Les vrais chefs d’oeuvre affrontent la durée. C’est le cas du « Mur », le journal du lycée professionnel Jean Guéhenno de Saint-Amand Montrond (18) qui a dépassé la trentaine. Cette histoire est raconté avec brio dans « Un journal scolaire pour réussir (à) l’école ». On notera le « (à) ». C’est que le Mur est devenu un bien commun au lycée avec plus de 200 élèves journalistes. Et qu’il est devenu un élément central du travail éducatif mené dans ce lycée professionnel. Faire un journal ce n’est pas seulement faire du français, raconte Jean-Pierre Marcadier. C’est aussi trouver sa place dans le lycée, faire acte de citoyenneté, découvrir autrement sa formation professionnelle, s’ouvrir aux autres.. Autrement dit c’est construire sa vie. Et là on est dans le chef d’oeuvre…
Un projet porté par élèves et professeurs
Il faut commencer par planter le décor. Saint-Amand Montrond, une petite ville du Cher , et son lycée professionnel qui a la particularité d’être un lycée de la joaillerie.
17 février 1986 : » Monsieur… On va faire un journal, pour dire ce qui va pas à l’école, pour qu’on nous écoute, pour donner notre avis, la cantine, l’internat, le règlement intérieur du lycée… Est-ce que vous voulez nous aider ? » Ainsi naît « Le Mur », explique Jean Pierre Marcadier dans son ouvrage.
Certes les lycéens sont bien à l’initiative du projet. Mais c’est JP Marcadier et ses collègues qui ont fabriqué le projet pédagogique exceptionnel et pérenne qu’est devenu Le Mur. C’est ce que montre de façon remarquable l’ouvrage qui raconte comment de cette impulsion est né un projet complet qui va au delà du travail d’écriture. » Puisque nous y étions associés, le projet se devait de répondre aussi à nos besoins d’enseignants, il devait générer des activités éducatives, se prêter à des dispositifs pédagogiques, témoigner d’une valorisation des apprentissages », dit-il.
Un projet qui fonde le collectf
Très rapidement, Le Mur va devenir un projet éducatif global qui va bien au-delà du travail en français pour devenir un projet citoyen et professionnel. Tout un cheminement que JP Marcadier éclaire au fil des pages.
La question de la ligne éditoriale se pose tout de suite. » La ligne éditoriale du Mur se présente dans ces premières années comme un compromis entre les désirs lycéens et les enjeux d’éducation revendiqués par les enseignants ». Le projet se construit entre ces poles.
Car il s’agit de faire ensemble. Le projet repose sur une organisation complexe des élèves qui travaillent en groupes qui inventent leurs règles de fonctionnement. Ainsi les élèves apprennent à maitriser le temps et l’espace du journal. » Pour l’élève, s’approprier le temps et l’espace du projet, c’est commencer par se sentir concerné par les stratégies mises en place, c’est ensuite se sentir appartenir à un groupe identifié autour du projet, et enfin c’est se savoir un des acteurs, apte à contribuer à l’édifice commun ». Ce collectif c’est ce qui fait école. Ce temps s’étend sur la durée de la scolarité au lycée. Cet espace c’est une salle du lycée mais aussi tous les espaces que les journalistes visitent pour le journal en France et à l’étranger.
C’est aussi ce qui fonde la démarche citoyenne du projet. Etre citoyen c’est s’organiser faire société, définir et accepter des règles. Et c’est bien ce que fait la rédaction de ce journal. » Le groupe projet du journal lycéen est composé de 200 élèves environ, répartis sur quatre niveaux d’études et huit classes. Ce collectif ne peut fonctionner qu’à travers une organisation assez exigeante et une représentation des classes par des élus », explique JP Marcadier. Ces élus sont reconnus dans le lycée et participent aux événements importants dans la vie de l’établissement aux cotés des élus locaux ou du proviseur. La formation citoyenne c’est aussi le fait que les élus de la République répondent aux sollicitations du journal et le visitent. C’est aussi des rencontres avec des acteurs de la société.
Un projet professionnel
Le projet a aussi une forte dimension professionnelle. Le Mur parle des travaux réalisés, des recherches de pierres précieuses. » Transmettre le métier, c’est d’abord en parler, avec passion et conviction, avec cette idée du travail bien fait si souvent exaltée par les maîtres de l’artisanat et qu’on auréole de cette expression « l’amour du métier ». Le Mur est la caisse de résonance des travaux de joaillerie réalisés par les élèves, de leurs visites en entreprises, de leurs recherches de pierres. Comme le dit JP Marcadier, » c’est un même processus que se partagent ceux qui travaillent l’objet et ceux qui écrivent, c’est un processus dont les outils, les techniques et les savoir-faire tracent le même chemin depuis la matière brute stérile jusqu’au travail accompli. »
Pour une pédagogie du chef d’oeuvre
Ce processus c’est le chef d’oeuvre. « Le chef d’oeuvre détient bel et bien une valeur pédagogique, non pour les seules prouesses techniques de sa réalisation, mais pour les valeurs humaines qui admettent son accomplissement », explique JP Marcadier.
Mais ce serait un erreur de ne voir dans ce livre qu’une apologie d’un projet exemplaire. L’ouvrage est bien plus qu’un hommage. De page en page nous voyons comment le projet se monte et se développe, comment il devient un projet collectif. Autrement dit l’ouvrage de JP Marcadier va bien au-delà du « Mur ». C’est une véritable propédeutique à la pédagogie de projet, alimenté d’analyses et de réflexions pédagogiques d’une grande qualité. Un livre à lire pour se motiver à porter ses projets.
François Jarraud
Jean-Pierre Marcadier, Un journal scolaire pour réussir (à) l’école. Vers une pédagogie du chef d’oeuvre. Esf Sciences humaines, 2017, ISBN : 978-2-7101-3396-4