Alicia Patapam est l’héroïne d’un livre espagnol pour enfants : il pleut, elle s’ennuie, se plonge dans un livre et, captivée, tombe dedans. A l’École maternelle la Maison du Jardinier, à Saint-Léonard dans le Pas-de Calais, les élèves en ont réalisé une version enrichie avec leurs correspondants espagnols : chacune des classes avait en charge de faire découvrir un conte aux partenaires en amenant un nouveau personnage dans le livre initial. Telle est l’une des nombreuses créations et interactions lancées par Ginette Mouton dans le cadre de son projet eTwinning « European stories ». La dynamique est telle que le projet se développe et s’élargit d’année en année. Elle révèle un secret de l’eTwinning : il y a plaisir d’apprendre quand il s’agit d’apprendre ensemble. Et ce, à tout âge. Et ce, encore plus quand on franchit bien des frontières et des limites pour « se décentrer ». Lauréat du concours national 2017, le projet « European stories » a participé à la conférence annuelle eTwinning à Malte.
Qu’est-ce qui vous a motivée pour lancer ce projet de partenariat en maternelle ?
J’ai mené ce projet avec ma classe de moyenne et grande section à l’École maternelle publique la Maison du Jardinier à Saint-Léonard dans le Pas-de Calais. Comme dans toutes les classes, le niveau est hétérogène et ce projet a permis de les faire tous travailler ensemble, en coopérant. La motivation était de rendre plus attractifs les apprentissages en mettant du sens derrière ceux-ci. Les enfants ne travaillaient plus pour eux-mêmes, mais pour construire quelque chose en commun. Une autre motivation était aussi d’amener les élèves à comprendre que les enfants d’autres pays étaient semblables à eux : qu’ils allaient à l’école, qu’ils apprenaient les mêmes choses qu’ils avaient les mêmes joies et peines, les mêmes centres d’intérêt tout en ayant une culture et une langue différentes … : une volonté de les amener à se décentrer.
Comment le partenariat avec les collègues s’est-il construit ?
Après un stage Canopé où le formateur nous a enseigné le B.A.B.A. du site eTwinning, de son esprit collaboratif et des ses possibilités techniques, je me suis inscrite en mettant une petite annonce pour dans un premier temps prendre contact et échanger sur les méthodes de travail en maternelle.
Une collègue espagnole m’a répondu. La première année, nous avons échangé des idées, des exemples de réalisations sans réellement faire un projet. Comme le « courant » passait bien et que la confiance était installée, nous avons décidé la deuxième année de faire un projet ensemble : le projet était de raconter l’histoire du Petit prince « avec des marionnettes en réalisant un film en relais. Ce projet a reçu le label de qualité européen. Ce qui nous a motivées pour en faire un second ensemble. Mais cette fois, comme 2 collègues de ma partenaire espagnole voulaient intégrer le projet, j’ai également recruté 2 collègues françaises. Nous étions donc 6 sur ce projet.
Cependant, vu le jeune âge de nos élèves, nous voulions conserver le côté relation duelle affective pour que chacun des enfants se sente vraiment lié à un correspondant tout en réalisant un projet avec une réalisation commune entre les 6 classes. Chacune des classes françaises avait donc sa doublette pour les vidéoconférences, mais en parallèle les enfants étaient conscients de réaliser un projet commun aux 6 classes grâce au Twinspace (et aux rencontres entre les 3 classes françaises).
S’il fallait expliquer le projet en quelques mots ?
Il s’agit d’un projet partagé par les deux écoles en France et en Espagne, avec l’implication de la famille comme moteur clé dans l’investissement des élèves. Des activités sont proposées : l’accent a été mis sur le jeu et sur le langage oral et écrit, ce qui nous a conduits à de nouvelles idées créatives dans la vie des deux centres. Dans sa mise en œuvre, nous avons ressenti le besoin d’aborder une deuxième langue, en appréciant l’échange de productions, les préoccupations des enfants sur les coutumes , la connaissance de contes , les cadeaux, les vidéos, les chants… entre les écoles.
Quelles ont été les principales réalisations des élèves effectuées dans ce cadre ? Selon quelles modalités de travail ?
Nous avions projeté 2 réalisations collaboratives. La première était d’imaginer une extension à l’album initial « Alicia Patapam » en rajoutant des pages. Et pour cela, chacune des classes avait en charge de faire découvrir un conte aux autres classes en amenant un nouveau personnage dans le livre initial. Chaque classe devait donc préparer la page à inclure avec le texte et l’illustration. Le tout a été mis en ligne sur Madmagz, mais aussi chaque enfant a réalisé son propre album pour ramener à la maison.
La deuxième réalisation était de produire des histoires en relais. En travaillant les contes, les enfants avaient dégagé le schéma quinaire. Les débuts d’histoires ont été réalisés, puis envoyés à une autre classe pour qu’elle imagine la situation problème, puis le tout était envoyé à une troisième classe qui devait trouver une action, la 4ème classe devait trouver une autre action, la 5ème devait trouver une solution…. Jusqu’à la 6ème classe qui devait écrire la fin. Il était demandé à chaque classe de fournir l’illustration. Chacune des histoires a donc pu être mise sur un magazine en ligne pour que tous voient le résultat final (au fur et à mesure, chacune des classes pouvait voir l’avancée des histoires).
Quelles ont été les interactions directes entre les élèves des différents pays ? Comment les élèves ont-ils vécu ces échanges ?
Les vidéoconférences ont permis d’amener les enfants à aborder la langue de l’autre pays. Elles ont permis de mener des échanges sur les us et coutumes propres à chacun pour mieux se connaître, de se mettre en scène en scénarisant la même histoire mais chacun dans sa langue, de scénariser une même histoire avec des marionnettes identiques dans chacun des 2 pays, d’apprendre des petites chansons communes dans chacune des deux langues, de jouer à un jeu ensemble (style bataille navale), mais aussi de réaliser une recette en simultané pour une occasion identique (le carnaval) dans les deux pays.
Les enfants ont vécu ces vidéoconférences comme quelque chose d’angoissant la première fois car ils se demandaient comment les copains allaient les comprendre car ils ne parlaient pas leur langue. Puis une fois dépassé ce problème, ils attendaient avec impatience la prochaine vidéoconférence.et ils étaient fiers de dire aux plus grands de l’école élémentaire qu’ils faisaient des vidéoconférences avec des enfants espagnols
Certain.es penseraient peut-être que des élèves de maternelle n’ont pas les capacités suffisantes pour mener un projet eTwinning : que leur répondriez-vous ?
Bien sûr, les enfants ne peuvent pas réaliser la partie mise en ligne des documents, l’organisation matérielle des activités … Mais pour le reste, ils ont réalisé tous les éléments du projet. Le projet entraîne une motivation supplémentaire et facilite le travail de la maîtresse, d’autant que les parents sont à fond derrière le projet, car les enfants ne parlent que de ça à la maison !
Au final, quels vous semblent les profits et les plaisirs que les élèves ont tirés de votre projet ?
Une solidarité, un esprit de travailler en groupe, une ouverture culturelle et linguistique, une curiosité envers l’autre tout en l’acceptant, la fierté d’avoir réalisé quelque chose de fini et d’être reconnu.
Et pour l’enseignante ?
Un travail en équipe d’abord, avec ma collègue espagnole, puis depuis l’an passé avec mes 2 collègues françaises. Et ça, c’est super, même si ce n’est pas toujours évident de se voir … Ca amène de la tolérance, de la générosité dans le partage des idées, des outils… Une émulation à travailler.
Envisagez-vous des prolongements ou de nouveaux projets ?
Un nouveau projet est en cours, où les enfants à partir d’une histoire et d’un personnage en peluche identique dans toutes les classes vont comme l’an passé réaliser un travail d’écriture en vue d’une réalisation écrite commune, mais aussi un travail en arts visuels avec un échange sur les artistes rencontrés dans chacune des classes. Ce travail sera mis en valeur dans un livre virtuel, mais un autre travail sur l’idée du « cadavre exquis » où une réalisation d’une œuvre plastique en commun devrait être réalisée dans la 3è période.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Projet « European stories » 2016-2017
Le magazine « Alicia Patapam et les contes »
Une bataille navale franco-espagnole en visio-conférence