L’été a été une période propice pour que de divers canaux on nous fasse des propositions pour vérifier les informations. Cela avait été fortement médiatisé avec cette initiative du journal le Monde qui par l’intermédiaire de ses décodeurs proposait un outil (Decodex) pour cela. Une rapide recherche sur Internet montre bien qu’il y a de nombreuses initiatives dans le domaine, allant de la tentative d’élimination automatique des « fake news » par les sociétés de réseaux sociaux aux cours sur l’esprit critique en ligne sous forme de sites ou de vidéos. On peut donc a priori considérer qu’il y a tout ce qu’il faut en ligne pour savoir comment faire et depuis finalement assez longtemps. Mais la quantité d’approches, de conseils, d’outils ou de méthodes doit interroger l’éducateur qui veut se lancer dans une démarche pour favoriser le développement de l’esprit critique. S’il y avait une solution… on ne se questionnerait pas autant sur ce sujet.
Quelle place pour le doute à l’École ?
En écoutant nombre de discours, propos, en lisant de multiples articles, même scientifiques, on est étonné de voir avec quel degré de certitude les analyses sont proposées. Il semble bien qu’un des traits généraux de la rhétorique actuelle autour du numérique en particulier dans le domaine de l’éducation et de la formation soit celui de l’affirmation certaine. « Apprendre cela s’apprend », « Le numérique pour réussir à l’école », « apprendre les langues sans effort » etc… Les publicitaires qui adorent ce type de phrases, relayés par des journalistes et journaux en mal de lecteurs, ont leurs successeurs jusque dans le monde scientifique avec des expressions du type « ce que nous dit la recherche », « la science nous permet de dire que ». La rhétorique de la certitude l’emporte sur le questionnement critique.
Dans le monde de l’enseignement, se pose une question essentielle : dans quelle mesure l’éducateur peut-il être plein de certitudes ou de doutes ? Quand en 1987 un formateur d’enseignant déclarait que ce à quoi (du moins une partie significative) il formait en physique était scientifiquement faux (du fait de l’évolution rapide des connaissances), on peut s’interroger sur le degré de certitude dont il faut faire preuve dans son enseignement. En abordant cette question par les contenus d’enseignement, nous souhaitons montrer combien le monde scolaire est menacé par l’espace d’information dans lequel chacun peut évoluer. L’école vs l’espace social, c’est certitudes contre certitudes ? Quand l’enseignement de la philosophie est cantonné institutionnellement à quelques classes de terminale, on peut s’interroger sur la place du doute dans l’enseignement. Il faut aller le chercher au coeur des programmes des disciplines. En particulier de celles qui travaillent l’épistémologie ou l’histoire de leurs savoirs de référence. Mais l’histoire peut aussi être incertaine lorsqu’elle passe sous silence les faits minuscules ou marginaux pour ne s’intéresser qu’aux faits essentiels (ce qu’il faut retenir ?). L’école des Annales (fondée par Lucien Febvre et Marc Bloch) dont Marc Ferro et ses fameuses histoires parallèles fut un des membres, a montré d’autres chemins pour relire cette histoire. Fragilité des sources, des traces, des archives et plus récemment des témoins sont toutes des indicateurs de la fragilité de la certitude.
Neuromythes et neurosciences
L’enseignant, soumis aux programmes décidés au niveau national, peut donc être un transmetteur de certitudes. Mais il peut aussi, et les évolutions didactiques récentes le montrent, être un spécialiste du questionnement, du doute, et surtout de la construction des savoirs en vue d’une construction des connaissances. Mais face à l’océan informationnel auquel lui comme ses élèves est confronté il peut avoir envie de se « reposer » sur quelques certitudes, surtout si lui-même se trouve « un peu juste » par rapport aux contenus qu’il est chargé d’enseigner. Or ces certitudes il peut les trouver facilement sur les réseaux et sur la toile. Le travail de vérification, d’approfondissement, est difficile. Et ce ne sont pas les articles sur les mythes (cf. les neuromythes en particulier) qui suffiront à éclaircir le paysage. Même ces informations dites scientifiques doivent être questionnées, (cf. la nécessaire critique des travaux d’Elena Pasquinelli) et lorsque l’on ne se sent que difficilement capable de le faire, on s’en remet aux « autorités » aux personnes que critiquait jadis Coluche et que l’on appelle « autorisées », « experts », « spécialistes » dont les médias nous donnent souvent à voir, lire ou écouter les propos « certains ».
Nous sommes confrontés actuellement à un dilemme autour de la certitude. On peut identifier cela aussi bien dans le cas de la question du risque zéro ou encore dans celui du principe de précaution. Chacun de nous aspire, surtout dans nos sociétés occidentales, au bien être constant et à l’absence de danger. La fragilité humaine n’est que la continuation de la fragilité de la nature. Or l’humain n’a eu de cesse de lutter contre cette fragilité. Une approche scientiste et positiviste ou encore purement rationnelle de notre monde s’avère rapidement limitée. Nous cherchons des règles, des lois, des certitudes. Et certains travaux ont fait leurs preuves. L’exemple de l’accroissement de la durée de la vie illustre bien cette tendance qui se traduit concrètement dans le confort domestique, la médecine, l’alimentation (cf. l’affaire récente du fipronil). L’émergence des thèses transhumanistes de plus en plus discutées (cf. Thierry Magnin, « Penser l’humain au temps de l’homme augmenté », Albin Michel 2017) dans différents milieux montre bien que sous l’influence des progrès scientifiques et techniques dont l’informatique et sa déclinaison numérique, nous cherchons à combattre la fragilité qui est pourtant l’essence de l’humain. Nous cherchons souvent à nous rassurer, la science et les technologies nous proposent souvent des certitudes (surtout les plus médiatisées) et pourtant, elles mériteraient d’être questionnées. L’exemple actuel des neurosciences en est un bon exemple.
L’École et les certitudes ministérielles…
Éduquer au doute et à la certitude est un exercice difficile et rigoureux auquel chacun de nous est confronté. Face à de nouveaux modes de circulation de l’information et de communication, cela devient de plus en plus « complexe » (au sens auquel l’emploi Edgar Morin). Des pratiques pédagogiques et didactiques ont été mises en place pour favoriser cette approche (cartographie des controverses, démarche d’investigation ou d’expérimentation). Il devient urgent de réfléchir au travers de ces pratiques à leur pertinence pédagogique. Au moment où le ministre de l’Éducation entend faire appel à la science pour aider l’éducation, souhaitons qu’il ne renforce pas cette illusion de certitude en assénant des vérités scientifiques du moment (qui pourraient devenir les mythes de demain d’ailleurs). Dans le même temps, faisant référence à la spiritualité ignatienne (Jésuites) le même ministre utilise à plusieurs reprise le terme « discernement ». Les fameux « exercices spirituels » sont justement des exercices d’entraînement en vue du discernement. On le voit, la même personne présente deux facettes qu’il pense probablement comme du même côté du problème alors qu’elles sont opposées. Discernement n’est pas raison, raison n’est pas vérité, fût-elle scientifique. Quant à la certitude, celle d’une autorité politique est d’abord rhétorique, souhaitons que ce discernement que l’on veut proposer aux autres s’applique d’abord à soi-même (ce qui est la base des exercices spirituels).
L’éducateur est donc invité à proposer des points de repères stables à ses élèves, aux jeunes. Dans le même temps il doit être en mesure de questionner ces repères. Pour le faire il peut au moins amener à en étudier la genèse, la construction des doutes et des certitudes pour éviter de rendre certains savoirs, pourtant longtemps discutés, en éléments de propagande ou de prosélytisme. On le voit il y a là presque un paradoxe. Or le monde numérique fondé sur les règles de base de l’informatique et sur les mathématiques (cf. les travaux d’Alan Turing par exemple) ne facilite pas les choses. Comme ce monde est en grande partie invisible il est aussi porteur de fantasmes ce qui ne facilite pas la compréhension. Une analyse un peu serrée des travaux faits en TPE pourrait bien apporter quelques éclairages sur cette « éducation ».
Bruno Devauchelle
Un cours sur le « bullshit » permet d’échapper aux informations fausses
Le Décodex, un outil de vérification de l’information
Former l’esprit critique des élèves
Développer des pratiques critiques sur Internet
La critique de la critique avec l’analyse du livre de Laurent Juillier