L’objectif d’élever le niveau de qualification des jeunes français et d’atteindre 60% de diplômés du supérieur n’est plus à l’ordre du jour. Le gouvernement privilégie l’inclusion professionnelle, même à bas niveau, sur la poursuite d’études. C’est ce que l’on retient de la visite de Jean-Michel Blanquer et Muriel Pénicaud au lycée hôtelier Guillaume Tirel le 7 septembre. Alors que le gouvernement prépare la réforme de l’entrée dans le supérieur, cette double visite a matérialisé que le Travail l’emporte désormais sur l’Education. Une mauvaise nouvelle spécialement pour les bacheliers professionnels qui pourraient perdre les quelques garanties données par le gouvernement précédent.
Un lycée d’une filière d’excellence
Comment convaincre de la « priorité à la revalorisation de l’enseignement professionnel » quand on est au gouvernement ? En visitant un lycée professionnel pour se faire photographier avec les élèves et les professeurs. Le 7 septembre, Jean-Michel Blanquer a cédé à la tradition en visitant le lycée hôtelier G. Tirel de Paris en compagnie de Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Le premier ministre était annoncé mais il a du renoncer pour faire face aux suites du cyclone Irma.
Le choix du lycée hôtelier G Tirel ne doit rien au hasard. C’est une vitrine que les deux ministres sont venus voir. Le lycée est recherché et on n’y retrouve pas ce qui saute aux yeux dans les autres lycées professionnels franciliens : la ségrégation de genre et la séparation ethnique. Les classes sont réellement mixtes et composées d’élèves de toutes origines. Les élèves ont choisi la filière hôtellerie restauration et affirment leur fierté.
Les ministres ont participé à un cours d’espagnol donné en 2ème année du BTS Responsable d’hébergement à des élèves qui sont en apprentissage avec une alternance 2 semaines de classe et 2semaines en entreprise. Dans cette classe de 17 élèves ce qui est perçu comme le plus difficile c’est l’apprentissage du savoir être, explique une élève. « C’est la tenue, le langage, bien parler ». Une bonne partie des élève vient de bacs généraux et seulement 27% des bacs professionnels du secteur hôtellerie restauration (HR). Le lycée dispose d’une classe de mise à niveau, une année où les élèves acquièrent ce qu’ils auraient du apprendre durant les 3 années du bac technologique HR. Là aussi les élèves font des stages. Le lycée était sans nouvelles d’une jeune fille en stage à Saint Barthélémy.
La visite ministérielle s’est terminée par la rencontre avec une classe de seconde professionnelle de 24 élèves partagée entre le service de salle et la cuisine. La plupart des élèves ont suivi un mini stage d’été avant d’intégrer le lycée. Il s’agit donc d’une orientation choisie et préparée. Mais à l’exception d’une jeune fille, tous ces élèves de seconde veulent continuer après le bac. Et c’ets bien de leur avenir que les ministres sont venus parler.
Quel avenir pour les bacheliers professionnels ?
L’avenir des bacheliers professionnels est en discussion au sein des groupes de travail réunis par F Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur. Ce sont eux qui posent directement la question de l’avenir du supérieur.
Le nombre de bacheliers professionnels a doublé depuis 2000, passant de 90 000 à près de 180 000 en 2017. Près de 115 000 souhaitent poursuivre des études supérieures. Or seulement 53 000 trouvent une place dont 14 000 en université, où ils ont très peu de chances de succès, et 37 000 en STS où leur taux de réussite est correct. Si la France veut atteindre l’objectif de 60% de diplômés du supérieur c’est dans ce vivier qu’il faut former les nouveaux diplômés.
Le gouvernement précédent avait esquissé cette évolution en promettant de créer 10 000 places en BTS sur 5 ans. On restait quand même loin du compte.
Abandon des objectifs de réussite
Le 7 septembre la ministre du Travail est venue vanter l’apprentissage. « La croissance repart et je vois tous les jours des professionnels qui cherchent des jeunes qualifiés « , dit M Pénicaud. « Il ne faut pas hésiter dans les familles à se dire que l’apprentissage et l’alternance sont des voies qui ouvrent sur plein de possibilités et beaucoup de parcours… Il y a des dizaines de milliers de places en apprentissage ». Une affirmation bien osée. Seul l’apprentissage dans le supérieur connait une croissance. Au niveau CAP le nombre d’apprentis est passé de 245 000 à 160 000 depuis 2000 alors que dans le supérieur il est passé de 40 000 à 140 000.
Interrogé, JM Blanquer répond que « l’apprentissage et la voie professionnelle sont des domaines d’excellence dont il faut faire la promotion. L’enseignement professionnel est une des mes très grandes priorité », affirme -t-il.
Mais JM Blanquer ne confirme pas le maintien de l’objectif des 60% de diplômés du supérieur que F Hollande avait fixé en septembre 2015. Cet objectif avait été recommandé par le rapport de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur (Stranes).
« Je ne raisonne pas par statistiques », dit-il. « Ce type d’affirmation théorique n’est pas ce qui compte. Ce qui compte c’est 100% de jeunes qui trouvent un emploi en étant diplômés ». Le ministre reste évasif sur l’accès des bacheliers professionnels dans le supérieur. « Il faut rappeler la vocation d’insertion professionnelle du bac professionnel », dit-il. « Des bacheliers professionnels veulent poursuivre des études ce qui est possible notamment dans le même domaine. Ce qu’il faut encourager c’est le BTS. La politique qu’on va suivre va être de développer les BTS notamment dans les domaines où il ya de l’embauche et favoriser les places pour les bacs professionnels dans ces BTS ».
Mais interrogé sur le nombre de places à créer, nouveau flou ministériel. JM Blanquer ne confirme pas l’objectif de 2000 nouvelles places crées par an. « On précisera les chiffres en regardant ce qui se passe dans les secteurs où il ya de l’embauche ».
Si le gouvernement est parti pour abandonner les ambitions d’élévation du niveau de qualification des jeunes , il est logique qu’il réduise aussi l’accès des bacheliers professionnels dans le supérieur.
On comprend alors que la visite au lycée Tirel avec sa réussite exceptionnelle , sert à masquer une réorientation politique qui va briser les attentes et les promesses faites à des milliers de jeunes venus des quartiers populaires. La « nouvelle chance » du bac professionnel va se transformer en bonne vieille domination.
François Jarraud