La question semblait tranchée par la relance de la politique d’accueil des moins de trois ans en école maternelle. Une nouvelle étude, réalisée par Arthur Heim de France Stratégie et présentée le 27 juin au laboratoire Liepp de Sciences Po vient semer le doute ou au moins faire réfléchir sur les conditions d’accueil des tout petits. Selon cette étude, si les enfants nés en début d’année civile profitent de la scolarisation en maternelle à 2 ans, ce n’est pas le cas des autres. Surtout l’étude avance que, à cet âge là, les autres modes d’accueil assurent mieux le développement de l’enfant. Cette étude préliminaire est déjà débattue.
Des études antérieures plutôt positives
Investir dans la petite enfance pourrait bien être le remède aux inégalités scolaires. Cette idée est plus que jamais omniprésente dans les discours officiels. Le ministre s’y réfère. Et l’OCDE, il y a quelques jours a publié une étude invitant à investir dans l’école maternelle et l’éducation des tout petits. Pour l’OCDE clairement la durée de la scolarisation en école maternelle a un effet positif sur la réussite scolaire.
Des travaux plus anciens ont essayé d’estimer l’impact de la scolarisation à 2 ans. Au début du siècle, la depp était arrivée à la conclusion que la scolarisation à 2 ans diminuait le risque de redoublement. En 2010, Dumas et Lefranc estiment qu’elle a un effet positif sur l’obtention dy bac. En 2013, Filatriau, Fougère et Tô établissent un effet positif sur les performances en Ce2, 6ème et 3ème.
Le rôle déterminant du mois de naissance
L’étude d’Arthur Heim s’appuie sur un panel de 35 000 élèves entrés en 6ème en 2007, donc nés en 1995 et 1996, à une époque où la scolarisation à 2 ans atteignait un sommet avec un tiers des enfants scolarisés.
Le premier point qu’établit A Heim c’est le fort écart entre les enfants scolarisés selon leur mois de naissance. Les enfants nés en fin d’année civile ont nettement moins de chances d’être scolarisés à 2 ans et passent par suite une année de moins en maternelle que ceux qui sont nés entre janvier et juin. Il y a un véritable saut de décembre à janvier.
Arthur Heim calcule les effets sur les compétences scolaires et non cognitives des enfants scolarisés selon leur mois de naissance. Ses calculs établissent des effets très positifs.
« Pouvoir entrer plus tôt à l’école maternelle et y rester plus longtemps – du fait d’aléas de dates de naissance se heurtant aux règles d’âge d’entrée à l’école – améliore significativement les performances des élèves au collège », écrit-il. Les effets se ressentent très clairement sur le risque de redoublement, nettement diminué, les compétences lexicales, les maths, la compréhension en 6èem et en 3ème. Les enfants se sentent davantage capables à l’école. A noter que ces effets sont davantage prononcés pour les enfants de milieu défavorisé.
Mais pour A Heim, cette situation tient largement au fait que ces enfants restent plus longtemps en maternelle : ils en profitent 4 ans au lieu de 3. Ils sont aussi les plus âgés de leur classe ce qui est un autre avantage par exemple dans les compétences non cognitives.
Pour A Heim, interrogé par le Café pédagogique, « la scolarisation à deux ans a tendance à accentuer les écarts qui existent déjà entre les enfants nés en début et en fin d’année. Car ceux qui sont nés en fin d’année peuvent plus difficilement entrer en maternelle à deux ans ». Pour lui, nettement, il y a une forte inégalité selon le mis de naissance entre les enfants avec des effets durables qui ne sont pas compensés avant le collège.
Mais un effet maternelle négatif
Cette estimation favorable à la maternelle est remise en question quand A Heim compare cette fois les résultats des enfants qui par hasard sont nés au même moment mais ne sont pas tous entrés en maternelle à deux ans.
Ce que montrent les calculs d’A Heim, c’ets que la situation s’inverse. « Ce qu’ils font pendant l’année où ils ne sont pas en maternelle leur est plus profitable que l’école à deux ans ».
Cette fois ci , les calculs montrent un risque de redoublement accru pour les enfants scolarisés, « une détérioration des compétences lexicales » par rapport à leurs camarades non scolarisés.
A Heim souhaite tempérer ces conclusions négatives. « Pour cette génération née en 1995-1996, une époque où il n’y avait pas encore de dispositif spécifique pour les très petits, les enfants s’en sortent mieux quand ils ne sont aps scolarisés à deux ans », nous a-t-il dit. « Mais il est difficile d’inférer avec la situation actuelle où la scolarisation des moins de 3 ans est ciblée sur les Rep et où des moyens dédiés sont accordés pour des classes spécifiques ». Malheureusement 9 enfants sur 10 sont scolarisés dans des classes multiniveaux…
Pour A Heim, « il faut penser l’accueil des enfants de façon plus cohérente avant et après 3 ans et avoir un accueil focalisé sur leur développement ».
Des données déjà anciennes ?
Dans le débat qui a opposé A Heim à l’inspectrice générale Viviane Bouysse, au sociologue Denis Fougère et à Maxime Tô (Crest), l’exploitation des données a été critiquée du fait de leur nature.
V Bouysse a remarqué que l’écart entre les élèves de début et fin d’année est déjà bien établi. Elle a interrogé sur la validité d’un effet à long terme (3ème ) des apprentissages à 2 ans en rappelant que « ce qui se construit sur une scolarité est un mixe de l’école et la famille ». Elle a rappelé que les données utilisées portent sur une époque où il n’y avait pas d’accueil particulier pour les toutes petites sections. « On est en train d’inventer un modèle différent », ajoute-elle.
Mais voilà une étude qui tombe opportunément au moment où le gouvernement cherche 9 milliards. Traditionnellement c’est l’école maternelle et particulièrement la scolarisation des moins de 3 ans qui sert de variable d’ajustement quand on manque d’enseignants. L’étude d’Arthur Heim pourrait bien être utilisée pour récupérer quelques milliers de postes, à l’image de ce qui a été pratiqué avant 2012 par ceux qui sont aux affaires à nouveau rue de Grenelle…
François Jarraud