Une page se tourne. Privilégiée depuis 2012, l’éducation retourne au sort commun des ministères pressurés par une politique d’austérité. Dans son discours de politique générale, le 4 juillet, Edouard Philippe a tiré un trait sur 5 années exceptionnelles. L’éducation va devoir fonctionner avec une masse salariale stable. L’Ecole elle même tient très peu de place dans le discours du chef du gouvernement et dans la politique gouvernementale. Une certaine cohérence semble se dessiner entre la pression budgétaire et certains choix éducatifs. Par exemple avec les bacs pros dont les ambitions post bac sont sacrifiées. Reste maintenant à voir précisément comment le ministre pourra satisfaire le chef du gouvernement et quels choix il fera pour cela.
« La formation dès le plus jeune âge à la culture et à la création rend libre et en les familiarisant avec la longue histoire des arts, en leur faisant découvrir les lieux de culture, en leur apprenant à décrypter l’époque et à découvrir notre héritage nous élevons l’âme de nos enfants et nous renforçons la cohésion de notre pays ». Edouard Philippe a commencé son discours de politique générale le 4 juillet, en vantant le dispositif Descoing mis en place à sciences Po et en liant culture et éducation dans une vision assez traditionnelle.
Un constat sévère
De l’école, le premier ministre ne dira pas grand chose. Il ne l’aborde que durant 5 minutes en dressant un constat sévère et en évoquant uniquement le bac et les bacheliers professionnels. Le gouvernement n’a pas de projet éducatif si ce n’est réduire la dépense.
« Nous formons très bien les très bons mais nous creusons les inégalités et le niveau moyen de nos élèves n’est pas à la mesure de notre grand pays », dit E Philippe dans son constat. « Notre système laisse sortir chaque année encore près de 100.000 jeunes sans qualification, nous dépensons bien moins que nos voisins dans le primaire où pourtant tout se joue, nous dépensons bien plus que les autres pays pour le lycée notamment parce que notre système est rigide et conçu autour du baccalauréat. Mais nous conduisons 60 % de bacheliers à l’échec en licence ».
Rétablir la sélection à l’entrée dans le supérieur en 2021
Face à lui, le premier ministre n’a que deux annonces éducatives. La première c’est la réforme du bac où il veut » resserrer les épreuves finales autour d’un petit nombre de matières » comme cela a déjà été annoncé. Par contre le gouvernement étend le délai d’application. La réforme sera définie avant septembre 2018 et sa mise en oeuvre est reportée au bac 2021.
Un peu plus loin, E Philippe revient sur ce sujet en précisant qu’il va « offrir (aux) lycéens des contrats de réussite étudiante qui leur indiquent les pré-requis pour réussir dans la filière visée, nous le ferons dès la rentrée 2018 ». Ainsi la réforme du bac est bien liée à la mise en place d’une sélection à l’entrée dans le supérieur.
Claquer la porte du supérieur au nez des bacheliers professionnels
Il nous semblait que cette politique serait désastreuse pour les bacheliers professionnels, ceux qui alimentent la croissance de la population étudiante. Edouard Philippe le confirme. » Le lien entre le lycée professionnel et le monde de l’entreprise par l’alternance ou par l’apprentissage doit être resserré », dit le premier ministre. « Le lycée professionnel doit aussi être mieux intégré avec les filières post-bac courtes que sont le BTS et les licences professionnelles. Des diplômes de qualification à bac+1 pourront également être proposés après le baccalauréat professionnel ».
Là il y a une véritable invention gouvernementale. Face à la montée des bacheliers professionnels vers le supérieur, E Macron avait proposé une nouvelle formation supérieure « dès la L1 » laissant ouverte la voie de la licence professionnelle. C’est devenu un « diplôme » de niveau bac+1.
Alors que les bacs pros sont le seul réservoir où on peut puiser de nouveaux étudiants pour atteindre les 50% de diplômés du supérieur , le premier ministre leur ferme radicalement la porte du supérieur. Après le bac pro ce qui se profile c’est ce misérable nouveau diplôme de bac +1.
Le BTS a déjà du mal à trouver sa place dans le système LMD de l’enseignement supérieur et à avoir une reconnaissance européenne. Mais la création d’un diplôme bac +1 est une mauvaise farce faite aux bacheliers professionnels. C’est une façon effrontée de leur claquer la porte du supérieur au nez.
Stabiliser la masse salariale de l’éducation nationale
Mais il y a encore plus inquiétant pour l’avenir de l’Ecole et qui explique ces annonces. C’est le budget. « On ne dépensera pas plus en 2018 qu’en 17. Pour atteindre ces objectifs sur la dépense publique, il va falloir agir sur trois leviers. D’abord, stopper l’inflation de la masse salariale du secteur public qui représente le quart de nos dépenses publiques… Aucun ministère, aucun opérateur, aucune niche fiscale ne sera sanctuarisé« , dit E Philippe.
Ces deux phrases sont très importantes. Alors que le gouvernement avait laissé entendre la semaine dernière que le budget de l’Education pourrait être sanctuarisé, comme il l’est depuis 2012, on sait maintenant que ce ne sera plus le cas.
Concrètement cela veut dire par exemple que dans les 50 000 postes à supprimer dans la Fonction publique de l’Etat, l’éducation nationale devra probablement en fournir la moitié.
Ensuite le premier ministre annonce le gel de la masse salariale. Or celle-ci augmente automatiquement avec le « glissement vieillesse technicité » (GVT) , autrement dit les avancements de carrière. Pour l’éducation nationale cela représente environ 300 millions par an. En 2018 et jusqu’à 2020, la masse salariale devait aussi augmenter du fait de l’application des accords de revalorisation PPCR (environ 800 millions).
Blanquer au pied du mur budgétaire
La question qui se pose maintenant c’est comment JM Blanquer va faire pour appliquer sa politique et respecter la stricte stabilité en euros de son budget. Comment appliquer le PPCR, le dispositif « devoirs faits » (150 millions), les dédoublements de CP (500 millions), le GVT, la prime de 3000 € promise aux professeurs de Rep+ (200 millions) dans un budget stable en euros ?
Il est clair que le ministre va devoir sacrifier des dépenses éducatives. La cohérence est peut-être à chercher dans les décisions sur le bac. Un bac réduit à quelques épreuves pourrait permettre de diminuer fortement le nombre de disciplines enseignées en lycée et récupérer ainsi des moyens importants tout en diminuant le nombre de postes.
Dans tous les cas, la gestion de la rue de Grenelle va devenir très délicate. JM Blanquer est maintenant au pied du mur budgétaire. Il est urgent que le ministre, au lieu de parler musique et « soap education », exprime ses choix budgétaires. Pour les enseignants et les familles commence le grand retour en arrière.
François Jarraud
Blanquer et la dangereuse réforme du bac