« Le jeu c’est un travail sur la confiance en soi, la prise de décision ». Cédric Ridel n’hésite pas. Pour lui le jeu est particulièrement adapté pour former les élèves à appréhender les événements historiques. Et plus ils sont complexes, mieux le jeu semble adapté. C’est donc sur la crise de 1905, à la fois nationale, avec la loi sur la laïcité, internationale (crise franco-allemande, guerre russo-japonaise) que Cédric Ridel a inventé pour ses collégiens de 4ème un jeu qu’il partage avec vous.
Il faut aller loin pour rencontrer Cédric Ridel. Professeur d ‘histoire-géographie depuis une vingtaine d’années, il enseigne au Lycée Français internationale Marguerite Duras à Hô Chi Minh-Ville (Viet Nam), un établissement de l’AEFE qui compte près de 900 élèves, de la maternelle à la terminale. » Nous suivons très exactement l’organisation et les programmes de n’importe quel collège ou lycée de France, mais avec un public plus international et bien sûr en partie de culture vietnamienne », nous dit Cédric Ridel.
1905 c’est l’année des crises : internationales, internes avec la loi de séparation. C’est une année très complexe. Pourquoi avoir choisi le jeu pour l’aborder ?
L’approche pédagogique par le jeu est une piste que j’ai commencé à explorer l’an passé, avec la découverte du réseau Ludus et le développement d’une passion personnelle pour les jeux de société. Ainsi, je me suis lancé dans l’élaboration de cartes de rôle pour le travail de groupe et la création d’un jeu de cartes sur la seigneurie en 5e.
Avec une approche ludique on travaille bien sûr tout d’abord la motivation, qui est sans doute le levier le plus délicat et sur lequel on a en général le moins de prise. Proposer une enquête avec une petite mise en concurrence entre les groupes permet de susciter un enthousiasme certain en changeant la perspective du rapport au travail.
Ensuite, le jeu par équipe permet le travail et la solidarité entre pairs, via la prise de notes et la discussion argumentée, et donc un travail sur la capacité à travailler de manière collaborative tout en développant la réflexion et la mise en relation des analyses pour élaborer un savoir.
Un autre atout tout à fait fondamental à mes yeux du principe de ludification est de pouvoir mettre l’erreur au cœur du processus de recherche et de réflexion, via les fausses pistes suscitées par certaines cartes dans le jeu proposé : ce n’est plus un obstacle effrayant voire tétanisant, mais un moment de la réflexion. L’identification d’une fausse piste permet de mieux rebondir et de valider les autres voies à explorer pour repartir en quête du bon chemin en le cernant ainsi bien mieux : l’élève n’est plus sous le regard de l’enseignant qui sanctionne, mais dans une démarche personnalisée où il explore.
Enfin, c’est aussi une manière de donner du sens à ce que les élèves étudient, en montrant que ces débats ont, en 1905, passionné des individus dans un environnement politique et social très particulier. De ce fait, toute la complexité de l’année 1905 (loi de la Séparation, création de la SFIO, guerre russo-japonaise, premiers articles d’Einstein, crise de Tanger) devient non pas un alourdissement du cours mais un enrichissement de l’enquête qui crée de de la densité dans la perception de ce moment historique.
Ne faut-il pas beaucoup de pré-requis pour pouvoir jouer cette crise de 1905 ? Comment placez vous le jeu : en hors d’oeuvre ou en dessert du cours ?
Non, tout se passe naturellement. On aura toutefois au préalable traité des années 1870-1880 dans le cadre du cours sur la IIIe République afin que le contexte soit là, car il est indispensable de maîtriser certaines connaissances, comme la diversité des positions politiques face au nouveau régime, ou le rôle du Parlement. De plus, l’étude de l’affaire Dreyfus aura initié les élèves à la notion de crise et à la forme violente des débats de l’époque. Cette séquence se présente donc comme une conclusion du chapitre : le jeu n’est pas isolé, il s’articule avec une leçon plus classique.
Comment passer du jeu à l’institutionnalisation et à la prise de notes qui va rester dans le cahier des élèves ?
A l’issue de la phase d’enquête, les équipes doivent rédiger un rapport, puisque le scénario suppose qu’ils regagnent leur époque d’origine pour rendre compte de leur voyage. Ainsi, à partir de la prise de notes et des discussions, chaque groupe doit réaliser un travail collaboratif pour répondre aux questions posées. On peut ainsi estimer ce que les élèves ont compris car, bien qu’ils se focalisent davantage sur la découverte du coupable, ce qui intéresse l’enseignant est surtout la capacité à rendre compte du contexte et donc des enjeux des débats sur la loi de Séparation. On passe ensuite à une lecture commune des propositions et on débat ensemble pour déterminer celle qui semble la meilleure, avec l’aide de l’enseignant qui vient apporter les précisions nécessaires.
Il convient ensuite de proposer une trace écrite et cela peut prendre plusieurs formes : l’enseignant peut présenter un résultat, mais il me semble plus intéressant, même si cela prend plus de temps, de repartir de la meilleur proposition collectivement identifiée, d’ajouter des conseils et de laisser chaque élève la retravailler individuellement pour s’approprier pleinement les enjeux de cette crise. Le meilleur compte rendu pourra alors servir de référence.
Avec ce jeu qu’ont appris les élèves ?
Le jeu a bien sûr été conçu à partir du programme et des documents d’accompagnement. On travaille donc tout d’abord les compétences attendues : analyser et comprendre un document, exercice de l’esprit critique, pratiquer différents langages en histoire, initiation aux techniques d’argumentation. Avec la nécessité de rédiger le rapport final, on voit que le travail sur l’écrit reste fondamental. Quant aux connaissances, ce sont tout simplement celles qui s’intègrent dans le deuxième chapitre du troisième thème. Au delà, l’intérêt de cette mise en œuvre me semble être un travail sur la confiance en soi, suscité par la possibilité de décider et de gérer les rétroactions, la prise de décision dans un groupe et la recherche du compromis.
Et vous , qu’avez vous appris avec cette expérience ?
J’ai tout d’abord appris que rien ne va de soi et que c’est un début, encore plein de points faibles et d’erreurs à corriger ! Mais ce qui est intéressant est que nous avons pris le temps d’une analyse de la séquence avec les élèves. Ils ont prouvé qu’ils pouvaient avoir un regard critique aiguisé et très intéressant, tant sur le fond que sur la forme.
Cette première expérience montre que cette adaptation du jeu Watson and Holmes est une piste très prometteuse. Il faudra ajuster quelques règles et enrichir l’intrigue par des pistes pouvant mener d’un lieu à l’autre, mais on peut tout de suite s’apercevoir que c’est parfaitement adaptable à d’autres époques et avec d’autres niveaux de classes.
Ainsi, la création du jeu conduit à une approche particulièrement riche et enthousiasmante. D’autres idées commencent à naître…
Propos recueillis par François Jarraud