blanquer, A Canvel « a souhaité mettre un terme à son engagement ». On relève que son départ intervient à un moment clé : à la veille de la Journée nationale contre le harcèlement du 9 novembre. Le ministère nous assure que « la mission continue ». Le ministre pourrait le 9 novembre nommer le nouveau délégué ministériel à moins qu’il ait une autre idée en tête… Son départ rompt avec cette exception de continuité qui est à l’origine du succès de la lutte contre le harcèlement.
De nouveaux défis
Il y a pourtant de nouveaux défis à relever. Il y a bien sur le cyberharcèlement qui a été la priorité donnée par la précédente ministre pour cette année. Un guide a été publié à ce sujet en novembre 2016.
Mais le principal défi est ailleurs. C’est de passer de la lutte contre le harcèlement à la recherche du bien être, un concept plus large.
Mais l’urgence c’est de ne pas omettre le mal être des enseignants. C’est ce qu’Eric Debarbieux a mis en évidence dans son dernier livre « Ne tirez pas sur l’Ecole ». Les enquêtes qu’il a menées auprès des personnels de l’Ecole sont inquiétants. Un sentiment que les enquêtes de l’Unsa ont d’ailleurs aussi montré. E Debarbieux avance des données précises. Dans le second degré, 38% des personnels se disaient en 2012 insatisfaits du climat scolaire de leur établissement. Ils sont 48% en 2016 et c’est 51% des professeurs de l’enseignement général et 64% de ceux des filières professionnelles. Au primaire, 25% des enseignants parlaient de climat dégradé en 2011. C’est 34% en 2016. En 2012 32% des personnels du 2d degré se disaient insatisfaits du métier. Ils sont 41% en 2016. Son bilan c’est celui d’un « ras le bol » qui va croissant. Un épuisement qui tire sa source du fonctionnement de l’institution éducation nationale.
Ce que montre E Debarbieux c’est la cécité du système pour les problèmes rencontrés par les enseignants. Cela ne surprendra pas les intéressés, habitués à se débrouiller seuls face aux problèmes. Mais ce n’est pas perçu a l’extérieur. Et Eric Debarbieux n’hésite pas à donner l’exemple des élèves difficiles. Il montre qu’on parle, à raison, d’école inclusive. Mais qu’on laisse les enseignants se débrouiller sans formation ni aide face à des difficultés qui relèvent de l’enseignement spécialisé. Il demande une véritable aide de terrain pour les enseignants qui souffrent et se retrouvent dans des situations intenables. Troisième facteur du malaise de l’école, le mépris pour la pédagogie qui est devenue une véritable rente pour de pseudo intellectuels et qui s’est banalisé.
Le ministre annoncera-t-il des actions en ces domaines le 9 novembre ?
François Jarraud
Dossier : Le bien être à l’école