Que pensent les professeurs des écoles des CP dédoublés ? Et comment ça se passe ? Si globalement la rentrée se passe bien, le dédoublement des CP pose des questions aux communautés éducatives. Leur arrivée bouleverse l’organisation des établissements. Et la nouvelle taille des classes ne convainc pas toujours les enseignants… Pour la rentrée des enseignants, le Café pédagogique a rencontré des professeurs de deux écoles Rep+ à Paris et Saint-Denis (93).
« Ma meilleure rentrée »
« C’est ma meilleure rentrée », nous dit Véronique Bavière, directrice de l’école Rep+ de la rue d’Oran à Paris. Malgré une baisse d’effectifs (une vingtaine d’élèves), l’école garde 9 professeurs et tous ses intervenants. La vie quotidienne de l’école s’en ressent : c’est moins de tracas pour surveiller les récréations ou la cantine, moins de cahiers… A Paris, l’école peut compter sur les 3 professeurs de la ville de Paris qui prennent en charge l’EPS, sur un Rased complet et sur les dispositifs académiques comme les ateliers ALEM (lecture maths) ou l’accompagnement éducatif. Mieux :l’école a réussi à garder son « maitre + » (du dispositif « plus de maitres que de classes ») en plus des CP dédoublés.
Du coup, ce 1er septembre, on oublie qu’il a fallu tout réorganiser e catastrophe juste avant les vacances. Les enseignants sont réunis pour préparer la rentrée. A la différence d’un établissement secondaire où ils écouteraient le chef d’établissement, dans cette école les maîtres sont réunis autour d’une table pour parler de problèmes très concrets.
La loi et l’ordre
Il est question de déplacements, des toilettes, de ballons et de foot mais aussi de la façon d’éviter les problèmes. Par exemple, longue discussion sur ce qu’on autorise ou pas dans la cour de récréation. On est en Rep+ et il y a deux jeunes remplaçantes et la plupart des enseignants n’ont que deux ou trois années d’expérience. Alors on échange sur les cas rencontrés l’année dernière et pour lesquels on cherche des solutions. Il faut affranchir une nouvelle enseignante sur ce qu’est l’autorité et comment se faire obéir dans cette école.
L’école suit les préceptes Freinet et ici la loi s’applique. Il y a celle de l’école qui tient en trois articles (pas de violences aux biens et aux personnes). Le reste est réglé par les conseils d’élèves dans chaque classe. Mais il y a aussi les astuces des instits pour prévenir les problèmes. …
L’école a installé il y a déjà des années des « ARR » (ateliers de réflexion et réparation) où sont convoqués les élèves qui posent problème. On y suit de près le petit groupe des incorrigibles pour travailler avec eux l’expression des émotions et pour les connaitre. C’est le quartier, la vie misérable qui déborde sur l’école. Et c’est ce travail personnel qui permet de faire fonctionner les classes.
L’inquiétude devant les groupes de 12
Guillaume, Valérie et Eric (les prénoms ont été changés NDLR) ont en charge les 3 Cp de l’école, deux CP à 12 et un CP/CM2. Guillaume et Valérie ont déjà 5 ans d’expérience. Eric est T2 (en 2de année d’enseignement).
Valérie et Guillaume sont dubitatifs sur l’intérêt de Cp à 12. « »J’ai eu une année une classe à 14 élèves et ce n’est pas un bon souvenir », dit Valérie. « La classe manquait de dynamisme et les élèves tombaient dans l’assistanat. Sans la maitresse ils ne faisaient rien ». Compte tenu des déménagements dans le quartier, ils craignent de tomber à moins de 10 en fin d ‘année. « De toutes façons être à 12 élèves ne résout pas les problèmes que l’on rencontre qui viennent de situations sur lesquelles on n’a pas eu de formation comme les différences culturelles ».
Justement Guillaume mise sur la formation. « Quand j’étais à l’IUFM on visitait peu de classes. Je manque de référents. Cette année on va avoir des formations (deux journées sont déjà prévues en septembre). Si les élèves progressent ce sera grâce à elles, pas à cause du dédoublement ».
Les enseignants ressentent déjà la pression en faveur de la méthode syllabique. « On nous a demandé quelle méthode on utilise et vaguement recommandé une méthode syllabique », explique un enseignant.
Des évaluations jugées inutiles
Le conseil de maîtres se penche aussi sur les nouvelles évaluations de CP. « On ne va plus pouvoir utiliser nos outils », remarque une enseignante. « Que va-t-on dire aux parents avec des évaluations diagnostiques menées en début d’année », interroge une autre. « On risque de coller une étiquette aux enfants qui arrivent à l’école. Et avec elle on est sur qu’ils auront 10 fois moins de chance d’apprendre à lire ». « Je sens que ces évaluations nationales nous plombent », dit un maitre. Globalement ces évaluations, que les enseignants n’ont aps encore vues, ont jugées inutiles et néfastes.
C’est la fin de l’après midi et les enseignants s’interrogent sur le devenir du PPCR, un tout autre sujet…
Ce n’est pas au programme de la journée , mais les enseignants viennent de démontrer la vanité de changer la gouvernance des écoles. C’est bien parce que la directrice n’est pas leur supérieure hiérarchique que la rentrée est préparée dans le détail. Le groupe échange sur ses problèmes réels. Une enseignante note les solutions dégagées. Et on se rappelle des lois précédentes définies par les maitres ou en conseil d’élèves. L’absence de supérieur hiérarchique n’a pas empêché l’école de s’adapter dans l’urgence, en fait lors de la dernière semaine d’école, à la situation nouvelle crée par les CP dédoublés. Cette école où les enseignants réfléchissent ensemble utilise pleinement son autonomie.
Ici, les enseignants prennent en charge les difficultés à la fois ensemble et chacun en adulte responsable. Ils n’attendent pas du chef qu’il les trouve pour eux. Et voir des enseignants réfléchir ensemble aux réalités de leur métier et aux valeurs qu’ils veulent y mettre, quel beau spectacle !
A Saint-Denis le choix du CP à 18
« On a du réfléchir à comment on allait mettre cela en place dans notre école ». Dressée dans un quartier en pleine transformation, la nouvelle école Taos Amrouche de Saint-Denis (93) compte 6 classes dans des bâtiments neufs. Catherine Da Silva, la directrice, est aussi une responsable locale du Snuipp.
Là aussi l’annonce très tardive des dédoublements a obligé à revoir la structure de l’école. Et ça c’est fait en conseil des maîtres.
Finalement l’école a choisi de réunir en une seule classe les 18 élèves de CP et de les confier à deux maitresses. L’école a 5 autres classes :une Ce1/Ce2, une Ce1/Cm2, un Cm2, un Cm1 et un Ce2. En dehors du CPP, les autres classes ont 21 à 22 élèves. Un nombre susceptible d’augmenter en cours d’années avec les livraisons des immeubles qui entourent l’école.
« J’ai eu une classe de CP à 24, c’était trop dur. J’ai gardé un excellent souvenir d’un CP à 18 », se souvient C Da Silva. « On a jugé que deux classes de 9 ce n’était pas un bon choix car elle aurait manqué de dynamisme. Les professeurs se seraient épuisés à faire comprendre des choses sas interactions suffisantes ».
Un moyen de fédérer les enseignants
Alors le choix a été fait d’avoir un CP à 18 avec deux enseignantes, en prévoyant qu’une des deux pourrait intervenir en Ce1-Cm2 ou Ce1/Ce2. « Ca libèrera l’enseignant de ces classes qui pourra travailler avec un seul niveau pendant que la collègue prendra en charge l’autre niveau ».
« Finalement avec ces emplois du temps lourds à mettre en place on a fédéré les collègues. On a réfléchi et construit ensemble. Et la proposition qui nous était faite a été une émulation intéressante pour l’équipe », explique C Da Silva.
« On a réfléchi beaucoup à l’enseignement de la lecture, notamment utiliser les mêmes mots pour échanger sur les élèves. Les enseignants ont imaginé un cahier commun en lecture qui va suivre l’élève du Cp au CM2.
Le lien est fait aussi avec l’école maternelle, abritée dans le même batiment. « On a prévu une « boite de transmission » pour chaque élève. Elle sera remise par les maitresses de grande section de maternelle le jour de la rentrée en CP. On reconnait ainsi le travail fait en GS et on s’appuie dessus ».
Inquiétude sur l’évaluation
Là aussi on s’inquiète de la nouvelle évaluation de CP. Notamment sur la façon d’annoncer aux parents que leur enfant est en échec dès l’entrée en CP. Les enseignants avaient développé leurs propres évaluations avec les maitresses de maternelle. « Ca change beaucoup la philosophie de l’école cette évaluation. Ca me parait compliqué de faire coexister la culture de la bienveillance avec l’évaluation nationale ».
Ici aussi l’école s’empare pleinement de son autonomie pour ajuster son fonctionnement à la réalité de ses élèves. Celle ci s’appliquera aussi à l’évaluation Blanquer. A Saint-Denis en Rep+, pour faire réussir les élèves il faut aussi garder la confiance des parents.
François Jarraud