« Je voulais être professeur d’histoire mais j’ai décidé de passer le capes documentation pour avoir une liberté plus grande dans un lieu où les élèves entrent volontairement ». Ce rapport humaniste à l’histoire va emmener Stéphane Amelineau, professeur documentaliste dans un lycée sous contrat de Soissons, beaucoup plus loin que ce qu’il avait imaginé. Il publie un ouvrage sur la Shoah en Soissonnais qui retrace l’énorme travail de recherche effectué avec des élèves pour faire revivre la mémoire des juifs de Soissons frappés par la politique d’extermination. « Journal de bord d’un itinéraire de mémoire », l’ouvrage raconte un projet pédagogique exceptionnel.
« J’ai toujours voulu enseigner la Shoah au travers d’un grain de sable », explique S Amelineau. C’est au niveau des familles juives du Soissonnais que se situent les enquêtes menées par S Amelineau et ses élèves. Des enquêtes très précises qui associent rencontres avec les témoins, recherche aux archives et hommage rend aux victimes.
Au terme de ce travail, S Amelineau met des visages, un récit de vie sur les victimes. L’énorme travail des élèves fait revivre ces familles disparues ou amputées. Souvent les élèves apportent des information inconnues aux survivants. Toujours il fait parler , stimule le souvenir et l’émotion.
Les élèves découvrent aussi au niveau d’une petite région comment fonctionne l’état raciste et plus globalement une société d’apartheid qui bascule dans l’extermination. Les mécanismes de la mise à l’écart et de la propagande raciste sont bien démontés. Les élèves touchent du doigt ce qu’est la discrimination et comment celle ci devient mortifère.
« Quête mémorielle aux fins pédagogiques, elle dépassa ce que j »‘aurais pu imaginer », explique S Amelineau. « Préparant les élèves volontaires trois années durant, j’ai affronté un passé aux vies volées, aux jeunesses meurtries. Retranscrire notre parcours et laisser entrevoir les coulisses de cette enquête avec mes forces et mes faiblesses , mes succès et mes échecs, est le but de ce livre ». Il rend compte d’un projet pédagogique d’une ampleur exceptionnelle qui est aussi un projet hautement éducatif.
François Jarraud
Stéphane Amelineau, La Shoah en Soissonnais. Journal de bord d’un itinéraire de mémoire. Editions Le Manuscrit, 2017. ISBN 978-2-304-04688-5
Stéphane Amelineau : Un projet qui fait grandir les élèves
Stéphane Amelineau revient sur les aspects professionnels du projet pédagogique qu’il méne avec ses élèves volontaires. Quel lien avec le métier de professeur documentaliste ? Qu’apprennent in fine les élèves ?
Pourquoi un professeur documentaliste comme vous se lance dans un projet sur la Shoah ?
J’ai fait des études d’histoire et je voulais être professeur d ‘histoire. Mais j’ai décidé de passer le capes de documentation car on a une liberté plus grande dans ce lieu où les élèves entrent volontairement. La question de la Shoah m’intéresse par humanisme. Ce qui m’intéresser c’est ce lien paradoxal entre Auschwitz et l’humanité. Cette question me taraude.
La Shoah est un sujet qui peut faire peur à des enseignants. Pas à vous. Pourquoi ?
Je travaille avec des élèves volontaires. Je n’ai jamais eu d’opposition et j’ai toujours bénéficié du soutien des parents. J’ai senti la volonté des élèves et on a pu aller à fond.
Comment travaillez vous avec les élèves ?
On travaille sur deux années scolaires. Le projet est proposé aux élèves de seconde et de première avec deux créneaux sur el temps du déjeuner au CDI. Les ateliers ont lieu tous les 15 jours et j’accueille environ une trentaine de jeunes. On prépare au CDI le travail. On fait des déplacements pour rencontrer des témoins pendant les vacances et les week ends. J’arrive à financer la moitié des frais de déplacement avec des subventions. Mais la moitié des frais reste à la charge des familles , soit 250 euros environ.
Je trouve remarquable l’engagement de ces jeunes qui participent à ce projet qui n’aboutit à aucune note. Les parents me disent que ça leur apporte beaucoup et que ça les fait grandir. Ca aussi c’est un but pour un enseignant.
Quelle pédagogie de la Shoah privilégiez vous ?
Je veux que les élèves se rendent compte des mécanismes d’un état raciste. Pour cela je ramène la Shoah à l’étude de destins familiaux pour faire comprendre les étapes qui mènent au crime. Je montre comment ces personnes, souvent d’origine étrangère, ont été tués. Pour cela il faut reconstituer tout le contexte qui amène la Shoah.
Quel apport pour les compétences en documentation des élèves ?
Quand on étudie les archives on rencontre la question de la validation de l’information, celle de la vérification de la source. On doit recroiser les informations avec les autres archives et faire face aux contradictions.
Qu’apprennent d’autre les élèves ?
Beaucoup de choses. Biens sur beaucoup de connaissances en histoire. Les rencontres avec les témoins sont des moments très forts. Les élèves découvrent aussi l’absence des parents dans la vie des survivants. Ou le silence des parents qui sont revenus. Ce silence de l’après Shoah, c’est une grande leçon pour nous tous.
Propos recueillis par F Jarraud