Faut-il supprimer le bac parce qu’il « ne sert à rien » ou parce que « tout le monde l’a » ? Alors que sont publiés ce matin les résultats du bac, gageons qu’en 2017 comme en 2016, le taux de réussite au bac devrait s’établir autour de 88% de reçus. Un résultat d’ailleurs très variable selon les filières. Au bac général, 92% des candidats ont été reçus en 2016, à peu près autant au bac technologique (91%) alors que le taux de reçus au bac professionnel était seulement de 82% . Ce diplôme est-il vraiment donné à tout le monde ?
Un garçon sur quatre n’aura jamais le bac…
Le taux de 89% de reçus (en 2016) cache le fait que seulement 79% d’une génération obtient le bac. En 1980 , seulement 26% d’une génération obtenait le bac. En 2000, ils étaient 63%, un taux qui va rester stable jusqu’en 2010. Depuis 2010, le taux de bachelier dans une génération a repris sa progression montant à 79% en 2016. Cela fait 633 000 bacheliers. Un jeune sur cinq quitte toujours l’école sans le bac. Pour ces jeunes là, le fait de ne pas avoir le bac est beaucoup plus stigmatisant que pour la génération précédente.
Ajoutons une autre inégalité statistique. Le bac se féminise. L’écart de réussite entre filles et garçons se maintient. En 2000, 57% des garçons sont devenus bacheliers et 69% des filles. En 2010 l’écart est de 10%. En 2016, c’est 83% des filles et 73% des garçons d’une génération qui sont reçus. Concrètement un garçon sur quatre n’aura jamais le bac.
Une fausse démocratisation
Le bac ? On devrait dire les bacs. Le bac suit de fait deux modèles. D’un coté on a le bac technologique et le bac général où la proportion de bacheliers dans une génération reste stable depuis 2000. De 2000 à 2015 on est passé de 51 à 51% d’une génération. Cela malgré une hausse du taux de réussite qui a gagné 10 points de puis 2000. En 15 ans on est passé de 424 000 à 445 000 admis.
De l’autre coté on a le bac professionnel. C’est lui qui fait augmenter le taux de bacheliers dans une génération. En 2000, seulement 11% des jeunes devenaient bacheliers professionnels. Aujourd’hui c’est 22% ce qui représente une énorme croissance. On comptait 93 000 admis en 2000, on en a 176 000 en 2015. Pour autant le taux de réussite à ce bac est resté stable depuis le début du siècle. Il était de 79% en 2000. Il est de 80% en 2015. Il a même régressé fortement après une hausse en 2009.
Ces données indiquent deux choses. Le bac professionnel est le réservoir qui fait augmenter le taux de bacheliers dans le pays depuis le début du siècle. Le pourcentage de bacheliers généraux n’augment quasiment pas. Alors qu’on compte deux fois plus de bacheliers professionnels. Le bac ne se démocratise qu’à travers le bac professionnel.
Second enseignement. Pédagogiquement il y a deux bacs. Il est devenu une formalité pour les jeunes de l’enseignement général alors qu’il reste un obstacle à franchir sur la route des bacheliers professionnels. Même le rattrapage se passe différemment : il a un réel effet pour les bacs technologiques et généraux. Alors que son impact est minime pour le bac professionnel.
Comme le recrutement des deux bacs est socialement très différent, ces évolutions divergentes prennent sens. Ainsi, sur les 19 000 enfants de professeurs qui ont été admis au bac en 2015, 16 000 ont eu un bac général et 813 un bac professionnel. Chez les cadres c’est le cas de 110 000 jeunes sur 142 000 bacheliers soit 77%. Seulement 9% des enfants de cadres supérieur passent un bac professionnel. Inversement sur les 100 000 enfants d’ouvriers admis au bac en 2015, 34 000 ont eu un bac général et 44 000 un bac professionnel.
Autrement dit, on n’assiste pas réellement à une démocratisation du bac. On voit plutôt l’éclatement du système entre un bac des riches qui ne s’ouvre pas , à fort taux de reçus, et un bac des pauvres, qui augmente rapidement mais n’offre ni les mêmes débouchés ni le même taux de réussite.
Un bac ethniquement ségrégatif ?
L’étude des prénoms les plus fréquents chez les reçus aux différents bacs est éclairante. Réalisée par Baptiste Coulmont, maître de conférence à Paris 8, elle montre qu’il vaut mieux s’appeler Augustin, Marin et Henri pour avoir le bac S. Ou Sixtine, Anouk et Capucine pour le bac ES. Pour le Bac STG, par contre, Ahmed, Amel, Nadia ou Youssef suffisent.
A-t-on trop de bacheliers ?
La barre « historique » des 80% de bacheliers n’est toujours pas atteinte. Et François Hollande a fixé en septembre 2015 l’objectif de 60% de jeunes diplômés du supérieur. Dans cette perspective, le 79% de bacheliers est un taux à peine suffisant. En fait tout va se jouer dans la capacité à réduire l’écart entre les bacheliers professionnels et les autres. C’est en améliorant la capacité de ces bacheliers à suivre avec succès un enseignement supérieur que l’on pourra augmenter le taux de diplomés. La question du référentiel, de l’amélioration de la formation des bacheliers professionnels , et particulièrement en tertiaire, est maintenant posée.
Les récentes mesures de quotas de bacheliers professionnels en BTS, la création de places en BTS, le droit d’option des « meilleurs bacheliers » apportent des réponses insuffisantes par rapport à cet objectif. De 2010 à 2015 le nombre de bacheliers professionnels a presque doublé. Et le pourcentage de ceux qui veulent suivre des études supérieures augmente. Face à avalanche de nouveaux bacheliers l’enseignement supérieur, à l’exception des BTS, fait le gros dos. Le premier ministre vient d’ailleurs de claquer la porte au nez des bacs pros en leur concédant la création d’un « diplôme supérieur » de niveau bac+1. Un niveau qui n’aura aucune reconnaissance internationale.
Faut-il réformer le bac ?
C’est vrai, le bac est une machine colossale et couteuse. Or quelques épreuves seulement sont prédictives du résultat pour 90% des candidats. Des voix demandent donc la simplification du bac. Il y a quelques années le député de droite B Apparu demandait 4 épreuves seulement. Un nombre repris récemment par le think tank Terra Nova, devenu proche de Macron. Si elle apparaît logique, la réforme proposée semble surtout susceptible d’abaisser le niveau et d’augmenter l’injustice. En effet on sait, depuis les travaux de D. Oget, que si le bac était passé au contrôle continu les résultats finaux seraient largement différents. Le fait qu’au bac on corrige une copie anonyme augmente les chances de certains candidats : les garçons, les jeunes des milieux populaires.
Les travaux du Cnesco sur le bac ont démontré que le fait d’avoir un large ensemble d’épreuves finales augmente le niveau du bac , spécialement dans les établissements populaires. Cela leur fixe un repère externe qui oblige les enseignants à suivre une norme nationale plutôt qu’à adapter vers le bas le niveau de leurs exigences.
Ce que ça coute de ne pas l’avoir
Mais pour bien estimer si le bac a de la valeur, voyons ce qu’il coûte à celui qui ne l’a pas. Si en France personne ne s’est attaché à ce calcul, le caractère pragmatique des Anglo-Saxons nous permet de trouver plusieurs études en ce sens. La plus récente provient de l’Alliance for Excellent Education (AEE) , une association charitable qui milite pour la scolarisation. Pour elle « tout le monde bénéficie des progrès de qualification ». Elle a pu calculer la différence de salaire entre un bachelier et un non bachelier (26 923 $ contre 17 299) et partant de là estimer le manque à gagner collectif : si tous les jeunes Américains de 2008 avaient poursuivi leurs études jusqu’au bac, ils auraient apporté 319 milliards de dollars en plus à l’économie américaine durant leur vie. Mais puisque les diplômés vivent plus longtemps, deviennent des citoyens plus posés, L’AEE estime également d’autres retombées : « les économies régionales et locales souffrent plus quand elles ont des populations moins éduquées car il leur est plus difficile d’attirer des investissements. En même temps elles dépensent davantage en dépenses sociales ». L’AEE a pu calculer qu’en poussant tous les Américains jusqu’à la fin des études secondaires, l’Etat économiserait de 8 à 11 milliards chaque année en aide sociale, 17 milliards en aide médicale. Si le taux de sortie sans qualification des garçons baissait de seulement 5% cela représenterait 5 milliards de dépenses policières en moins.
François Jarraud
Note d ‘information sur le bac