L’analyse d’un texte littéraire est une activité habituelle du français au collège et au lycée. Peut-on transformer les modalités de travail pour favoriser une relation authentique et formatrice de l’élève à la littérature ? Comment le numérique peut-il aider à mettre en œuvre une nouvelle didactique du texte ? Professeure de lettres à Pouilly-sur-Loire dans la Nièvre, Laurence Miens tente des expériences en la matière. Ses 5èmes mènent en salle informatique une activité de lecture d’un extrait d’un roman de chevalerie : ils sont invités à annoter le texte, à enrichir leur lecture par la consultation de ressources en ligne, à construire pas à pas leur interprétation. Le numérique favorise alors une lecture active et une pédagogie différenciée : « Peu à peu les élèves deviennent plus autonomes dans leur lecture, et plus performants. Leur curiosité littéraire et leur plaisir de lire se développent manifestement. » Eclairages …
Dans quel contexte cette activité de lecture est-elle menée ?
Cette activité de lecture a été proposée en classe de 5ème, au 2ème trimestre. Dans le cadre d’une séquence sur les chevaliers du Moyen Age, après avoir travaillé en classe sur plusieurs textes littéraires ou documentaires, j’ai proposé aux élèves de lire et d’interpréter un extrait tiré de « Lancelot le chevalier à la charrette », de Chrétien de Troyes.
L’activité de lecture a lieu en salle informatique. Chaque collégien travaille individuellement sur un ordinateur (nous sommes en demi-groupe classe). Les élèves utilisent le site de classe que j’ai créé pour eux. Ce site donne accès à un web classeur contenant non seulement le texte de Chrétien de Troyes, mais également des ressources pour en aborder et en approfondir la lecture.
Les élèves sont amenés à lire l’extrait choisi mis à leur disposition sur le site de la classe : quel vous semble l’intérêt de faire lire le texte sur support numérique plutôt que sur support papier ?
Faire lire un texte sur support numérique présente à mon avis un intérêt non négligeable. Je cherche à rendre l’élève actif et autonome, à lui faire prendre des initiatives personnelles en fonction de ses besoins, pour mieux s’approprier le texte littéraire. Or le numérique permet au collégien de véritablement s’emparer de l’extrait à lire déposé dans le web classeur : sur son écran d’ordinateur, chacun surligne, avec son code couleur personnel, ce qui lui paraît important ; il légende le texte, le commente en marge comme il le souhaite ; il ajoute les notes de vocabulaire qui lui semblent utiles en bas de page…
Et grâce au traitement de texte, l’élève a toujours la possibilité de revenir en arrière, de corriger ses commentaires, d’ajouter des notes, de supprimer tel ou tel soulignement. Il peut aussi retrouver si besoin le texte vierge original conservé dans un fichier du web classeur. Par ailleurs, le texte sur support numérique offre aux élèves dyslexiques, s’ils jugent que cela leur assure un plus grand confort de lecture, la possibilité de changer la police, la grosseur, la couleur des caractères. Le texte sur support numérique devient donc pour l’élève un véritable écrit de travail personnalisé sur lequel il apprend à réfléchir en autonomie. Il développe ainsi des méthodes de lecture et des comportements de lecteur nouveaux.
De quelles ressources disposent-ils pour enrichir leur lecture ? Avez-vous vu une appropriation réelle et intéressante de ces ressources ?
Les ressources proposées dans le web classeur en accompagnement de la lecture sont nombreuses et variées. Il y a par exemple un enregistrement audio du texte pour ceux qui sont en difficulté de lecture ; un dictionnaire en ligne qui permet à chacun de chercher le sens des mots qu’il ignore ; des jeux qui invitent à revoir le vocabulaire de la chevalerie en s’amusant ; des liens vers des vidéos qui éclairent tel ou tel point du texte lu (par exemple : qu’est-ce qu’une lice, une joute ?) et permettent de construire plus facilement une image mentale de l’extrait étudié … Tous les élèves ne se servent pas de toutes les ressources. Il s’agit de conduire chacun à sélectionner efficacement ce qui lui est utile.
En général, les élèves s’emparent assez facilement des ressources proposées. Le numérique est attractif et stimulant… Mais le professeur doit enseigner explicitement aux élèves ces nouvelles démarches de lecture. Il est important aussi que l’enseignant fasse verbaliser quelle est l’utilité d’un tel travail sur le texte.
Les élèves sont amenés, via le traitement de texte, à réaliser une « fiche de lecture » sur le texte en question : quel en est le contenu ? comment les élèves sont-ils aidés à réaliser ce travail ?
Depuis le début de l’année scolaire, j’ai mis au point en classe avec les élèves un modèle de fiche de lecture très simple sur papier et au tableau, ainsi qu’un questionnement progressif qui permet d’approfondir peu à peu l’interprétation des textes. Cela permet d’installer des méthodes de travail et de développer l’autonomie de l’élève face à un texte. En salle informatique, les collégiens utilisent sur leur ordinateur le même modèle de fiche de lecture et le même questionnement.
L’élève sait ainsi qu’il a d’abord à effectuer un repérage des données fournies par le paratexte : quel est le titre du livre ? qui en est l’auteur ? à quelle époque a-t-il écrit ?. Ensuite, chacun a l’habitude de répondre à des questions qui posent les premiers jalons de la compréhension du texte : où se déroule l’action ? quand ? qui sont les personnages ? à quel genre littéraire le texte appartient-il ?. A cette étape de la lecture, les ressources offertes par le web classeur sont souvent précieuses. Un dialogue entre pairs s’engage en binôme : les élèves justifient leurs réponses en revenant au texte. Je passe auprès de chaque binôme pour apporter mon aide si nécessaire.
Après quoi, les élèves savent qu’ils doivent chacun rédiger un écrit personnel intitulé « Mes premières impressions ». Cet écrit de travail individuel permet aux collégiens de faire explicitement le point sur leur compréhension, leur ressenti face au texte. Il me permet également d’évaluer le degré de compréhension, l’interprétation de chacun, et d’apporter à tous une aide individualisée, différenciée.
Les élèves sont aussi invités à proposer des réponses à une « question de lecture » : quelles sont les modalités de travail durant cette étape ?
Cette question de lecture, différente pour chaque texte (une modeste « problématique », si l’on préfère), c’est moi qui la formule durant les premiers mois de l’année. Mais j’ambitionne de conduire peu à peu les élèves à dégager eux-mêmes une question de lecture en s’appuyant sur leurs premières impressions, et sur les échanges auxquels elles donnent lieu en classe (entre pairs avec le professeur).
Afin de répondre à cette question de lecture, les élèves recourent à la méthode qui leur convient le mieux (listes et classements de mots, schémas, cartes mentales numériques…) pour réfléchir et faire des hypothèses de lecture. Puis ils rédigent un écrit plus élaboré, divisé en paragraphes, organisé à l’aide d’indicateurs logiques, qui rend compte de leur lecture. En outre, les élèves doivent toujours justifier leurs idées et s’appuyer sur des citations du texte, qu’ils travaillent à l’oral ou à l’écrit.
En quoi consiste l’étape amenant à l’élaboration d’une « leçon de lecture » ?
Tout d’abord, en groupe classe, les élèves présentent oralement leurs hypothèses de lecture. On débat, on argumente, on se met d’accord sur une version finale de la fiche de lecture qui, vidéoprojetée au tableau, est rédigée collectivement.
Vient ensuite la leçon de lecture. C’est la conclusion, l’aboutissement de la séance, et un moment tout à fait essentiel. L’ensemble de la classe formule avec moi cette leçon. Plusieurs points peuvent faire l’objet d’une leçon de lecture :
– Qu’a-t-on appris sur l’acte de lire ? A quelles stratégies de lecture réutilisables a-t-on recouru (élaboration d’une image mentale, repérage de l’implicite etc.) ?
– Que faut-il retenir du texte lu ?
– Qu’a-t-on appris sur l’histoire littéraire ?
Ce qui est intéressant pour l’élève, c’est de revenir en fin de séance sur ses premières impressions de lecture, et de mesurer à quel point il a approfondi sa compréhension et son interprétation en travaillant à l’oral et à l’écrit, en échangeant avec ses pairs et avec le professeur.
Au final, quels vous semblent les intérêts de ces démarches renouvelées de lecture en classe ?
Il m’a semblé intéressant de croiser l’approche de la lecture autorisée par les nouveaux programmes de collège dans le cadre du socle commun, et les ressources offertes par le numérique. En effet, le numérique me paraît être un bon moyen de développer autrement des compétences de lecture en individualisant le travail et en différenciant les approches selon les besoins des élèves.
Les démarches que je m’efforce de mettre en œuvre en lecture lient étroitement l’oral, l’écriture, l’étude de la langue et la lecture, en favorisant, je pense, une mise en activité constante et diversifiée des élèves. Chacun avance à son rythme selon des méthodes de travail précises mais qui restent souples. Peu à peu les élèves deviennent plus autonomes dans leur lecture, et plus performants. Leur curiosité littéraire et leur plaisir de lire se développent manifestement.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
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