Que sait-on des pratiques pédagogiques en France et ailleurs ? Finalement pas mal de choses selon l’OCDE qui peut avancer deux enquêtes bien connues : Talis et Pisa. Dans une note récente, l’OCDE montre que les enseignants préfèrent partout les pratiques traditionnelles mais que les pays sont inégaux devant les pratiques davantage tournées vers les élèves. Et qu’élèves et professeurs semblent ne pas partager les mêmes écoles…
Une comparaison Talis – Pisa
Si Talis et Pisa sont bien connues, cette nouvelle publication de l’OCDE exploite une option de Talis 2013 qui était proposée aux seuls établissements ayant aussi participé à Pisa 2012. Dans ces établissements, les enseignants de mathématiques ont répondu à des questions sur les pratiques d’enseignement auxquelles les élèves testés dans Pisa avaient aussi répondu. L’objectif va au delà de la connaissance des pratiques : c’est aussi leur perception qui est évaluée et le fait de savoir si les visions de l’école convergent entre professeurs et élèves. Une dimension que peu d’états ont accepté d’explorer. La France s’est défilée. Et seulement 8 pays (Australie, Espagne, Finlande, Lettonie, Mexique, Portugal, Roumanie et Singapour) ont finalement participé à cette enquête.
L’OCDE donne aux élèves et professeurs le choix entre 3 grands types de pratiques.
Des pratiques « structurantes » :
• Le professeur énonce explicitement les objectifs d’apprentissage.
• Le professeur laisse les élèves refaire des tâches similaires jusqu’à ce que chaque
élève ait compris l’objet de la leçon.
• Le professeur présente un résumé des thèmes récemment étudiés.
Les pratiques « axées sur l’élève » :
• Les élèves travaillent en petits groupes pour trouver ensemble une solution à un
problème ou à un exercice.
• Le professeur donne des travaux différents aux élèves qui ont des difficultés
d’apprentissage et/ou à ceux qui progressent plus vite.
Et des activités d’approfondissement :
• Les élèves travaillent sur des projets qui leur prennent au moins une semaine.
• Le professeur demande aux élèves d’expliquer leur raisonnement sur les problèmes
complexes.
• Le professeur encourage les élèves à résoudre les problèmes de plus d’une manière.
Quelles pratiques dominent ?
De ces trois types de pratiques ce sont les premières qui l’emportent de loin. » En moyenne, dans les huit pays participants, au moins 97 % des enseignants déclarent utiliser chacune des trois pratiques structurantes à l’étude », note l’étude. Sur ce point on observe peu d’écarts entre professeurs et enseignants.
» La plupart des enseignants indiquent aussi mettre en oeuvre des activités d’approfondissement, notamment encourager les élèves à résoudre les problèmes de plus d’une manière (99 %), demander aux élèves d’expliquer leur raisonnement sur des problèmes complexes (97 %), et faire travailler les élèves sur des projets qui leur prennent au moins une semaine (64 %) », indique l’OCDE. Sur ce point aussi élèves et professeurs sont d’accord.
Quelles différences entre profs et élèves ?
Il n’en va pas de même pour la différenciation ou le travail de groupe et la coopération. » Les pratiques axées sur l’élève – comme donner des travaux différents aux élèves en fonction de leur niveau d’apprentissage, ou faire travailler les élèves en petits groupes pour qu’ils trouvent ensemble une solution à un problème ou un exercice – sont utilisées moins fréquemment que les deux autres approches pédagogiques, surtout d’après les déclarations des élèves », note l’OCDE. Si 90% des enseignants rapportent des pratiques différenciées ou du travail de groupe c’est seulement le cas de 60% des élèves. Quant à la pédagogie de projet elle est mentionnée par 60% des enseignants et seulement 50% des élèves.
Comment expliquer cet écart entre déclarations des enseignants et des élèves ? L’OCDE n’apporte pas vraiment de réponse. » Les différences de déclarations entre les enseignants et les élèves sont plus marquées lorsqu’ils sont interrogés sur la fréquence d’emploi de pratiques axées sur l’élève… Aucune raison évidente ne permet d’expliquer l’ampleur de cet écart. Il est possible que les enseignants soient enclins à valoriser cette approche pédagogique et donc d’en surdéclarer l’utilisation, ou encore que les élèves ne parviennent pas à repérer ce type de pratiques ».
Quels écarts entre pays ?
Quand on regarde les écarts entre pays on voit qu’ils portent essentiellement sur les pratiques tournées vers les élèves. » Des différences apparaissent concernant le travail des élèves en petits groupes : en Finlande, 78 % des enseignants déclarent mettre en oeuvre cette pratique contre près de 100 % au Mexique. Parmi les activités d’approfondissement, celle ou les élèves travaillent sur des projets qui leur prennent au moins une semaine varie fortement entre les pays, 20 % des enseignants déclarant utiliser cette pratique en Finlande, contre 86 % au Mexique », note l’OCDE. Pour une fois la Finlande ne fait pas office de bon élève…
Que tire l’OCDE de ces écarts entre types de pratiques pédagogiques ? » Les pratiques structurantes sont l’approche pédagogique la plus répandue en classe de mathématiques, d’après les déclarations des enseignants comme des élèves. Comme elles visent à dispenser un enseignement structuré et clair, elles pourraient être considérées comme la condition nécessaire à la mise en oeuvre de tout autre pratique, d’où vraisemblablement leur forte prévalence dans les approches pédagogiques adoptées par les enseignants. Le temps d’instruction en classe est toutefois une ressource limitée, et la survalorisation des pratiques structurantes pourrait entraver l’utilisation d’autres approches potentiellement plus innovantes, telles que les activités d’approfondissement et les pratiques axées sur l’élève ».
Quelles particularités pour la France ?
Et la France dans tout ça ? Talis apporte beaucoup d’informations sur les pratiques enseignantes sans les comparer aux déclarations des élèves. L’enquête montre qu’on y fait appel nettement moins que la moyenne aux travaux de groupe et à la différenciation et un peu plus aux résumés de cours. Une situation que la France partage avec la Corée du Sud, le Japon ou la Finlande. A l’opposé le Danemark pratique beaucoup les travaux de groupe comme le Mexique.
Cette comparaison qui fait sens. Contrairement à ce que laisse entendre l’OCDE, il n’y a pas de corrélation entre les pratiques pédagogiques mentionnées et les résultats scolaires. Ces pratiques trouvent place dans des systèmes scolaires avec des pesanteurs spécifiques et des pratiques culturelles nationales. Les isoler n’est pas forcément signifiant.
Talis permet d’apporter une seconde remarque. Le professeur français est celui qui s’estime le moins bien formé sur le plan pédagogique. Seulement 6 enseignants sur 10 se jugent suffisamment préparés sur ce terrain-là, alors qu’ils sont 9 sur 10 dans les autres pays. Il a de fortes attentes de formation particulièrement sur l’utilisation des TIC en classe, les conseils et l’orientation des élèves, les pédagogies personnalisées. Sur ces points les demandes françaises sont deux fois plus importantes que la moyenne Ocde. Et restent lettre morte : les enseignants français participent moins à des formations que leurs collègues et jugent leurs formations peu utiles. Ceci explique aussi le choix des pratiques.
François Jarraud