Peut-on apprendre des sciences économiques et sociales en jouant ? La question est débattue en ce moment sur une des principales listes de discussion des professeurs de SES. Historiquement fortement marqué par son intérêt pour les méthodes actives, l’enseignement des SES hésite à faire entrer le jeu en classe. Le débat est l’occasion d’interroger des acteurs et d’observer les pratiques.
Un débat récurrent
30 janvier 2017. L’Académie des sciences morales et politiques entame une nouvelle croisade contre l’enseignement des sciences économiques et sociales (SES) au lycée. Et pour cela convoque le jeu. Jean Marc Tallon, Ecole d’économie de Paris, présente un jeu de marché facile à réaliser sur une séance de cours d’une heure. Le jeu fait apparaitre les notions de prix d’équilibre, de surplus , d’inégale répartition tout en impliquant les élèves.
Sa proposition est critiquée par deux représentants des enseignants de SES. Alain Beitone remarque que cette approche ne doit pas dispenser d’un retour théorique. « A un moment il faut faire comprendre explicitement à l’élève la démarche. Il faut un temps d’institutionnalisation du savoir ». Jean Yves Mas, professeur de SES, approuve en montrant que les élèves peuvent faire de fausses conclusions au jeu.
Six mois plus tard le débat rebondit sur une liste de discussion de SES. Des partisans d’Alain Beitone publient une vive critique du jeu en SES qui se heurte à la fraction majoritaire, devenue plutôt favorable au jeu.
En classe avec Eric Cassagne
Mais qu’en disent les professeurs de SES et quels outils utilisent-t-ils ? Eric Cassagne est professeur de SES au lycée Pape Clément de Pessac (33), un gros établissement plutôt favorisé en banlieue ouest de Bordeaux.
Eric Cassagne a utilisé plusieurs jeux en cours de SES. « Il y a un effet génération », explique-t-il. « Je suis assez jeune pour avoir joué sur ordinateur et assez âgé pour avoir connu l’ordinateur sans jeu ». Il reconnait aussi que son intérêt pour le jeu est lié aux SES elles-mêmes ouvertes depuis leur création aux méthodes actives.
En 2012, Eric Cassagne tente d’adapter E-Planet, un MMORPG (jeu massivement multi joueur) à son enseignement. « Je suis tombé dessus par hasard », explique-t-il. « Je me suis rendu compte qu’il était possible de paramétrer des politiques économiques et sociales dans le jeu. Le jeu permet d’adopter des comportements politiques différents (dictature ou démocratie), ou encore de jouer sur la fiscalité. Je me suis dit qu’il y avait là un outil pour travailler les notions du programme dans une classe où il n’y a pas d’examen comme la seconde ».
Pendant deux années il va utiliser le jeu en classe , une année en mettant en compétition des groupes d’élèves dans une classe, la seconde en opposant les classes. Chaque groupe avait à gérer une planète et rendait compte des choix réalisés. « Le jeu classe les joueurs donc on a un retour sur les stratégies développées ».
En positif, Eric Cassagne estime que le jeu permet d’introduire les concepts d’investissement, de productivité. « On peut le rattacher au cours. Mais je me suis rendu compte qu’il laissait une partie des élèves indifférents ».
L’année suivante, E Cassagne change de jeu et élabore un jeu scolaire présenté sur le site académique de Nancy : Factory. Il ne s’agit pas d’un jeu vidéo mais d’une activité qui se joue en classe sur la combinaison productive. Les élèves découvrent concrètement la loi du rendement. Là aussi le jeu perd une partie des élèves.
« Un autre problème que l’on rencontre avec les jeux c’est qu’ils portent une idéologie et qu’on peut ne pas la partager », explique-t-il. C’est el cas par exemple de jeux qui invitent à gérer la lutte contre l’inflation.
Ce qu’il tire de ces expériences c’est qu’aucune approche ne convient à tous les élèves. Il faut diversifier les pratiques.
Le jeu réduit-il les inégalités scolaires ?
Le jeu peut-il réduire les inégalités scolaires ? Eric Cassagne n’en est pas convaincu. Le sujet a été creusé par trois étudiants en master MEEF de l’Espé de Poitiers en 2013-2014, Julien Claeys, Tony Gauthier et Kévin Lodenet.
Ils ont organisé en classe des séances de jeu et observé finement leur impact dans la classe. Ils ont d’abord organisé une séance de Jeu de la criée, un jeu sur le marché , puis une autre avec un jeu sur les biens collectifs.
Leur bilan est nuancé. Ils montrent une plus forte implication des élèves dans le cours. Le jeu réduit les inégalités de participation en cours. Et cette participation se fait dans le sens de la construction des savoirs. Ils observent aussi une réduction des inégalités dans les observations. » La mise en place du jeu en classe permet à l’enseignant d’adopter une posture réflexive sur sa pratique qui mêle gestion de l’hétérogénéité et souci d’explicitation de son contenu. L’enseignant cherche ainsi à pallier les écarts de dotation en capital culturel des élèves », notent-ils.
Mais le jeu crée des inégalités nouvelles. » Le jeu peut créer des implicites culturels et langagiers qui représentent alors des obstacles à la compréhension de certains élèves ; augmentant ainsi les inégalités d’apprentissage. Il est parfois aussi créateur de malentendus qui résultent de la différence de compréhension du lien entre l’objectif du jeu et l’objectif du cours ».
En conclusion, ils estiment que « le jeu a donc des effets mitigés en termes de réduction des inégalités scolaires ».
François Jarraud
Le jeu et l’académie des sciences morales et politiques
Mémoire sur le jeu de Julien Claeys, Tony Gauthier et Kévin Lodenet
Des jeux pour les SES (Café pédagogique 2015)