Double leçon dans ce budget de l’Education nationale 2018. JM Blanquer donne une leçon d’habileté. Dans la présentation du budget, transformant la stabilité des créations de postes au budget en la mise en place de 4000 enseignants au primaire. Et aussi dans la gestion des enseignants : le PPCR devrait être appliqué, la prime de 3000 euros aussi mais de façon « très progressive ». La mise en place des dédoublements de CP et Ce1 continue mais de façon ralentie. Mais il envoie aussi un signal durable. Après des années de recrutement en hausse du nombre d’enseignants depuis 2012, le ministre fait chuter le nombre de postes mis aux concours 2018. Ainsi s’amorce le tournant gestionnaire pour l’Education nationale. Mathématiquement après la stabilité du nombre de postes en 2018,la décrue devrait venir en même temps que le ministère réformera le lycée. Pour les étudiants, le message est clair : les carrières de l’enseignement vont à nouveau se refermer.
« On ne fait pas de rénovation politique en fonction d’un budget. La volonté du gouvernement est que le budget appuie la politique publique ». En présentant le budget le 27 septembre, le ministère veut donner l’impression de construire une politique d’abord. Mais la présentation alambiquée et savante qui est faite du budget montre bien à quel point la réalité budgétaire pèse déjà sur la rue de Grenelle. Il faut beaucoup d’habileté au cabinet ministériel pour peindre e rose un budget très gris.
Priorité au primaire
D’après les chiffres publiés le 27 septembre par le ministère de l’éducation nationale, le nombre de postes dans l’éducation nationale reste stable par rapport à 2017. Il y a pourtant des postes créés dans le premier degré. Tout simplement parce que le ministère n’a pas le choix : il doit accueillir les recrutements des années antérieures. Le ministère estime qu’il y aura 2800 ETP (équivalents temps plein) en plus dans le primaire à la rentrée 2018.
Dans le primaire toujours, il annonce que le nombre de classes dédoublées en CP de rep+ et rep et des ce1 de rep+ atteindra 5600 classes, soit 3400 de plus qu’à la rentrée. On est nettement en dessous du nombre annoncé. Mais pour le ministère aucun rapport avec le nombre de postes. Cela tient uniquement au manque de locaux. Les dédoublements de CP occupent déjà les locaux disponibles.
« Il y a des endroits où il faudra construire en dur ». Et cela ne peut pas s’improviser. C’est vrai. En même temps cela veut dire que la grande promesse sociale présidentielle a fait un énorme bond en arrière en seulement quelques mois. Son application devait durer deux ans. Maintenant on n’en voit plus la fin… Bonjour la confiance !
Mais comment avec 2800 ETP supplémentaires remplir 3400 classes ? Le ministère promet de ne pas assécher les maitres surnuméraires. « Il y aura encore des maitres plus à la rentrée 2018 », promet on. Mais gageons qu’ils seront encore moins nombreux. Et avec moins de postes aux concours 2018 comment permettre les dédoublements promis ???
Quand Blanquer assèche les disciplines qu’il dit défendre…
Mais ces créations de postes sont annulées par la suppression de 200 postes d’administratifs et surtout de 2600 postes d’enseignants du second degré.
Ces postes correspondent aux postes non pourvus aux concours en 2017. Ce besoin scolaire a été compensé sur le terrain par des heures supplémentaires ou des contractuels qui n’apparaissent pas dans les tableaux budgétaires du nombre de postes. Le ministère nous assure que le volant d’heures supplémentaires est maintenu et les contractuels également.
L’ironie de l’histoire c’est que les disciplines déficitaires aux concours sont exactement celles que le nouveau ministre défend : les lettres classiques, l’allemand, et les fondamentaux comme les lettres en général, les maths ou l’anglais. Embarras au ministère qui distingue le nombre total de postes supprimés et leur répartition. Ce ne sont pas forcément ces disciplines qui seront touchées en 2018, nous promet-on. Avec la réforme du lycée, ça reste à voir.
Surtout le ministère veut convaincre du caractère indolore de la mesure. Elle serait même une preuve de sincérité budgétaire, un argument un peu risible au vu du caractère alambiqué du budget. Au minimum on peut dire que ces suppressions de postes impliquent une réduction du nombre de postes mis aux concours en 2018. Et là le signal est grave.
Tournant dans le recrutement
Pour le second degré on passerait de 14 450 postes mis aux concours 2017 à 11 000 seulement. Dans le premier degré on aurait 12 000 postes au concours contre 12 932 en 2017. Le signal envoyé est très clair. Alors que le ministère va lancer une réforme du lycée, le nombre de postes mis aux concours diminue pour la première fois depuis 2012.
On peut s’interroger sur les effets de ce retour à la baisse du recrutement de l’éducation nationale. La rue de Grenelle désamorce la pompe qu’elle a eu tant de mal à relancer après les coupes sarkoziennes. Avec ce signal, qui pourrait s’accentuer encore en 2019, combien de jeunes vont se détourner des concours de l’enseignement ? On peut craindre que la crise du recrutement s’aggrave encore.. Mai s’il est clair aussi que Blanquer amorce une réduction du nombre de postes pour 2019.
Et les enseignants ?
Alors s’il n’y a pas de création de postes où passe l’argent investi en plus dans l’éducation ? Car le ministère annonce un budget en hausse de 1.3 milliards avec 50.6 milliards pour le scolaire hors pensions contre 49.3 l’an dernier. Pour mémoire, en 2017, N Vallaud Belkacem avait fait augmenter son budget de plus de 3 milliards.
Une partie, non précisée, passera dans l’application du PPCR en 2018. « Le coût prévu du PPCR est intégré dans le budget », nous a-t-on dit au ministère. Restera à décliner mesure par mesure mais l’engagement est pris.
D’autres mesures vont prélever des fonds: le dispositif Devoirs faits devrait couter environ 220 millions d’euros. Les stages de réussite bénéficieront de 35 millions.
Pour la prime de 3000 euros promise aux 43 000 enseignants des REP+ , c’est plus compliquée. Elle sera versée « progressivement », dit le ministère, à hauteur de seulement 20 millions en 2018. De quoi satisfaire moins de 7000 enseignants. Là aussi des négociations avec les syndicats sont à prévoir.
Enfin le fonds pour les activités périscolaires est pérennisé à hauteur de 237 millions, en baisse avec le nombre de communes appliquant la semaine de 4.5 jours .
Un budget d’expédients
Au total voilà un budget bien habile. Mais il faut souligner que c’est un budget d’expédients. Les astuces budgétaires utilisées ne peuvent marcher qu’une fois. Certes, l’éducation nationale s’en tire mieux que d’autres ministères. Mais c’est clairement le budget du tournant. Après des années de croissance, le signal qui est envoyé à tous c’est bien la chute du recrutement à l’éducation nationale. Il y a un autre signal dont il faut tenir compte alors que le ministère va attaquer la réforme du lycée. C’est la volonté de diminuer le nombre d’emplois dans le second degré.
François Jarraud