Vous croyez tout savoir sur l’Ecole à la française ? Surement pas ! Le premier choc donné par le livre d’Alain Bouvier c’est sa richesse en informations sur le système éducatif français au regard des autres systèmes. Le second, c’est la réflexion de l’auteur, ancien recteur, sur le management de l’Ecole. Il opte résolument pour le « management pédagogique de proximité » mais avant analyse l’Ecole au regard des différentes théories de l’organisation des institutions et de leur management. Troisième choc : le témoignage d’acteur d’Alain Bouvier. Cela nous vaut des révélations et des moments d’anthologie comme l’admirable revue des questions taboues. Déguisé en ouvrage universitaire, « le management pédagogique » alimente à ces trois niveau l’indispensable débat sur l’Ecole.
Questions taboues et souvenirs…
Quel est le temps réel d’enseignement dont bénéficient les élèves ? C’est la première des questions taboues d’Alain Bouvier dans » Pour un management pédagogique » (Berger Levrault). Déjà les dents grincent. Mais l’auteur en a encore une bonne trentaine. Par exemple, pourquoi n’a t-on pas de statistiques ethniques, alors que le système s’ethnicise ? « Pourquoi le milieu pédagogique refuse-t-il d’aborder la question du temps annuel de travail des enseignants »? « Pourquoi les enseignants ne sont pas évalués par le chef d’établissement ? » « Qu’abrite-on derrière la liberté pédagogique ? » « Combien coute les zep ? » Les enseignants ont des réponses valables à ces questions dont on voit bien les finalités. Elles mériteraient de circuler pour clarifier les débats.
Parce qu’Alain Bouvier ne cache rien et apporte des témoignages précieux tirés de son expérience d’acteur de l’Ecole ,par exemple comme membre du HCE, une instance chargée sous N Sarkozy d’évaluer l’Ecole.
Des exemples ? En 2006, le HCE est consulté sur la formation des enseignants. Il découvre que le projet de F Fillon, alors ministre de l’éducation nationale, est de faire digérer les IUFM par les universités dans un but bien précis. « La formation des enseignants se ferait à travers des masters de toutes sortes et ainsi conduirait à faire disparaitre les concours de recrutement. L’employeur recruterait selon des modalités locales ».
Autre exemple, plus connu, quand le HCE découvre que les évaluations du système éducatif conçues par la Dgesco trichent pour faire apparaitre de faux progrès. L’affaire fera grand bruit du fait des termes employés par le HCE (« des évaluations trompeuses ») et brouillera pendant longtemps le HCE avec le directeur de la Dgesco, JM Blanquer… (sur cet épisode voir cet article).
Quel scénario pour l’Ecole ?
Mais l’ouvrage d’Alain Bouvier n’est pas un travail de polémiste. Bien au contraire, c’est un travail d’analyse du système éducatif et de son management tiré d’un séminaire tenu à l’Espe de Clermont Ferrand pour les cadres de l’Education nationale.
Après un premier chapitre qui regorge d’informations sur le système éducatif, A Bouvier aborde la question du management qu’il éclaire avec la théorie des organisations. Le troisième chapitre est une réflexion déjà plus ancrée dans son expérience sur l’évaluation des politiques publiques d’éducation. C’est là que l’auteur revient sur son expérience au HCE et au comité de suivi de la loi de refondation.
La dernière partie, « agir » , s’éloigne des savoirs théoriques pour proposer le point de vue de l’auteur sur le management de l’éducation. A Bouvier décrit 6 scénarios possibles pour l’Ecole à l’avenir que l’on peut résumer entre maintien d’une école bureaucratique et marchandisation de l’Ecole. Sur ce sujet, A Bouvier donne des chiffres qui montrent l’importance exceptionnelle qu’a prise la « shadow education », toutes les offres privées, dans notre pays. Cela donne du crédit à sa peur d’un éclatement de l’Ecole au profit d’une privatisation.
Il conclut sur 10 principes qui selon lui doivent s’imposer à l’Ecole. Le choix de management d’Alain Bouvier c’est le management local et collectif. A Bouvier croit dans la capacité de l’Ecole à se régénérer en développant une culture du collectif qui s’élargirait d’ailleurs à tous les acteurs de l’Ecole, parents compris.
On ne partagera pas forcément les conceptions d’Alain Bouvier. Mais on reconnaitra trois qualités dans ce livre : la richesse de l’information, l’expérience mise au service de la réflexion sur l’Ecole et une totale liberté de pensée. L’Ecole a aussi besoin des questions qui fâchent.
François Jarraud
Alain Bouvier, Pour le management pédagogique : un socle indispensable. Connaître – Éclairer – Évaluer – Agir. Berger Levrault éditeur, ISBN : 978-2-7013-1943-8.
Alain Bouvier : » Il faut en premier de la confiance »
Ancien recteur, actuellement professeur associé à l’Université de Sherbrooke (Québec), Alain Bouvier a exercé de multiples fonctions à l’Education nationale. Dans » Pour le management pédagogique » ilfait un état des lieux et des propositions pour l’Ecole. Il revient sur quelques points pour le Café pédagogique.
Le titre de votre ouvrage comprend 4 verbes parmi lesquels « éclairer ». Que faut-il éclairer à l’éducation nationale ?
Ce livre est le fruit d’un séminaire de deux ans organisé pour des cadres de l’éducation nationale. Il est structuré en 4 semestres et donc 4 parties. La première partie, « connaître », propose une connaissance approfondie du système éducatif. C’est un système qui est assez opaque, même aux acteurs internes. Il est aussi assez immobile, à la différence de l’enseignement supérieur.
Cela m’a donné envie d’en faire la lecture à travers la sociologie des organisations, en allant des approches les plus anciennes vers les plus récentes. Là je ne fais pas de théorie mais j’essaie de les utiliser pour mettre en évidence des caractères du système éducatif.
Vous présentez dans l’ouvrage des scénarios d’évolution du système éducatif qui sont assez catastrophiques. Le bilan de l’Ecole est si catastrophique ?
Ces scénarios ne sont pas spécifiquement français. Ils renvoient à des évolutions bien connues. D’une façon générale, en Europe, on ne ressent pas de grande satisfaction envers l’Ecole. Un des scénarios évoque une marchandisation de l’Ecole. Il faut redire que c’est en France que la « shadow education », l’éducation privée, est la plus développée. Son chiffre d’affaires est de 3 milliards. Or personne n’en parle ! On nie la réalité à un moment où elle pourrait nous éclater à la figure.
Une grande partie du livre est consacrée à l’évaluation du système éducatif. Quel souvenir gardez vous de votre expérience au Haut conseil d’évaluation de l’école (HCE)?
D’abord, la nécessité d’une évaluation indépendante. L’évaluateur ne doit pas être subordonné à celui qu’on évalue ou au commanditaire de l’évaluation.
Mais je me dis surtout qu’il était heureux quand j’étais recteur que je n’ai pas eu tous les rapports que le HCE a publié. J’aurais été très malheureux qi j’avais su tout cela. Au HCE nous étions 9 personnalités, fortement indépendantes, avec des points de vue différents. Mais nous sommes arrivés à adopter tous nos travaux à l’unanimité. On avait le sentiment que l’école méritait qu’on arrive à des positions consensuelles. C’est ce que j’apprécie aussi actuellement dans le Comité de suivi de la loi de refondation.
Une partie de l’ouvrage est consacrée à la gouvernance locale, académique, du système éducatif. Vous dites attendre un Acte 4. Pourquoi ?
Du point de vue de l’évolution de la décentralisation, les questions principales n’ont pas été tranchées par l’Acte 3. On se trouve avec un mille feuilles administratif encore compliqué avec le rôle plus important donné aux métropoles et aux communautés de communes. On a complexifiée les choses sans apporter de plus value.
Le pouvoir régional a pris une grande importance et la France tend à se rapprocher des modèles allemand ou espagnol. C’est une tendance lourde. On n’a pas supprimé les recteurs d’académies au profit des nouveaux recteurs de région. Mais ça se fera.
Quel équilibre entre recteur et conseil régional ?
Il y a surtout besoin d’une instance de gouvernance régionale. Actuellement il y a des relations personnelles entre le recteur, le préfet et le président du conseil régional. Ils se voient beaucoup. Mais il faut quelque chose de plus systémique.
Des enseignants vous dites qu’ils font un métier sans contrôle et qui se prolétarise. Pourquoi ?
J’ai emprunté à JP Obin l’idée de prolétarisation. On a des enseignants de niveau master mais qui se sont prolétarisés. Ca fait réfléchir.
En ce qui concerne l’absence de controle, je ne connais pas d’enseignant qui se soit retrouvé devant un tribunal pour avoir mal fait son travail. Ce n’est pas une vague visite tous le s5 à 7 ans qui puisse tenir lieu de contrôle. Je ne sais pas s’il faut un contrôle .Mais j’observe qu’il n’y en a pas. Je pense qu’il pourrait y avoir des modalités collectives d’auto contrôle. Or pour l’instant le professeur de maths n’a pas le droit de pénétrer dans le cours d’anglais.
Globalement vous appelez à un management de proximité ?
C’est là, au niveau d’un établissement secondaire ou d’un bassin de formation pour le primaire, qu’on peut travailler à l’élaboration de dispositifs de fabrication de cours, d échanges de séquences, de banque d’exercices. C’est là qu’on peut se co former, échanger des pratqiues, aller observer dans la classe d’un collègue. C’est le bon niveau et c’est facile à faire.
En fin du livre vous avancez 10 propositions pour améliorer l’Ecole. Comment a rendre plus efficiente ?
On peut déjà augmenter le nombre de jours de classe. En moyenne on en compte 184 dans l’OCDE. Après la catastrophique réforme Darcos on est descendu à 136. On dit qu’on a remonté à 180 jours. Mais en fait la 5ème journée n’est qu’une demi journée. Et on compte sur 36 semaines . Or on sait bien que l’Ecole dure moins longtemps. Le résultat c’est que les petits français n’ont pas leur du. Il faut aussi une évaluation de l’Ecole pour qu’on puisse apprendre de nos actions. Je suis pour le pilotage par les résultats. Il ne me pose pas de problème.
Vous recommandez la personnalisation de l’enseignement. Mais comment fait on ?
C’est une demande de la société. Si l’Ecole ne le fait pas il ne faudra pas s’étonner du développement de la shadow education ! On peut compter sur le numérique pour y aider. Mais il faudra aussi former les enseignants et les accompagner. Ce sera le role des inspecteurs.
Pour cela il faut en premier de la confiance. Elle ne viendra pas d’une injonction. C’est un état d’esprit à construire chez les enseignants mais aussi chez les parents et les élèves. J’ai cru comprendre que le nouveau ministre emploie ce terme. Faisons lui confiance.
Propos recueillis par François Jarraud
Alain Bouvier, Pour le management pédagogique : un socle indispensable. Connaître – Éclairer – Évaluer – Agir. Berger Levrault éditeur, ISBN : 978-2-7013-1943-8.