Quels usages font les enseignants des traditionnelles fiches de renseignement de début d’année ? Quelles questions posent-ils et quelles interrogations se refusent-ils à porter ? Comment les exploitent-ils ? Quel regard les élèves portent-ils sur ces tentatives d’information ? Comment les utilisent-ils ? Audrey Murillo, Julie Blanc, Hélène Veyrac et Philippe Sahuc (Université Toulouse 2) ont observé la danse des attitudes et des contournements et les usages des enseignants et des élèves autour des fiches de renseignement. Un travail minutieux autour d’un double jeu de dupes qui semble désavantager les élèves des milieux populaires.
Fiches et effet Pygmalion
Pourquoi autant de fiches de renseignement ? La question revient à chaque rentrée où chaque élève est soumis durant la première semaine à des batteries interminables d’interrogatoires de papier. Audrey Murillo, Julie Blanc, Hélène Veyrac et Philippe Sahuc ont observé comment cela se passe dans 3 classes de 2de professionnelles agricoles avec une quinzaine d’enseignants. Un travail pointilleux et précis qui met en valeur les interactions entre professeurs et élèves.
Des fiches de renseignements on sait, depuis P Merle, qu’elles participent aux inégalités scolaires. Les fiche alimentent les stéréotypes des enseignants et contribuent à prédire des destins scolaires selon l’effet Pygmalion. On sait aussi que, depuis ce travail de P Merle, beaucoup d’enseignants ont revu leurs pratiques et beaucoup essaient d’agir avec tact envers els élèves, c’ets d’ailleurs relevé par les auteurs. Pour autant les fiches sont loin d’avoir disparu dans les établissements secondaires où l’information circule mal et où chaque enseignant doit se débrouiller seul.
Des fiches pour quoi faire ?
Que demandent les enseignants ? Les auteurs relèvent qu’ils ont des demandes variées. Cela tient à des postures pédagogiques différentes. Certains préfèrent en savoir le moins possible sur ls antécédents scolaires des élèves par exemple, d’autres veulent tout savoir. Certains se soucient de ne pas froisser les élèves d’autres moins. Du coup la liste des questions varie mais elle est longue.
Des enseignants (environ un tiers) posent des questions sur le parcours scolaire, sur leur discipline et le niveau de l’élève, voire sur leurs connaissances. Deux enseignants sur trois interrogent les élèves sur leur projet scolaire ou professionnel. La moitié a des questions sur l’environnement familial des élèves et leurs loisirs.
Toutes ces questions ont comme objectif d’établir un pronostic sur l’élève. Certains enseignants classent déjà les élèves selon leur niveau constaté ou selon la représentation qu’ils se font de l’environnement de l’élève. D’autres interprètent leur motivation selon le parcours et le projet de l’élève.
Les enseignants tirent aussi beaucoup d’informations de la fiche elle –même : écriture, soin, capacité à s’exprimer. « C’est un élève qui va avoir des difficultés quand je vais dicter, il va être très rapidement paumé », explique un enseignant devant une fiche à la graphie hésitante.
« Ainsi, beaucoup d’enseignants cherchent à rassembler une variété d’informations à partir desquelles ils infèrent de plus ou moins grandes dispositions à réussir chez leurs élèves. Ces informations sont des instruments pour les enseignants : elles leur permettent d’établir une sorte de pronostic, de réduire leurs incertitudes sur les caractéristiques des élèves qui composent leurs classes », notent les auteurs.
Les stratégies des élèves
Les enseignants évitent-ils de froisser les élèves ? Oui observent les chercheurs. Ils évitent certaines questions. Mais ils manquent parfois de clairvoyance. Ainsi parler de son projet professionnel ou de ses loisirs peut mettre des élèves en danger. Dévoiler des informations aux camarades de classe peut aussi mettre des élèves mal à l’aise.
Comment les élèves interagissent-ils avec ces fiches ? « Des élèves cherchent à maitriser les impressions qu’ils donnent au professeur », notent les auteurs. « Plusieurs montrent toutefois des stratégies de maîtrise des impressions, lorsque des questions plus précises leurs sont posées : ils se montrent parfois soucieux de renvoyer une image conforme aux attentes supposées de l’enseignant ».
Cette dimension est rarement perçue par les enseignants. Selon les auteurs, un seul , dans les 15 interrogés, a perçu qu’un élève se faisait « mousser ». Ainsi, « à la question des loisirs et des films appréciés, des élèves sélectionnent parmi leurs préférences celles qui ne renvoient pas, selon eux, à des caractères peu valorisés (« flemmard », « dissipé »…) ».
Une pratique triplement trompeuse
Inversement les élèves ne comprennent pas certaines intentions des enseignants, par exemple quand ils demandent d’indiquer le nombre de frères et sœurs. Parfois il y a de véritables malentendus. « Autour de la question des loisirs, se dessine un malentendu entre enseignants et élèves. En effet, alors que les enseignants espèrent que les élèves se montrent « ouverts » en mentionnant d’autres loisirs que ceux strictement en lien avec la filière de formation, des élèves, à l’inverse, pensent qu’il vaut mieux mettre en avant les loisirs en lien avec cette filière ».
Finalement les auteurs tracent le profil d’une pratique triplement trompeuse. D’abord parce que les enseignants utilisent ces fiches pour réaliser des pronostics sur l’attitude au travail ou le comportement à venir des élèves. Ensuite parce que les acteurs ne sont pas toujours clairvoyants dans les attentes de l’autre. Chacun triche en occultant ou révélant des aspects de sa personnalité sensées être positif aux yeux de l’autre. Enfin parce qu’au final ce sont les élèves les moins préparés aux coutumes scolaires qui ont le plus à perdre dans ce jeu de dupe. Ce sont eux qui vont alimenter les stéréotypes des enseignants et l’effet Pygmalion.
Autant de réflexions qui doivent faire réfléchir avant de demander la fameuse petite fiche. Mais comment échapper à une démarche que tout le monde semble attendre ?
François Jarraud