« Il y a eu une élection présidentielle, des élections législatives, des choses se sont dites, le peuple français a approuvé les orientations présentées, chacun doit en tenir compte ». Du coup, dans le Nouvel Observateur, Jean-Michel Blanquer se lâche et livre en vrac un programme au fort gout de « déjà vu ». Si vous avez été enseignant ou parent entre 2006 et 2012, vous allez revivre l’épisode « syllabique contre intégrale », les internats d’excellence, les évaluations. La seule nouveauté, et elle est de taille, c’est le recrutement des enseignants par les chefs d’établissement. Ni Robien, ni Chatel n’ont oser aller aussi loin. Pour justifier tout cela Jean Michel Blanquer évoque les neurosciences, la liberté et la lutte contre l’égalitarisme. Des grands mots pour un discours banalement populiste.
« La mesure la plus importante jamais prise »
» A chaque fois, il y a au cœur de mes décisions les notions de liberté et de responsabilité, avec une attention particulière aux plus fragiles ». Revenant sur les dédoublements en CP dans les établissements d’éducation prioritaire (en Rep+), Jean Michel Blanquer présente son action comme sociale et efficace. Mais pas seulement.
« J’ose affirmer que c’est la mesure la plus importante qui ait jamais été prise en éducation prioritaire », affirme-t-il modestement alors que sa mesure n’est même pas entrée en application. On lui donnera raison pour la suite : « Si dès juin prochain, grâce aux classes dédoublées, les enfants des quartiers populaires sortent tous de CP en sachant lire, écrire, compter, je pense que ce sera un vrai facteur de confiance, et un pied de nez à tous les fatalistes ». On notera le « si »…
Les assassins de l’Ecole…
Mais c’est sa combativité que met surtout en avant JM Blanquer dans ce long entretien accordé au Nouvel Observateur. Quand on lui parle de Dubet, Meirieu, ou Duru-Bellat, JM Blanquer tape sur « l’égalitarisme ». « Ce discours qu’on qualifiera d’égalitariste a surtout poussé à détruire des choses qui fonctionnaient parfaitement. C’est le cas en matière de lecture, mais on pourrait parler des mathématiques modernes.. Ceci est d’autant plus choquant qu’on a utilisé ces méthodes pédagogiques fragilisantes avec les publics les plus fragilisés ». Un discours qui rappelle le pamphlet de Carole Berjon.
Syllabique contre intégrale…
JM Banquer tente de réveiller les vieilles braises de la querelle des méthodes lancée par son mentor, Gilles de Robien (il fut directeur adjoint de son cabinet de 2006 à 2009). Alors que la méthode globale a disparu depuis longtemps, JM Blanquer l’utilise tout en reconnaissant que « tout le monde » l’a banni… » Pour la lecture, on s’appuiera sur les découvertes des neurosciences, donc sur une pédagogie explicite, de type syllabique, et non pas sur la méthode globale, dont tout le monde admet aujourd’hui qu’elle a eu des résultats tout sauf probants ».
Le ministre prolonge ce thème en annonçant de nouvelles formations pour les enseignants. « Dès l’année à venir, nous allons faire monter en puissance la formation initiale et continue des professeurs… Côté recherches, nous mettrons en avant les méthodes d’apprentissage les plus efficaces en matière de lecture, d’écriture et de calcul ».
Une fois dégagé de ses scories populistes, l’entretien apporte quelques informations sur les projets ministériels.
Des enseignants recrutés par l’établissement
Le point le plus important c’est que JM Blanquer annonce sa volonté de faire recruter les enseignants par les chefs d’établissement. « Mon objectif est simple : des établissements avec des équipes unies, partageant un projet éducatif fort. Dans ce cadre, oui, il est logique que le chef d’établissement ait un rôle à jouer en matière de recrutement. Cela se pratique d’ailleurs dans les lycées français à l’étranger et participe à leur rayonnement. Les professeurs auraient tout à gagner à ces évolutions ».
Dans de nombreux pays les chefs d’établissement ont ce pouvoir qui est un élément de leur marge d’autonomie. JM Blanquer ne dit rien sur l’articulation entre un corps national d’enseignants, avec un concours, et ce type de recrutement. Il ouvre là un chantier très ambitieux pour lequel il lui faudra affronter les syndicats.
La prime de 300 euros repoussée sans date
JM Blanquer annonce « à la rentrée, des évaluations diagnostiques des acquis des élèves interviendront en CP et en sixième ». Ce point faisait partie du programme Macron.
Interrogé sur la prime de 3000 euros promise par le candidat Macron aux enseignants de Rep+, J Blanquer ferme la porte à une décision rapide. » Ce sera fait au cours du quinquennat », dit-il. La mesure aurait couté 200 millions. Son application est maintenant officiellement reportée aux calendes grecques.
Populisme et réaction
Quel sens donner à cet entretien ? Il y a bien des façons d’impulser des changements dans l’éducation nationale. Jean-Michel Blanquer garde l’ambition d’appliquer son programme pour l’Ecole et notamment d’augmenter l’autonomie des établissements en renforçant les pouvoirs des chefs d’établissement. Mais il a choisi de s’appuyer sur les thèmes populistes de la frange la plus réactionnaire de l’électorat Macron. Cet entretien de rentrée montre de façon ostensible qu’il n’hésite pas à défier les enseignants.
François Jarraud
Lecture : le débat syllabique intégrale en 2006
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