« Plutôt que de fustiger les communautés d’enseignants qui essaient de réunir leurs efforts pour mettre en commun leurs pratiques et leurs intuitions pédagogiques, et de se moquer parfois de leur enthousiasme, il vaut sans doute mieux écouter et accompagner leur réflexion, en comprendre les besoins et les attentes implicites, saluer une démarche empirique qui ne cherche pas à s’imposer comme modèle, et les aider à inventer des solutions». Le rapport de l’inspectrice générale Catherine Becchetti-Bizot « Repenser la forme scolaire à l’heure numérique », que le Café pédagogique s’est procuré, appelle à soutenir de multiples façons les expérimentations de terrain développés par des enseignants avec des outils numériques. Il s’intéresse et s’appuie sur une connaissance très étendue des pratiques développées par des enseignants. Surtout, il recommande directement qu’on les écoute et qu’on comprenne leurs attentes. Il invite à « libérer les initiatives » et notamment à « sensibiliser » les chefs d’établissement pour « faire évoluer la forme scolaire ».
Le numérique un défi pour l’Ecole et la société
« Accompagner ces changements plutôt que de les subir, développer de nouvelles stratégies pour instruire, éduquer et préparer tous les élèves à devenir des citoyens libres de la société numérique, poursuivre leur formation et progresser tout au long de leur vie dans un monde incertain, complexe et hyper-connecté, représentent des défis majeurs pour l’École du XXIe siècle ». Commandé par N Vallaud-Belkacem, remis au ministre en mai 2017, le rapport de Catherine Becchetti-Bizot, ancienne directrice du numérique, se singularise par l’attention portée aux expérimentations et aux tâtonnements des enseignants. Une longue liste d’enseignants consultés illustre d’ailleurs ce souci, plutôt rare dans les rapports officiels.
Le rapport souligne « l’enjeu démocratique » des nouvelles compétences numériques à développer. Il dépasse la question de l’efficacité des outils en relevant que « entrer dans le sujet par l’impact des équipements, sans penser aux finalités pédagogiques, à la construction des compétences et à la formation des enseignants aboutit presque systématiquement à une déception ». Puisque « les outils en eux-mêmes ne font rien », « la question est de savoir quelles stratégies doivent être mises en place mais aussi quels contextes il faut créer pour permettre les apprentissages et obtenir les progrès souhaités ».
Le numérique et ses usages
Car, pour C Becchetti-Bizot, « le numérique change la donne » et « fait exploser » la forme scolaire traditionnelle. Cela d’autant plus que les élèves ont des pratiques nuémriques et qu’il s’agit de les éduquer et de construire chez eux les compétences nécessaires.
L’auteure relève que le numérique engage les élève sdans les activités et qu’il favorise la « construction collective et participative du savoir ». En ce sens C Becchetti-Bizot développe longuement le modèle de la classe inversée « un réservoir de propositions ».
Mais elle s’intéresse aussi à des usages disciplinaires plus anciens ou à d’autres exemples de pédagogies actives, notamment la scolarisation des réseaux sociaux, dont Facebook, ou la ludification avec des jeux sérieux ou des simulations. Elle interroge d’ailleurs l’usage des Data et l’usage des mobiles. « En s’appuyant sur les observations et les témoignages des équipes de terrain, et en cohérence avec le déploiement des supports mobiles dans les collèges, le ministère est conduit progressivement à assouplir les conditions d’utilisation de ces équipements personnels en classe, et à revenir sur une interprétation trop réductrice de l’article L. 511-5 du code de l’éducation », note-elle…
Le rapport montre une Ecole « au milieu du gué » face au défi numérique par « manque de confiance et d’autonomie » et par « difficulté à encourager ».
Le numérique un fondamental ?
Pour elle la transformation numérique de l’Ecole est « une opportunité ». « Le numérique doit être remis à sa juste place », demande-t-elle. « Il n’est pas une fin en soi ni un instrument spontané d’émancipation et de progrès pour les individus. Mais il est encore moins un simple « outil » sans conséquence sur notre approche des savoirs et notre perception du monde. Il est le milieu – matériel et culturel – dans lequel tous les enfants et adolescents se préparent à grandir, à vivre ensemble et à travailler. L’École doit poser pour cela les jalons d’un apprentissage qui se poursuivra tout au long de la vie … La culture numérique, la compréhension de ses logiques, de ses écritures et de ses enjeux, l’appropriation critique et méthodique de ses environnements, la capacité à agir, à s’exprimer et à créer avec ces instruments… font partie des fondamentaux qu’il faut acquérir dès l’école… Toutes nos observations ont montré que la réflexion sur le numérique permet de dépasser les oppositions caricaturales».
Libérer les initiatives
Finalement le rapport fait 7 recommandations. La première invite à « libérer les initiatives et donner plus de latitude aux équipes pédagogiques pour mener des expérimentations et participer à des recherches ». Notamment le rapport souligne qu’il faut « pouvoir désenclaver les initiatives individuelles et les mettre en réseau. Cela passe par un projet collectif, par des incitations et par des moyens ciblés, au-delà des efforts que fournissent actuellement certains établissements en interne. Permettre aux personnels engagés dans des expérimentations impliquant le numérique de participer à des recherches – actions, de documenter leurs pratiques, voire de mener eux-mêmes des travaux de recherche, implique de libérer du temps et d’assouplir les conditions d’exercice de leur métier, ou du moins d’intégrer ces missions dans leur activité professionnelle et de les valoriser dans leur carrière ».
Faire évoluer la forme scolaire
Le rapport recommande aussi d’améliorer la formation des enseignants et de faciliter le partage de ressources et leur appropriation par les acteurs. Sur ce point les propositions restent maigres comme « créer une plateforme sécurisée pour héberger les ressources produite spar les enseignants ».
Il invite à « mieux sensibiliser et former les personnels d’encadrement pour qu’ils encouragent, accompagnent et facilitent le développement de pédagogies innovantes et se fassent les relais de la nouvelle culture numérique sur les territoires » et à « créer des cadres de confiance, éthiques, techniques et juridiques, pour faire tomber les barrières, sécuriser les initiatives et les échanges de données nécessaires à tous les niveaux ».
Une dernière recommandation ouvre la porte à des changements plus ambitieux encore : « faire évoluer la forme scolaire, l’aménagement du temps et des espaces d’apprentissage, en s’appuyant sur l’expérience des équipes de terrain et sur la recherche ».
Le rapport de C Becchetti Bizot interroge un ministre qui ne manque pas de mettre en avant les innovations sous la houlette d’un président de la République qui se veut aussi favorable à l’innovation. A eux de dire ce qu’ils veulent faire de ce texte qui reconnait les enseignants comme des experts.
François Jarraud