Peut-on, dans la France d’aujourd’hui, rire au cinéma du port du voile intégral et autres signes ostentatoires d’intégrisme religieux ? Sans l’ombre d’un doute répond Sou Abadi, française d’origine iranienne, réalisatrice de « Cherchez la femme », première comédie désopilante sur un sujet délicat, a priori réservé aux fictions dramatiques d’inspiration réaliste (« Le Ciel attendra », 2016). D’abord documentariste (« SOS Téhéran », 2002), puis monteuse, la cinéaste choisit de passer à la réalisation à 49 ans, à partir de l’écriture d’un scénario audacieux, largement nourri par la richesse de son parcours personnel. Arrivée en France au début de l’âge adulte, Sou Abadi n’oublie pas son adolescence sous la République islamique, la police des mœurs et les contraintes vestimentaires imposées à la jeune collégienne d’alors. Pas question pour autant de réduire son inspiration à cette expérience primitive ni d’en tirer une légitimité supplémentaire. Forte de ce vécu d’oppression en Iran, elle porte cependant un regard distancié sur les fractures de la société française et les troubles ‘identitaires’ attisés par l’obscurantisme religieux. Et elle réussit une comédie renversante, généreuse et politique. Comment ne pas succomber au charme caustique et aux vertus comiques de « Cherchez la femme » ? Allez plutôt voir cette fable bienveillante, dans laquelle un fougueux jeune homme, travesti en Shéhérazade et entièrement voilé, délivre sa belle, prisonnière d’un frère aîné en voie de radicalisation, tout en libérant ce dernier de son intolérance aveugle.
Les effets dévastateurs d’une radicalisation brutale
Leila (Camélia Jordana), brillante étudiante à Sciences Po, ne se doute pas de ce qui l’attend en allant chercher son frère aîné à l’aéroport d’Orly. De retour d’un long séjour au Yémen, Mahmoud (William Lebghil) est presque méconnaissable avec sa barbichette bien taillée et son discours religieux rigide depuis que ‘Dieu miséricordieux lui a montré la voie’. Dès qu’ils sont seuls dans leur appartement de la banlieue parisienne, le garçon arrache les photographies décorant un mur pour y accrocher le portrait géant de son ‘guide’ musulman, prive sa sœur cadette de son portable, décrète qu’elle ne doit plus sortir seule ni revoir son fiancé, étudiant comme elle. Comme leurs parents ont disparu, c’est à lui l’aîné de veiller sur les fréquentations et le mode de vie de sa sœur, un enfermement qui plonge la jeune femme dans l’isolement et le désespoir.
L’amoureux de Leila ne l’entend pas de cette oreille. Armand (Félix Moati), homme plein d’infinies ressources et sagacité, imagine de se déguiser en femme entièrement voilée afin de ne pas être reconnu par le geôlier. Ainsi travesti, les yeux soulignés de khôl et des souliers à petits talons au pied, il se présente à Mahmoud sous le doux nom de Shéhérazade comme une amie qui vient voir sa soeur. D’abord incrédule, Leila se laisse facilement convaincre d’accueillir cette ‘dame’ (qu’elle a traitée de ‘tente Quechua’ compte tenu de l’ampleur du niqab) lorsque, seul avec elle, Armand soulève son voile, la prend dans ses bras et lui explique le stratagème. En attendant de trouver une solution pour la délivrer, il viendra régulièrement dans cette tenue de camouflage. La prétendue Shéhérazade, jeune fille pieuse et réservée, vient auprès de Leila qui lui donne des cours de langue française. Au fil de ses passages ‘éclair’ et de ses visites répétées, ladite Shéhérazade, sa voix cassée et chantante, ses citations renouvelées de textes littéraires, en particulier du Cantique des oiseaux [texte célèbre d’un poète iranien du XIIème siècle, Farid al-Din Attar] envoutent Mahmoud au point qu’il formule une demande en mariage, à laquelle Armand, sous son déguisement, répond en ces termes : ‘je ne suis pas une femme pour toi’.
De travestissements en retournements, entre Billy Wilder et Gérard Oury
D’abord interloqués, agréablement surpris souvent, nous voici bientôt emportés par une cascade de situations renversantes, pleines de fantaisie et de burlesque, un déferlement d’actions, finement rythmées par la partition musicale énergique de Jérôme Rebotier, au point que la comédie dans sa charge généreuse n’épargne personne. Ainsi les parents d’Armand, présentés comme des réfugiés politiques iraniens tolérants et ouverts, se montrent bien soupçonneux à l’égard de leur fils lorsque ce dernier s’intéresse à l’Islam et au Coran (pour les besoins de son entreprise de travestissement en Shéhérazade). Confrontée à des policiers à la recherche d’une femme voilée qui se serait introduite dans leur immeuble, la mère (Anne Alvaro) leur fait le récit d’un épisode tragique lié au terrorisme en Iran avec une telle folie dans la voix que les forces de l’ordre s’en vont sans demander leurs restes. La bande de potes de Mahmoud, apparemment ‘convertis’ à l’idée de ‘guider les gens avec douceur et sagesse’ comme le souligne Fabrice devenu ‘Farid’, se montrent prêts, sur ordre, à courir après une femme voilée pour satisfaire leur ami raide amoureux, plus proches des Pieds-Nickelés que de dangereux extrémistes.
C’est à Mahmoud, personnage de prime abord antipathique, compte tenu de son intégrisme et de son fanatisme religieux, que la réalisatrice réserve une métamorphose épatante. Engoncé dans son radicalisme et son sexisme, il tombe cependant sous le charme trompeur d’une Shéhérazade qui n’est autre qu’un garçon déguisé en fille. Au-delà des attributs féminins qui le séduisent (regard maquillé, voix caressante, souliers féminins) et ce, en dépit du voile intégral, c’est la personnalité d’une amoureuse de la littérature qui suscite le désir et achève de faire sauter les barrières instaurées par la tenue vestimentaire, pourtant réglementaire à ses yeux.
Sou Abadi confie son engouement pour « Certains l’aiment chaud », géniale comédie de Billy Wilder dans laquelle deux musiciens se déguisent en femmes pour échapper à des gangsters menaçants et tombent sous le charme de la chanteuse, incarnée par Marylin Monroe. Mais la réalisatrice n’ignore pas cependant le contexte, difficile, qui préside à la sortie en France de sa comédie, même si elle se pare des habits de la légèreté. Elle fait cependant le pari audacieux que pareille fiction, décapante et bienveillante -à l’égard de tous ses héros, même les plus égarés-, pulvérise les clichés, retourne les préjugés, mette à bas toutes les formes d’extrémisme religieux et d’intolérance aveugle. En 1973, Victor Pivert (Louis de Funès), industriel raciste et antisémite, obligé à se déguisé en rabbin pour sauver sa peau, se découvre généreux, altruiste, amoureux du genre humain et déclenche des rires à n’en plus finir chez des millions de spectateurs des «Aventures de Rabbi Jacob », la comédie de Gérard Oury. La réalisatrice ne formule aujourd’hui aucune prétention de la sorte. Pour notre part, nous souhaitons un franc succès à « Cherchez la femme », ‘fable réconciliatrice’ selon les mots de son auteure, comédie salutaire et fraternelle.
Samra Bonvoisin
« Cherchez la femme », un film de Sou Abadi-sortie en salle le 28 juin 2017